Sa passion des nuages a conduit le directeur d’une usine de métallurgie à développer un service d’alertes complémentaire de l’agence nationale. Et à agir pour reboiser le pays.
Riad Kawar adore les nuages. Il a la tête dedans depuis l’âge de 5 ans. « Je prenais des notes sur leur taille et leurs déplacements », se rappelle ce Libano-Sénégalais avec amusement. Directeur général de Fabrimetal, une usine métallurgique de fer à béton, l’homme est aujourd’hui plus connu de ses compatriotes comme le Monsieur Météo du Sénégal.
Car sa passion d’enfant a pris de l’ampleur au fil du temps. Dans les années 2000, il partageait ses prévisions par textos. Puis il a créé un groupe WhatsApp, avant d’animer une page Facebook à partir de 2012. Les prévisions de Riad Kawar sont principalement basées sur l’observation du ciel, mais il lui arrive régulièrement de prendre le volant de sa voiture pour poursuivre un orage. Le tout en direct sur les réseaux sociaux. « J’ai besoin de m’en approcher au plus près pour les sentir », explique-t-il.
Ses bulletins météo sont publiés plusieurs fois par jour, principalement sur Facebook où le groupe « La Météo de Riad » compte plus de 65 000 membres, dont 20 000 nouveaux abonnés depuis juin. « Merci beaucoup. Je m’en vais préparer le combat, j’espère que nous n’aurons pas autant d’eau que la dernière fois », commente une abonnée, Jacqueline Noëlle N., après une alerte « fortes pluies » lancée mi-août.
Son audience s’accroît à mesure que les épisodes météorologiques violents se multiplient sous l’effet du dérèglement climatique. A chaque hivernage, la saison chaude et pluvieuse qui dure de juin à octobre, Dakar scrute en effet le ciel avec angoisse. La capitale sénégalaise sait qu’elle a de grands risques de se retrouver les pieds dans l’eau, parfois jusqu’au drame. Cette année n’aura pas fait exception : au moins trois personnes sont mortes le 5 août dans des inondations particulièrement fortes.
Prévoir l’intensité de la pluie
Il prévient tout de même sur sa page Facebook que « la météo de Riad n’assume aucune responsabilité en cas de prévisions erronées » et que les informations données « ne doivent pas être utilisées pour des besoins aéronautiques ou pour d’autres besoins opérationnels » ni « ne doivent être utilisées pour la sécurité des biens ou des personnes ».
Si le chasseur d’orages connaît un succès croissant, du fait de sa réactivité et de sa présence sur les réseaux sociaux, il ne se voit pas concurrent mais complémentaire des services de météo officiels. Au Sénégal, seule l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) est habilitée à donner des bulletins météo. Avec vingt-cinq stations météorologiques et des centaines de postes pluviométriques sur tout le territoire, elle est capable de faire des prévisions sur dix jours. Des prévisions cruciales pour l’aviation civile ou militaire, pour les agriculteurs, les pêcheurs, les habitants des zones à risque d’inondations et les acteurs de lutte contre ces sinistres. « Ces derniers ont besoin de prévisions sur une échéance assez longue, comme l’agriculteur qui doit anticiper quand il pourra mettre son engrais ou ses pesticides », commente Pape Ngor Ndiaye, chef du service de prévision et de réduction des risques de l’Anacim.
L’Anacim tire aussi sa force de sa capacité à communiquer via les médias traditionnels et les acteurs communautaires qui lui permettent de diffuser ses alertes météo en wolof et en langues locales dans les zones les plus reculées du pays. Elle pâtit toutefois d’un manque de moyens pour les prévisions à court terme. « Nos modèles donnent des informations toutes les douze ou vingt-quatre heures, alors que l’atmosphère change rapidement pendant la saison des pluies. Notre principal défi est de pouvoir faire des alertes précoces fiables, ce qui est difficile maintenant que nous n’avons plus de radar », explique M. Ndiaye.
Un tel instrument est pourtant incontournable : il envoie des fréquences permettant d’analyser et de prévoir à très court terme l’intensité de la pluie. Le Sénégal n’en avait qu’un qui a fonctionné pendant plus de dix ans mais est devenu vétuste. « L’idéal serait d’investir pour en avoir plusieurs sur tout le territoire national, cela pourrait améliorer nos prévisions à court terme et nos alertes précoces », poursuit le responsable.
« Le ciel est devenu malade »
Riad Kawar, lui, a perfectionné sa méthode avec le temps. Désormais, il a accès aux images satellites de l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques, Eumetsat. Et, pour partager les températures ou les horaires des marées, il s’appuie sur des données en ligne diffusées grâce à l’Organisation mondiale de la météorologie.
Depuis 2015, son investissement a aussi pris une dimension plus militante. « Le ciel est devenu malade, estime-t-il, les nuages sont plus rares, les pluies ont diminué et, quand elles tombent, elles sont plus violentes. Tout ceci s’explique par des microclimats néfastes dus à la déforestation », constate cet amoureux de la nature, qui souhaite « éveiller les consciences » sur le fait que « le changement climatique est causé directement par l’homme ». Ses posts sur les réseaux sociaux font le lien entre le manque de pluie au Sahel et la déforestation liée au trafic de bois et à son utilisation pour les besoins domestiques (chauffage, cuisson). Il rappelle aussi la corrélation entre les inondations et les constructions anarchiques, la sururbanisation et la bétonisation de la presqu’île de Dakar.
En 2018, il s’est rapproché de l’écologiste Haidar El-Ali, qui a été ministre de l’environnement, directeur de l’Agence sénégalaise de la reforestation et de la grande muraille verte (ASERGMV) et président de l’ONG environnementale Océanium. Un partenariat de confiance s’est noué entre les deux hommes. « La graine est le départ de la vie d’un arbre, mais elle ne donnera rien s’il n’y a pas de pluie, rappelle Haidar El-Ali. Nous avons besoin de savoir rapidement où et quand il va pleuvoir pour lancer une opération de reboisement. Riad est complémentaire de l’Anacim, car il est réactif et accessible pour le grand public. »
L’Océanium et l’ASERGMV l’appuient dans son projet de pépinière lancé en 2019 sur un terrain situé en contrebas de son usine Fabrimetal. Acacias, eucalyptus, fromagers, goyaviers et anacardiers y poussent aux côtés de serres maraîchères qui fournissent la cantine de l’usine et d’un bassin de rétention où l’entrepreneur militant veut restaurer l’écosystème et créer une réserve naturelle. Il y a quatre ans, il a donc investi 4 millions de francs CFA (6 100 euros) dans le rachat des plantes et arbres d’un pépiniériste de la banlieue de Dakar. A l’arrivée, ce sont pas moins de 880 000 arbres qui sont partis de cette pépinière entre 2020 et 2021, récupérés puis plantés par des associations et des autorités locales dans tout le Sénégal. Dans l’espoir qu’ils signeront le retour en abondance des nuages, et donc des pluies.
Par Théa Ollivier(Sébikotane, Sénégal, envoyée spéciale Le Monde Afrique )
Source: Le Monde Afrique