Quand de jeunes Sénégalais, grands utilisateurs des réseaux, ont parodié des titres du journal l’Observateur, les responsables dudit journal ont jugé nécessaire de déposer une plainte contre ceux qu’ils appellent des détourneurs de « Une ». C’est ainsi que dans un communiqué aux allures d’un réquisitoire que la rédaction de l’Obs, par la plume de son directeur de publication, juge de telles pratiques comme « une propagande politique ou des attaques contre l’État, ses institutions et les personnes qui les incarnent ». Et le dirpub du quotidien du Groupe Futurs Medias de finir par qualifier cette entreprise « de dangereuse allant à l’encontre des lois et règlements du pays, qui menace la cohésion sociale et la démocratie ».
Et comme on s’était passé le mot, la Coordination des associations de presse (CAP) composé du SYNPICS, de la CJRS, APPEL, du CDEPS, du CORED, de l’UNPJS, du CTPAS, de l’URAC et de l’APES entre de plain-pied dans le combat par corporatisme et rue dans les brancards pour s’indigner de ce qu’elle appelle les « unes détournées ». Comme une sorte de Cour d’assises, toutes ces structures se sont réunies pour instruire le grand procès des « unes détournées ». Comme si les condamnations groupées des composantes de la CAP constituaient blanc-seing, le procureur du président de la République, Amady Diouf, a arrêté, le 28 août dernier, Pape Ibra Gueye, plus connu sous le surnom de Papito Kara » dans les réseaux sociaux, avant de requérir au juge du deuxième cabinet Mamadou Seck l’ouverture d’une information judiciaire contre lui et son placement sous mandat de dépôt pour diffusion de fausses nouvelles.
Son péché pour ne pas dire peccadille : faire la revue de presse des soi-disant « unes détournées ». Et quid des concepteurs de cette presse parodique qui font le levain de la liberté de presse dans plusieurs démocraties ? Toujours en liberté !
Ne voulant pas laisser en liberté ce remarquable membre de ces insurgés « Kacc-Kacceurs » des réseaux sociaux qui causent des insomnies à Macky Sall, le proc a préféré s’appuyer sur l’article 255 du Code pénal qui astreint, selon l’article 139 du code de procédure pénale, à envoyer injustement en prison Papito Kara. Il a été inculpé pour diffusion de fausses nouvelles. Par conséquent, demain tout journaliste accusé du délit de « fausses nouvelles » doit ipso facto recevoir son visa pour Rebeuss et gare à tout confrère qui aura le toupet de lever, au nom de je ne sais quel corporatisme puant, le plus petit doigt condamnatoire ou indignatoire.
Après Kara, c’est autour d’Outhmane Diagne, le coordinateur de la Mafia Kacc-Kacc, d’être inculpé pour « diffusion de fausses nouvelles, effacement et modification des données de journaux » et placé sous mandat de dépôt. Pourtant Outhmane n’a fait que partager sur sa page Facebook des « Unes » de journaux parodiés assaisonnés de quelques smileys. Je ne puis m’empêcher de m’indigner de ce comportement bougrement rosse et indigne de tous ces journalistes qui ont participé à cette conspiration médiatico-juridique ayant permis au duo proc-juge d’instruction d’envoyer des innocents en prison.
On parle de fausses nouvelles. Qu’on nous en donne la preuve ! Des 15 unes que nous avons minutieusement compulsées, aucune ne renvoie à une fausse nouvelle. Ce qui dérange et c’est là le tort bénin Kacc-Kacceurs, c’est d’avoir utilisé le support de l’Obs, du Soleil et d’autres journaux pour véhiculer ces informations que la presse quotidienne, qui roule pour la plupart pour le pouvoir, passe sous silence.
On ne peut pas reprocher à Outhmane et Papito Kara leur parodie sans s’attaquer au redoutable duo Silleu Mougneul et Tonton Ada, initiateurs de « dialgati khibar » dont se délectent les Sénégalais. Ces deux parodistes avec leur style humoristique livrent goulûment l’information sous une autre couture. Rien que l’expression « dialgati khibar » est expressive d’une déformation qui n’est pas en réalité une altération ou une falsification de l’information.
