L’école coranique fut la base de ma formation. Dès que j’appris à parler, ma maman m’envoya à l’école coranique accompagner ma grande sœur. J’eus brièvement comme maître, Thierno Samba SOW.
Lorsque Serigne Babacar Guèye fut affecté au poste de gardien du Service des Eaux au Barrage, Thierno Samba Sow lui donna quelques talibé dont ma sœur et moi.
Serigne Babacar Guèye était un marabout rigoureux, pédagogue et sévère avec les élèves aux esprits dispersés.
Il participait activement à l’éducation islamiques des adultes dont la formation coranique était inexistante ou très sommaire.
Il nous apprit l’alphabet arabe, le liifantu, puis à lire les lettres composées, le hijja et enfin à la mémorisation du Fatiha jusqu’à Baqara.
Les mercredis matins étaient les jours des longues récitations. Tôt le matin, nous accompagnions Serigne Babacar Guèye dans sa longue promenade sur la digue qui partait de la terre ferme, passait par le barrage jusqu’au village de Mboubène.
Nous récitions à tout de rôle. Lorsqu’un talibé perdait le fil ou ne pouvait plus continuer, Serigne Babacar Guèye venait à son secours pour lui permettre de poursuivre sa récitation. C’était le gaganti !
Il nous arrivait de marcher assez loin.
La digue était cernée de part et d’autre par l’eau, le Fleuve Sénégal et le Joos, maayo manngo et maayo welngo, deex gu neex ak deex gu wex.
Nous rencontrions des pélicans, des hérons blancs, des hérons cendrés, des nuées de sarcelles qui plongeaient dans l’eau douce entre des nénuphars en fleurs, des troupeaux de phacochères qui disparaissaient dans des étendues de roseaux d’où sortaient en fuite des poules sauvages.
Il arrivait que nous ramassions des petits poissons frétillants sur la digue. En fuyant des poissons carnassiers, ils avaient fait un bond qui s’achevait malheureusement pour eux sur le bord de la digue. L’épouse de notre marabout nous remerciait à chaque fois que nous lui ramenions du poisson frais.
Au retour à la maison, Serigne Babacar Guèye faisait ses comptes des fautes, des confusions et des absences de mémoire. Lui, il avait une grande mémoire, il n’oubliait aucun détail. Il distribuait à chacun de ses talibé les coups qu’il méritait.
Serigne Babacar Guèye allait souvent à Saint Louis pour son travail. C’étaient les moments que nous attendions le plus.
Dès qu’il tournait le dos, nous allions chercher les roseaux que nous cachions sous la palissade. Nous nous mettions en cercle et chacun confectionnait son lutteur avec trois roseaux croisés verticaux et deux roseaux horizontaux qui consolidaient la structure.
Chaque talibé donnait à son lutteur un nom prestigieux : Fodé Doussouba, Abdourahmane Ndiaye Falang, Bécaye I, Bécaye II, Bécaye III, Falaye Baldé, Liiru Jaan, Maam Gorgui Ndiaye, etc. Les combats de lutte étaient animés. Mais dès que nous apercevions le taxi qui ramenait Serigne Babacar Guèye, nous arrêtions tout, nous cachions nos bâtonnets de roseaux et revenions prestement nous asseoir et lire à haute voix le texte écrit sur notre tablette, le alluwa, alluwal.
Serigne Babacar Guèye nous avait aussi appris à écrire le Coran. Nous fabriquions notre ancre. Pour cela nous prenions un morceau de tissu que nous imbibions d‘un peu d’eau. Nous cherchions les marmites dans les maisons pour nettoyer la fine poudre de charbon que la fumée de bois de cuisine déposait sur le rebord extérieur. Nous mettions un peu d’eau dans un pot propre et nous rincions le morceau de tissu dans le pot jusqu’à obtenir un liquide épais et très noir. Nous ajoutions de la gomme arabique en poudre. Nous mélangions le tout et le mettions dans une petite bouteille, notre encrier, que nous fermions. Ensuite nous fabriquions notre plume en prenant un bâtonnet de roseaux que nous coupions à son bout obliquement avec une lame. Le bout pointu, nous le tranchions légèrement avant de faire une courte incision longitudinale. La plume était prête, il suffisait de la tremper dans l’encrier pour écrire sur la tablette.
