Mardi 13 septembre 2022, à 9 heures, je me rends à la Direction des Bourses pour demander les conditions d’attribution des bourses étrangères pour les bacheliers 2021-2022. Deux heures de temps après, j’en sors écœurer, avec l’impression d’avoir perdu mon temps, mais surtout avec de plus en plus l’implacable constat que le Sénégal est dans le gouffre, tellement la corruption et le népotisme ont déstructuré et gangréné l’État, à la solde désormais d’une clique politique et administrative.
Arrivé sur les lieux, je demande à voir le directeur de la Direction des Bourses, un certain Khalifa Gaye. «Malheureusement, le directeur est absent et on ne sait pas quand il sera sur place. Il faut juste l’attendre ». Ne pouvant attendre une personne dont je ne sais pas quand elle va arriver, je demande à voir son assistante pour prendre un rendez-vous avec ce haut fonctionnaire qui dirige cette institution très importante pour l’avenir de notre future élite. À ma grande surprise, on me rétorque que l’assistante est en congés, dans cette période d’afflux des nouveaux bacheliers. On m’indique le bureau de l’assistante, où je devrais trouver la personne qui est censée la remplacer. Porte close. J’apprends alors qu’il faut descendre au 1er étage et demander un certain M. Ndiaye. Sur place, M. Ndiaye est aux abonnés absents et son collègue de bureau me demande d’attendre. Las d’attendre dans le couloir, je reviens dans le bureau et son collègue l’appelle sur son portable. M. Ndiaye daigne finalement apparaître.
Face enfin au remplaçant de l’assistante, je lui exprime mon souhait d’avoir un rendez-vous avec le directeur. Après m’en avoir demandé les raisons, il me dit d’écrire une demande d’audience pour voir le Directeur de la Direction des Bourses. Pas d’accueil, pas d’affichage, pas de brochures, site internet désuet et sans information essentielle, pas de publicité dans les médias, c’est comme si la Direction des Bourses voulait décourager toute personne qui s’intéresserait de près aux bourses étrangères.
Alors que j’attendais dans les couloirs, j’y ai rencontré plusieurs bachelières et bacheliers. Ce qui m’a frappé, c’est l’anxiété et le désarroi qui se lisaient sur leurs visages. Surtout, ils semblaient apeurés et désorientés. Il a fallu pour certains que je leur dise de rentrer dans les bureaux, que l’administration de la Direction des Bourses était là pour eux, la crème de notre jeunesse, pour leur ouvrir les portes de l’avenir. Filles et garçons intimidés qui sont tous des cracks. Sur cinq jeunes que j’ai sondés, en plus de mon rejeton, ce sont deux mentions BIEN et quatre TRÈS BIEN. Rien que du lourd et très lourd même. Une jeunesse avide de savoir, mais pour lesquels l’école républicaine au mérite risque de ne pas fonctionner.
Le Maroc a offert cette année 230 bourses au Sénégal dans différentes disciplines et aussi dans des écoles préparatoires aux grandes écoles de premier plan. Pour prétendre à ces bourses, il faut constituer un dossier qui est soumis aux autorités marocaines, qui valident ou invalident les candidatures. À son tour, la Direction des Bourses, qui avait présélectionné les candidatures sénégalaises sur la base des performances académiques, devait en principe annoncer la bonne nouvelle aux bacheliers sélectionnés. Sauf que cette année, les «autorités» auraient donné des instructions pour que tous les étudiants, qui ont été admis dans les concours pour les écoles nationales, soient exclus des bourses étrangères.
«Instructions des autorités» m’ont répété en chœur les fonctionnaires de la Direction des Bourses, sans pour autant citer un quelconque texte règlementaire ou procéder à un affichage de la mesure édictée. Les «autorités» auraient décidé un point c’est tout, rien à voir, circulez. Ayant postulé à la prépa marocaine de Benguérir, qui a damé le pion cette année aux grandes écoles préparatoires françaises d’où sont désormais exclus les bacheliers sénégalais, le dossier de mon rejeton y est accepté. Mais, des «instructions des autorités» ont décidé, comme il a réussi au concours de l’École supérieure polytechnique (ESP), qu’il n’irait pas au Maroc, au LYDEX de Benguérir. Qui peut s’arroger le droit de priver un jeune de s’inscrire dans l’une des prépas les plus performantes dans le monde, pour lui demander de s’inscrire dans la DEUX MILLE CINQ CENT QUATRE VINGT SEIZIÈME école mondiale (2596ème, classement mondial de l’ESP de Dakar) ?
C’est tellement aberrant que cela en est plus que suspect. Le constat est que la bourse étrangère et même la formation professionnelle au Sénégal semblent ne plus être accessibles au mérite. Où va alors le Sénégal ?
Mamadou Ibra KANE