vendredi, novembre 15, 2024

Forum de Dakar 2022: La paix, c’est aussi une réponse à la faim, à l’analphabétisme, à l’obscurantisme

0 commentaire

La paix et la sécurité en Afrique sont inséparables de celles du reste du monde. C’est un tout global et indivisible. La Russie, l’Ukraine, les premiers, devraient être les invités de marque de ce Forum de Dakar. L’Afrique a un rôle à jouer dans ce douloureux et inacceptable conflit. Elle ne doit pas le laisser à l’Europe en lui disant presque : débrouillez-vous donc ! Le format doit être revu en laissant bien sûr à l’Afrique la conduite. Oui, l’Afrique en famille d’abord mais on sait tous qui allument les feux et pourquoi ils sont allumés. Les enjeux dépassent les frontières de l’Afrique comme les enjeux en Europe dépassent les frontières de l’Union Européenne seule.

Dans la perspective de cet important Forum que le président de la République Macky Sall, de surcroit Président en exercice de l’UA, recevra à Dakar les 24 et 25 octobre 2022, voici ce que nous écrivions, au nom de la PAIX, il y a 20 ans. En effet, du 07 au 08 octobre 2002, s’ouvrait à Dakar le 1er Congrès mondial des poètes et écrivains de la paix initiée et organisée par la Maison Africaine de la Poésie Internationale. Le drame du Diola était encore tout frais dans les esprits et tout le Sénégal était en deuil. Nous disions alors au président Abdoulaye Wade venu présider ce rendez-vous, malgré la douleur qui frappait tout un pays : « Monsieur le Président de la République, le deuil qui frappe notre pays est porté par tous les poètes, écrivains et hommes de culture ici présents. Mon ami Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature, empêché au tout dernier moment, vous a écrit toute son immense peine. En un mot, ce sont toutes les nations du monde qui portent notre deuil. Mais nous sommes un peuple de foi. Et c’est dans cette pénible épreuve que se tient finalement notre congrès sur la paix, comme pour apaiser, pour juguler les fureurs, les adversités de l’histoire et de la nature. Ce congrès s’ouvre sur les combats de l’avenir. Ils ne seront pas faciles. Mais nous serons plus forts que les épreuves. Nous voulons que ce jour et ces assises soient une tribune pour rassembler les cœurs et réfléchir, méditer sur le sens élevé et la valeur suprême qu’il nous faut conférer à l’homme. Ce qui nous conforte dans l’idée que nous devons tenter encore et toujours de répondre aux questions de l’âme et de l’esprit, là où personne n’y répond plus. En un mot, c’est par l’esprit, je veux dire  » l’élévation « , que nous bâtirons les chemins de la paix. Nous devons être animés de ce besoin de savoir chaque jour au petit matin ce qui arrive à d’autres hommes. Nous ne devons baisser ni nos bras ni nos cœurs pour ensemble consolider « les fondements de la solidarité intellectuelle et morale de la Famille humaine. » Ces propos restent actuels.

C’est la culture, et disons-le sans tarder, qui est le lieu du dialogue. C’est la culture le lieu de l’échange, c’est elle le moteur de « l’intime connexion » entre la politique, le social et l’économique. Le Forum de Dakar doit en faire son viatique. Heureux de voir allumer ici à Dakar la flamme de la Paix, de la sécurité, à partir de la terre africaine.

Nous vivons dans un monde où souvent « la mort est moins cruelle que les hommes ». Nous devons cultiver l’art de vivre et de concevoir le monde, de recevoir le monde. Bref, bâtir une vision du monde vers la Paix. Il s’agit aujourd’hui, pour nous, de s’aimer ou de périr. Il n’incombe qu’à nous d’accomplir ou de trahir l’espérance de ce qui fonde l’existence humaine.

Ce n’est pas vrai que les questions auxquelles nous avons à faire face ne se posent qu’en termes économiques et techniques. Si cela était le cas, il y a longtemps que dans les pays développés et dits riches, le chômage, la pauvreté, l’insécurité, l’obscurantisme même seraient éradiqués et bannis à jamais. Autre chose doit guider nos actes. Quelque chose d’autre doit commander notre terre. Il s’agit de valoriser et d’honorer l’homme en osmose avec l’épanouissement de l’esprit scientifique.