Aujourd’hui, dans le monde, il y a des journaux spécialisés dans la presse parodique. Le Gorafi français (anagramme du Figaro), Nordpresse français (en réplique à Sudpresse), le Bopresse marocain, le El Mundo today espagnol, El Manchar algérien, The Onion aux États-Unis et The Beaverton au Canada sont des sites parodiques reconnus. Selon la presse canadienne, de fausses informations comme « Bill Gates arrêté pour trafic d’enfants et pendu à Guantanamo, Tom Hanks exécuté par l’armée américaine, le pape François interdisant l’absolution pour les catholiques non vaccinés contre la Covid » ont été publiées sur certains de ces sites s’identifiant comme parodiques. Jamais, ils n’ont été poursuivis pour diffusion de fausses nouvelles.
Ce soulèvement de la CAP aux allures conspirationnistes contre ces pauvres internautes parodistes ou satiristes met à nu l’hypocrisie qui gangrène la presse sénégalaise. C’est un paradoxe de voir des journalistes, chantres de la liberté d’expression, qui se battent à juste raison pour dépénaliser certains articles liberticides du Code pénal, dérouler le tapis rouge au procureur du président pour qu’il inculpe sur la base de l’article 255 du Code pénal les détourneurs de « unes ». S’il y avait une application rigoriste de cet article liberticide, beaucoup de ces journalistes qui clouent au pilori les parodistes dormiraient dans la géhenne de Rebeuss.
Aujourd’hui les kacc-kacceurs, pour se révolter contre la censure des juges et de la CAP, ont créé leur quotidien en ligne et les articles diffusés sont à caractère informatif, éducatif et divertissant et contiennent de l’humour, de la parodie ou de la satire. Et l’inspirateur de leur slogan (la magie du clic fera face aux kacc et aux sacc), c’est l’opposant Macky Sall.
La CAP a aujourd’hui esquivé les vrais combats de la presse. Où étaient les journalistes condamnateurs des détourneurs d’unes quand des confrères et consœurs du quotidien national se font agresser et kidnapper dans leur propre sanctuaire sur injonction d’un directeur-potentat qui a fini par transformer le Soleil en le Brouillard ? Nous aurions aimé entendre Sadibou Marone, ancien journaliste de l’astre de Hann et chef du bureau régional de Reporters sans frontières (RSF) pour l’Afrique de l’Ouest basé à Dakar, qui s’est empressé de flétrir les inoffensifs détourneurs d’unes, apporter son soutien médiatique et non diplomatique à ses anciens collègues. Nous aurions aimé entendre Bamba Kassé, Mamadou Thior, Ibrahima Lissa Faye, Mamoudou Kane et autres soutenir le journaliste Abass Sow et tout autre confrère et consœur de la RTS persécutés par le directeur illégal Racine Talla. Quand il s’agit de flétrir les comportements tyranniques de Yakham Mbaye et de Racine Talla, ce sont les déplorations timides voire pétochardes, mais dès l’instant que ce sont des internautes estampillés Pastef qui utilisent sur fond ludique la maquette de l’Obs ou d’un autre quotidien, on crée tout un raffut comme si on avait attenté aux principes éthiques et déontologiques de la presse. Nous n’avons pas encore entendu l’auto-saisine du procureur sur le détourneur de la une du journal l’Enquête qui a mis en exergue Ousmane Sonko et Adji Sarr dans une position que la morale réprouve d’évoquer. Mais vérité en deçà de Macky, erreur au-delà. Pour dire que, chez le proc et ses soutiers de la presse, ce qui vaut pour Macky, ne vaut nécessairement pas pour Sonko.
Cette une indécente de l’Enquête attentatoire au droit à l’image est plus condamnable que celles de l’Obs et du Soleil qui parlent de « Touba sonkorisé », « Macky bloqué par l’article 27 », « Yewwi askan wi seul à bord » à la place de la vraie une qui mettait l’accent sur un soi-disant succès du président sénégalais Macky Sall après la signature d’un accord sur les céréales entre la Russie et l’Ukraine. Ceux qui disent que les réseaux ne constituent point un danger électoral pour leur camp, pourquoi parlent-ils donc de propagande qui peut dérouter les électeurs ?
Et à l’heure où nous mettons sous presse cet article, les unes parodiques faussement qualifiées de détournées continuent de pleuvoir dans le net. Mais les condamnations, les plaintes et les auto-saisines se sont vite estompées du moment que deux « kacc-kacceurs » influents sont arbitrairement emprisonnés pour calmer la colère de Jupiter.
PAR L’ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, SERIGNE SALIOU GUÈYE