mardi, décembre 24, 2024

Dr Ibnou Taymiya Sylla, Ministre conseiller: « En matière d’économie numérique, le Sénégal est sur la bonne voie »

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Ingénieur en télécommunications, spécialiste en électronique spatiale et de la micro-électronique, le Dr Ibnou Taymiya Sylla est, depuis le mois de mai dernier, nommé Ministre-Conseiller en charge de l’Économie numérique. Dans cet entretien, il revient sur le potentiel de l’économie numérique au Sénégal, comment et pourquoi elle doit générer des richesses afin de peser sur l’économie nationale. 

Monsieur Sylla, en termes  simples, c’est quoi l’économie numérique et son importance pour un pays ? 

L’Économie numérique, c’est l’utilisation de l’outil digital pour générer de la richesse dans un pays. Aujourd’hui, dans le monde, 16 % de la richesse créée, c’est-à-dire du Pib mondial provient du domaine du digital. C’est donc l’impact que le digital a sur la création de richesses et sur le Pib d’un pays. 

Est-ce qu’on peut dire, aujourd’hui, que le Sénégal est bien engagé dans le processus de développement de l’économie numérique pour en capter les richesses ? 

Absolument. Aujourd’hui, en Afrique, le Sénégal est un poids lourd dans le domaine du numérique. Nous avons les potentialités et les ressources humaines. Mieux, nous sommes en train de mettre des infrastructures en place pour que cet écosystème puisse se développer davantage. Il y a des avancées notables, mais il ne faut jamais se satisfaire de ce qu’on a fait si on peut faire plus. C’est pourquoi il faut continuer à investir dans le secteur, c’est comme cela que nous pourrons capter toutes les retombées. 

La 2ème édition du Grand Prix du Chef de l’État pour l’innovation numérique a été lancée la semaine passée. En  quoi cette initiative peut-elle booster le secteur ? 

Ce Grand Prix du Chef de l’État est une excellente chose parce que ça permet d’identifier les start-up qui sont en train de faire un excellent travail et qui sont en mesure de nous démontrer tout le potentiel et l’expertise sénégalaise en la matière. Quand vous regardez le dernier lauréat du Grand Prix, la start-up Tool-Bi, il est en train de faire un excellent travail au Sénégal et en Afrique. Ce Grand Prix a donc pour objectif de faire émerger des start-up par la mise en compétition. C’est un bon moyen de les mettre en valeur et de les aider à grandir et accéder à des financements plus conséquents. Le premier Prix a 30 millions de FCfa, pour une start-up, c’est bien pour un début et cela peut ouvrir d’autres portes pour d’autres financements. À partir de là, ces start-up pourront grandir et conquérir le marché africain, voire mondial. 

On a l’impression qu’au Sénégal, les start-up s’intéressent plus au secteur tertiaire, c’est-à-dire aux services plutôt qu’au secondaire (industrie) et au primaire (agriculture, pêche, élevage). Avec la start-up Tool-Bi, c’est la preuve n’est-ce pas que le potentiel est également dans le primaire ? 

Je ne vais pas jusqu’à dire que les gens devraient s’orienter vers le primaire et le secondaire, mais je dirais qu’on devrait mettre beaucoup plus l’accent sur ces deux secteurs afin de rendre beaucoup plus efficaces nos activités dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, etc. Ces secteurs ont besoin d’innovations technologiques. Personnellement, en tant qu’ingénieur en télécom, j’ai eu à évoluer et à travailler sur des projets agricoles qui utilisaient les télécommunications, le système Wireless pour augmenter les productions de fermes au Texas. J’ai compris comment le numérique pouvait permettre de booster le revenu des fermiers. Au Sénégal, il faudra essayer d’intégrer le numérique beaucoup plus dans nos activités. Mettre le numérique au service de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’horticulture, du maraîchage. 

Pensez-vous que le potentiel du Sénégal en matière de numérique est exploité à son maximum ? 

