mercredi, novembre 20, 2024

La banalisation de la désinformation, un danger pour la démocratie

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Dans l’histoire récente du Sénégal, de nombreux travaux ont démontré que la presse et la classe politique ont souvent entretenu des relations heurtées.

– En 1975, lors de la première Conférence Nationale du Parti démocratique sénégalais, Abdoulaye Wade s’est employé à contester l’utilisation que le parti au pouvoir faisait des moyens publics d’information.

– En 1986, le leader de l’opposition sénégalaise était obligé d’organiser un sit-in devant le ministère de la Communication pour toujours protester contre les traitements discriminatoires dont son parti faisait l’objet. Abdoulaye Wade reprochait à la radio et à la télévision sénégalaise de diffuser ses discours et communiqués de presse en fin de journal ou tout simplement de les défigurer alors que ceux des socialistes au pouvoir étaient à la une de toutes les éditions.

– Lors d’une audience le 16 décembre 1999, Abdou Diouf reprochait à Sidy Lamine Niass de détenir une radio et un journal incendiaires.

– En avril 2000, en précisant les tâches et missions dévolues à chacun des membres du tout nouveau gouvernement qu’il venait de mettre en place, le président Wade faisait peser publiquement la menace de suspension et même de fermeture du Soleil.

– L’éviction en août 2002 du directeur de la Radiotélévision sénégalaise (RTS), Mactar Silla, après une série de reportages mettant à nu les tares de la société sénégalaise.

– Le directeur de publication du Quotidien, Madiambal Diagne, a séjourné à la prison de Rebeuss, en juillet 2004, pour avoir publié un rapport du Haut Conseil de la Magistrature du Sénégal, dans lequel certaines juges affirmaient avoir subi des pressions et reçu des directives de la part de plusieurs autorités sénégalaises.

– Le 17 octobre 2005, pour avoir diffusé une interview de Salif Sadio, 24 employés du groupe Sud Communication avaient été arrêtés et les émissions interrompues.

– Le 5 mars 2012, le Directoire de campagne de la coalition Macky 2012 reprochait à la RTS de verser dans la propagande électorale par la diffusion en boucle des appels au vote en faveur d’un des candidats au second tour de la présidentielle.

– Le 8 juin 2022, les reporters de la Télévision futurs médias (Tfm), venus couvrir les préparatifs de la marche pacifique de l’opposition, initiée par les leaders de Yewwi Askan wi à la place de la Nation, ont été chassés des lieux.

– Plus récemment, le 16 juillet 2022, Ousmane Sonko, leader de Yewwi Askan Wi, a mis en scène le rejet du micro de la RTS dans le cadre de la couverture de la campagne des élections législatives à Tivaouane.

Ces quelques exemples montrent, s’il en était besoin, la tension qui a toujours existé entre les acteurs politiques et la presse sénégalaise. Nonobstant les multiples dénonciations et condamnations, la détermination des acteurs politiques à circonscrire l’action des médias sénégalais n’a jamais faibli. Aujourd’hui encore, des journalistes subissent des harcèlements dans l’exercice de leurs fonctions. Ces atteintes répétées à la liberté d’expression au Sénégal et l’accaparement de la télévision nationale par les différents régimes qui ont gouverné notre pays constituent incontestablement un recul démocratique.

Cependant, les différentes étapes du processus électoral pour les législatives du 31 juillet 2022 ont révélé un niveau de tension jamais égalé. Entre manipulations, menaces, intimidations, violences physiques ou verbales, suspicions de connivence ou accusations d’impartialité, la presse sénégalaise vit des jours sombres.
Nous avons atteint le summum de la désinformation avec la diffusion massive de faux communiqués, de fausses déclarations, de fausses « UNE » des quotidiens Enquête, L’Observateur, Le Soleil et Sud Quotidien.
La diffusion de documents manipulés ou truqués n’est pas une technique de désinformation nouvelle au Sénégal. Déjà en 2019, lors de l’élection présidentielle de nombreux acteurs politiques en ont été victimes.
Le phénomène que nous vivons depuis quelques jours, ce n’est pas de la parodie (imitation comique sans intention de causer du tort). C’est l’une des pires formes d’infox. C’est une entreprise de désinformation savamment orchestrée qui consiste à diffuser de manière délibérée des informations fausses dans le but de manipuler ou de tromper un public-cible. Cette situation risque de mettre en péril la pratique du journalisme dans notre pays et saper les fondements de la nation sénégalaise.

Or, la présence des médias dans ces élections met en exergue l’engagement des journalistes pour le respect des principes élémentaires de la démocratie. Donc affaiblir la presse, c’est affaiblir la démocratie.
Pour préserver la crédibilité de ceux qui ont choisi d’exercer librement le métier de journaliste, les institutions/organisations faîtières et tous les citoyens qui croient aux valeurs de la démocratie doivent s’ériger contre cette menace. La presse est malmenée, la vérité est attaquée de toutes parts.
Après avoir rappelé que les libertés d’opinion et d’expression sont consacrées par la Constitution, nous devons tous réaffirmer le devoir qu’ont les journalistes de couvrir les manifestations politiques comme tous les événements d’actualité au titre du droit du public à être informé.

Dans un contexte où les réseaux sociaux numériques constituent des canaux de communication sans filtres et avec de fortes audiences, au lieu de se lancer dans une hypothétique entreprise de régulation, les autorités gagneraient à mettre en place une politique d’éducation aux médias sociaux inclusive et solidaire.

Mamadou NDIAYE
Enseignant-chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication, CESTI-UCAD.