L’école coranique nous apprenait à faire beaucoup de choses là où quelques années plus tard l’école française nous donnait tout. C’est sans doute un facteur inhibant de l’école publique alors que le daara traditionnel donnait beaucoup d’autonomie au talibé.
Dès que nous savions lire et écrire, que nous avions dépassé la sourate, saar, simooré, Amma, nous commencions à encadrer les nouveaux talibé qui arrivaient. L’école coranique est une école avec une hiérarchie de maîtres sur laquelle trônait Serigne Babacar Guèye.
Notre marabout nous apprenait ce qu’il fallait pour prier correctement, pour avoir des souhaits exaucés. Il nous donnait des cours de théologie. Il nous apprit le lakhdaariou.
Les après-midi après le takusaan nous allions ramasser du charbon pour l’épouse de notre marabout. Le matin avant huit heures, armés d’un pot vide nous allions mendier devant les maisons dans le village et au Camp Des Mariés. Il y avait là-bas une femme mossi qui m’aimait. Lorsque j’arrivais devant la porte de son appartement, elle prenait mon pot et le remplissait de riz, caressait ma tête chevelue et me laissait tendrement partir. J’étais tout heureux.
En fait dans le Camp, il y avait des soldats et leurs femmes qui n’étaient pas sénégalaises. Nous les appelions Naka Naka. Je ne sais pas d’ailleurs pourquoi. Leurs femmes, nous les appelions musoo. Elles étaient très gentilles et très généreuses avec nous.Nos parents les aimaient pour cela.
Lorsque nous venions le matin, l’épouse de notre marabout recevait du riz, du sucre, du mil, du maïs, quelque fois une poule ou un coq.
Lorsque nous commençâmes à aller à l’école française, nous n’arrêtâmes pas l’école coranique. Notre marabout aménagea les horaires et nous pûmes cumulait sans problème les deux écoles.
En fait je n’avais pas seulement les deux écoles à fréquenter, j’avais aussi le jardin de ma maman à arroser juste après la prière du matin et après le takusaan et la grande bassine de marchandise à récupérer au Marché Ngallèle en fin de journée pour soulager ma maman.
Les moments libres, je me cachais pour fabriquer tout ce que je voyais : vélo, voiture, salle de cinéma, radio, téléphone, etc.
J’allais assez loin sur la digue pour récupérer de la bonne argile. Je façonnais des vaches, des taureaux, des béliers, des paysans avec leurs charrues, des femmes qui pilaient du mil, etc.
Enfants, l’école coranique nous avait forgé dans la solidarité, la douleur et la joie, nous étions soudés à vie.
Le passage par l’école coranique avant l’école publique est pour moi une étape formatrice que le préscolaire ou la case des tout-petits doivent prendre en compte.
Notre pays ne dois pas considérer la religions comme une affaire privée. La formation religieuse relève de la responsabilité de l’État. Elle est un maillon essentielle de la formation du citoyen.
La laïcité à la sénégalaise est pour moi l’égal traitement par l’État des citoyens par rapport à leur religion.
La religion fait partie de notre vie. Elle doit être intégrée dans les politiques publiques. Le Sénégal doit traiter sincèrement et honnêtement la question religieuse.
Nous n’avons pas la même histoire que la France sur cette question, c’est pourquoi après soixante années d’indépendance nous devons redonner dans tous les aspects de la vie la place qui revient à la religion.
Le serment du Président de la République doit se faire sur le Coran ou sur la Bible selon sa religion. D’ailleurs lorsqu’on veut vérifier qu’une personne dit la vérité, on l’invite à se purifier puis à jurer selon sa religion sur le Coran ou la Bible.
Mon intime conviction est qu’alors le Président de la République fera plus attention à ses responsabilités et à ses obligations.
Ken bëggul Yalla rëbba la
Hay gooto yiɗa Allah huɗ ma
Mary Teuw Niane