Nous avons toujours pensé qu’il est « plus courageux de faire la paix que de faire la guerre ». Le prix de la paix est plus noble que le tribut de la guerre. C’est d’une révolution mentale qu’il s’agit, d’abord par un appétit immense de changement car ce nouveau siècle qui commence est déjà dès sa naissance meurtri par la barbarie. Nous devons placer au cœur du pouvoir politique un vaste appel d’air qui commence par le rêve, l’imagination, l’écoute de la jeunesse, le respect des minorités, le partage, l’écoute et l’humilité.

La paix n’est possible que dans la justice du monde. C’est elle qui est garante de la meilleure des sécurités, alimentaires comme militaires. Si les poètes et les écrivains avaient voulu convoquer l’attention des Etats et des Gouvernements et la solidarité particulière du Secrétaire général des Nations-Unies pour la création d’un GRAND PRIX DES NATIONS UNIES POUR LA PAIX, c’est qu’il faut davantage élaborer les armes de prévention qui pourront nous aider à tuer l’esprit de haine et de guerre, les intérêts et les élans de mort qui germent et mûrissent dans la marche des peuples. Nous devons bâtir ensemble ces murailles de la paix contre la mort. Nous refusons de croire dans l’échiquier géo-politique contemporain et en vertu des nouvelles logiques qui structurent nos sociétés, que les politiques, les pouvoirs publics, ont perdu l’initiative historique au profit d’autres assises du mal. Nous avons besoin d’Etats forts, moins dessaisis, moins contestés, moins désavoués. L’État doit être préservé, respecté, protégé et pour cela il faut que l’État commence par lui même. Il n’appartient qu’aux Etats alors de reconquérir la garantie et la crédibilité de leur rôle dans la conduite et la marche favorable de leur peuple vers la paix sociale, le développement, la prospérité.

Nous voulons que le Grand Prix des Nations Unies pour la Paix soit créé et remis chaque année dans la première semaine du mois de décembre, au siège même de l’ONU, à un Etat ou un Gouvernement dont les actions en faveur de la Paix et de la stabilité intérieure et extérieure ont été reconnues. Ce serait une sorte de Prix Nobel de la paix décerné à un État membre des Nations Unies. Il nous faut un monde de paix, de concorde et de dialogue. Nous savons que nous ne ferons pas face au désespoir des peuples par des incantations. Tous les économistes, rentiers, banquiers, institutions internatioanles et maîtres du monde à leurs manières, ne tiendront pas non plus leurs promesses en comptant sur les fruits du capital international si injustement accaparé par la minorité de pays riches. C’est pourquoi, la charge symbolique d’un continent comme l’Afrique nous est nécessaire. Elle comble le temps du désenchantement. Elle ralentit le processus de désintégration culturelle où nous conduit l’explosition incontrôlée des technologies déshumanisantes.

Notre monde est installé dans une pénurie du cœur, une sécheresse de l’émotion et du « pathétique ». La ruine de l’esprit et du cœur, la misère spirituelle, sont pires que toute misère politique et économique. La créativité et l’engagement en faveur de la Paix sont deux moteurs de l’équilibre de notre planète ayant comme source d’énergie la liberté et l’épanouissement de l’homme dans la justice. Il n’y a pas de liberté sans droit de l’homme. Il n’y a pas de droit de l’homme sans la Paix. La paix c’est la justice. La plus grande humiliation de l’homme, c’est l’injustice.

Nous le savons tous, le sous-développement est encore considérable dans le monde. « Plus de deux milliards d’hommes aujourd’hui n’ont jamais fait une conversation téléphonique ». Alors les avancées technologiques dont on parle sont pour qui ? « Il existe des pays où un enfant sur deux n’ira jamais à l’école une seule journée dans sa vie ». Si on ne recherche pas la paix et la justice, c’est à dire si on ne partage pas les savoirs et les richesses du monde, comment préserver notre terre des révoltes, des frustrations, des guerres ethniques, des génocides ? Aujourd’hui que l’homme franchit par les sciences et les technologies les murs de l’impensable, il franchit en même temps les limites de l’horreur sur ses semblables.

Nous devons aider à rechercher les équilibres de la Paix dans la démocratie, la justice, le partage, les pactes de stabilité et de croissance des politiques budgétaires nationales mais, également, dans la prise en compte des grands ensembles sous-régionaux et régionaux. La Paix ne consiste pas seulement à arrêter les conflits et les guerres. Elle est aussi une réponse à la faim, à l’analphabétisme, à l’obscurantisme sans jamais oublier cette écoute et ce respect dus à toutes les minorités culturelles. Il est fort à parier que ce siècle qui commence sera celui du défi des identités et à leur libre épanouissement.