Il y a beaucoup de changements qui sont en train de s’opérer dans le secteur au Sénégal. La stratégie « Sénégal numérique 2025 » a été réactualisée et a pris en compte certaines faiblesses qui avaient été décelées. C’est une très bonne chose. C’est normal d’avoir des faiblesses dans un projet, mais le plus important c’est de s’en rendre compte et de rectifier le tir en renforçant les points de faiblesse. Moi-même je suis en train de travailler sur une note d’orientation dans un sens qui pourrait aider à mieux renforcer cette stratégie. Parce que, quelles que soient les activités que je vais mener à la Présidence de la République, ça doit être en complémentarité avec la stratégie « Sénégal numérique 2025 », qui reste un excellent programme qui est en train d’aider le Sénégal à développer son écosystème numérique. 

Justement, en décembre 2019, une loi sur les start-up a été votée. A-t-elle changé quelque chose dans leur développement ? 

Quand on voit aujourd’hui le nombre de start-up au Sénégal comparé aux autres pays africains, on peut dire que nous avons fait des avancées considérables. 

Le niveau est satisfaisant. Mais moi, personnellement, étant de nature très ambitieux, je pense qu’on doit encore faire plus et mieux pour booster le secteur. On ne doit pas se limiter à dépasser la moyenne sous-régionale, il faut viser plus haut et plus loin, la moyenne africaine et mondiale, c’est en atteignant cet horizon que nous pourrons engranger les avantages que confère l’économie numérique. Sinon le rythme de génération de start-up au Sénégal est plus que satisfaisant et dans tous les secteurs, elles se distinguent. 

Vous êtes un spécialiste en électronique spatial. Le Sénégal compte lancer son premier satellite en mars 2023. En quoi un tel programme peut-il être utile pour notre pays ? 

Ce type de programme est intéressant parce que pouvant aider le Sénégal à couvrir son territoire et même le territoire ouest-africain. Mais il serait plus intéressant de l’étendre dans l’espace ouest-africain, ce serait plus efficace en termes de coût. Je pense que ça peut aider pour développer les secteurs de l’agriculture, de la télédétection, de la météorologie…Mais on peut amortir le coût si on y associe d’autres pays africains. 

Le Parc technologique numérique est en construction à Diamniadio, nous avons aussi des datacenters. Alors peut-on dire que le Sénégal est aujourd’hui assez équipé pour atteindre les objectifs du programme « Sénégal numérique 2025 » ? 

Avec le Parc de technologies numériques et les datacenters publics comme privés, on peut dire que nous sommes sur la bonne voie. Une fois que toutes ces structures seront fonctionnelles, l’économie numérique sera boostée. Cela permettra au Sénégal d’attirer certains organismes. Un datacenter certifié peut intéresser des compagnies comme Google qui y logeront leurs données dans la journée avant de les rapatrier dans la soirée aux États-Unis parce que la particularité de ces compagnies, c’est que leurs données ne passent pas la nuit hors du territoire américain. Donc avoir ces datacenters certifiés donnera au Sénégal une belle réputation. 

Après trente ans de carrière à l’étranger, qu’est-ce qui vous a décidé à venir travailler avec le Président de la République ? 

Vous l’avez dit, 30 ans à travailler à l’étranger dans un domaine de pointe, forcément on acquiert une certaine expertise, une expertise recherchée par beaucoup de pays. Donc, j’ai pensé qu’il serait un peu ingrat de ne pas mettre cette expertise au service de mon pays. D’autant plus que c’est le Sénégal qui nous a fait ce que nous sommes aujourd’hui. 

Donc, je rejoins le Chef de l’État pour l’aider, l’épauler dans ce domaine de pointe. Et puis, ce qui se passe actuellement dans le secteur, c’est plus qu’encourageant, donc j’apporte ma pierre à l’édifice.

 

Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM, Le Soleil