Les fondements de la démocratie, des droits de l’homme et de la paix, doivent être recherchés au fond de nous mêmes et souvent contre nous mêmes, nos égoïsmes et nos vanités. Nous voici tous au cœur du paradoxe d’un monde qui dit se « mondialise » qu’autant qu’il se « tribalise ». Il s’agit, pour nous tous de contenir cette pulsion de mort pour donner la parole à l’amour et au pardon. Nous voulons être optimistes dans l’initiative et optimistes dans l’action. Regardons l’avenir avec confiance. Nos responsabilités à tous sont énormes. Chaque femme, chaque homme, compte, parce que tous porteurs d’une espérance et d’une humanité invincibles. Inventons ensemble une autre saison de l’histoire !

L’Afrique a ses atouts. Son pouvoir de l’efficacité imaginaire et son capital symbolique peuvent agir là où la réalité de ses moyens font pour le moment défaut. Il lui faut cultiver cette mystique de paix dans la marche de sa conquête économique. Les obstacles sont nombreux sur sa route. Des obstacles visibles, d’autres invisibles. Mais ce qui compte, c’est la foi de l’Afrique en l’Afrique. Sa transcendance. Notre destin est entre nos propres mains.

Voyez-vous, les poètes, les artistes, les écrivains, ont plus de responsabilités que de pouvoir immédiat. Changer la vie de leur peuple n’est qu’utopie ! C’est leur vie au quotidien, souvent dans l’isolement, l’humilité et le long travail qui nous les montrent dans la réalité de leur être, de leurs œuvres de création, de leur pouvoir de transcendance et d’imagination. Ils ont besoin du pouvoir politique et institutionnel pour aller vite. C’est dans ce sens que l’imaginaire des poètes et des écrivains doit être relayé par l’imaginaire de l’Etat. C’est ce qui différencie, dit-on, la démocratie de la dictature. Les créateurs devraient également être conviés à ce genre de forum. Leurs idées comptent et diffèrent toujours de ceux dits des experts. « Le pouvoir politique est fragile sans le pouvoir culturel ». Ce qui nous préoccupe, c’est comment mener les hommes à ne pas choisir un monde contre un autre, mais bien au contraire, comme le dit Salah stétié, « tenter de les concilier en forgeant un langage qui leur soit commun ». Aux maîtres de la guerre nous voulons opposer les maîtres de la paix.

Léopold Sédar Senghor aimait à rappeler : « que l’indépendance de l’esprit, l’indépendance culturelle en un mot, est le préalable nécessaire aux autres indépendances : politique, économique et sociale ». Inspirons nous de lui mais en le dépassant, car comme il aimait à le dire lui même : « Dépassement n’est pas supériorité mais différence dans la qualité « .

L’histoire aujourd’hui semble retenir très peu les lois et les décrets. Les temps ont changé. Il y a comme un nouveau temps du monde. « Le champ de la volonté politique se rétrécit. » Le temps politique n’est pas celui de la mémoire. Les hommes semblent moins grands. Les ambitions plus étriquées. Les mythes sont de plus en plus désacralisés. Les héros souvent vite oubliés. Les peuples exigent d’être payés au comptant et tout de suite. Le romantisme est vite avalé par les réalités quotidiennes. L’affaissement de l’esprit des élites participe à l’accélération de l’immobilisme et de l’effritement du pouvoir d’inspiration, celui-là même qui est le dernier porteur de flamme. C’est le temps de l’abîme et de la civilisation du doute. Il ne reste alors que l’humilité et les filiations spirituelles en marche pour consolider la mémoire irréductible de l’humanité : celle qui œuvre pour la Paix, la beauté, le respect et la dignité de l’homme !

Si la politique n’emprunte pas son visage à la liberté, à la démocratie, à la paix, il est à parier que ceux qui l’exercent seront les jouets de l’histoire qu’ils font. Méditons ces mots du poète :  » l’homme n’est pas ancien comme le monde. Il ne porte que son avenir « .

Ce Forum international sur la paix et la sécurité à Dakar est le bienvenu. La terre est belle et indivisible vue d’en haut. Faisons que celle sur laquelle nous marchons, dormons, soit plus belle encore.

Puisse de ce Forum naître des actes qui renforceront le leadership du Sénégal, du continent africain, la paix et la sécurité dans le monde en aidant à éteindre ses grands feux qui menacent les États et notre terre en partage.

 

Par Amadou Lamine Sall
Poète, Lauréat des Grands Prix de l’Académie française