vendredi, novembre 15, 2024

Yves Coppens, grande figure de la paléontologie, est décédé

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Le codécouvreur de Lucy, entré au CNRS en 1956, s’est éteint aujourd’hui à l’âge de 87 ans.

C’était l’un des visages les plus connus de la recherche française. Yves Coppens, né à Vannes en 1934, aura marqué l’histoire de sa discipline tout en ayant su partager ses découvertes avec le grand public. « Les sciences préhistoriques et plus globalement les sciences du passé, de la paléoanthropologie aux recherches sur les paléoenvironnements très anciens africains, viennent certainement de perdre leur meilleur ambassadeur français, témoigne Bruno Maureille, directeur de recherche CNRS au laboratoire Pacea. Sa passion pour la transmission des savoirs lui permettait d’intéresser tous les publics, des plus petits aux plus âgés de nos ainés et que cela soit lors d’une conférence grand public, à la radio ou à la télévision. Sa voix était reconnue de tous ou presque. »

Un ressenti partagé par Stéphanie Thiébault, qui a dirigé l’Institut écologie et environnement (Inee) du CNRS entre 2013 et 2021 : « Le décès d’Yves Coppens prive la Préhistoire mondiale d’un de ses plus fervents promoteurs, témoigne la paléo- et archéobotaniste. Il a su non seulement former plusieurs générations de préhistoriens mais a donné le goût des sciences, de la connaissance, de la curiosité et même de l’humour à tous ceux qui l’ont écouté. Sa présence, toujours réconfortante, était le gage d’échanges scientifiques de haut niveau et jusqu’au bout il est resté accueillant et disponible pour alimenter les débats et fournir bien souvent de nouvelles idées.»
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Une moisson de découvertes importantes

Entré au CNRS en 1956, Yves Coppens monte des expéditions au Tchad et en Éthiopie, et mène des campagnes en Algérie, en Tunisie, au Maroc, en Mauritanie, en Afrique du Sud, en Indonésie, aux Philippines, en Chine, en Sibérie ou en Mongolie. Les scientifiques récoltent lors de ces missions des tonnes de fossiles qui constituent autant d’indices précieux sur l’histoire des Hominidés.

Parmi ces fossiles, une cinquantaine d’os, découverts dans l’Afar, en Ethiopie, vont marquer la mémoire collective : ils représentent 40% d’un squelette d’hominine, que l’équipe franco-américaine, qu’Yves Coppens codirige avec Maurice Taïeb et Donald Johanson, baptise Lucy d’après la célèbre chanson des Beatles Lucy in the sky with diamonds. L’australopithèque (de l’espèce Australopithecus afarensis), datée de plus de 3 millions d’années, éclaire les scientifiques, notamment sur l’apparition de la bipédie.

 

 

Cette découverte majeure ne sera pas la seule de sa carrière : comme le précise sa biographie sur le site du Collège de France, Yves Coppens, associé à de récentes découvertes paléoanthropologiques lau Tchad et au Kenya), aura été cosignataire de la découverte de six nouveaux Hominidés (dont le premier en 1961, Tchadanthropus uxoris, daté d’1 million d’années).

José Braga, chercheur au Centre d’Anthropobiologie et de Genomique de Toulouse (CAGT), se souvient avec émotion de ses découvertes partagées avec Yves Coppens  : « Je me souviendrai d’Yves Coppens, mon maître rencontré pour la première fois en 1990, comme d’une personne très généreuse, toujours bienveillante et à la personnalité teintée d’humour. En 2000, lors d’un court séjour en Afrique du Sud, nous avions eu la chance de découvrir ensemble, au fond de la grotte de Sterkfontein, à l’invitation d’un ami commun, le Professeur Ron Clarke, le squelette tout juste mis au jour du désormais célèbre « Little Foot », le célèbre cousin sud-africain de l’iconique « Lucy ». Yves Coppens et Ron Clarke, ces deux magnifiques découvreurs de fossiles, évoquèrent alors, dans un mélange d’humour et d’anecdotes scientifiques, leur première rencontre dans les années 1960 et dans un autre « berceau » africain. Tout  récemment, j’ai pu échanger avec Yves Coppens à propos de nos récentes découvertes sur le site de Kromdraai, en Afrique du Sud. Il m’a exprimé son bonheur à propos de ces découvertes et m’a fait l’amitié de contribuer au documentaire à leur sujet. L’héritage scientifique d’Yves Coppens dépasse la découverte de « Lucy ». A plusieurs reprises il m’avait confié sa grande fierté d’avoir été « un homme de terrain », le premier aussi à avoir établi le lien entre l’évolution de l’humanité (genre Homo) autour de 2,5 millions d’années et les changements climatiques qui survinrent dans le monde d’alors. Ses travaux dans la vallée de l’Omo, au sud de l’Ethiopie, furent précurseur en la matière. »

De multiples récompenses… et responsabilités

Distingué par une myriade de récompenses prestigieuses, dont la médaille d’argent du CNRS, Yves Coppens a dirigé le musée de l’Homme à partir de 1979.  Nommé professeur de première classe au Muséum national d’histoire naturelle, titulaire de la chaire d’Anthropologie en 1980, il est élu en 1983 à la chaire de Paléoanthropologie et préhistoire au Collège de France en 1983, qu’il occupera jusqu’en 2005 avant de devenir professeur honoraire. « Quand il était en poste au Collège de France, Yves Coppens a toujours été très intéressé d’aider les plus jeunes, se rappelle Bruno Maureille. Il avait par exemple l’habitude d’inviter les jeunes docteurs bordelais travaillant sur l’évolution de l’Homme à faire une présentation de leurs recherches dans le cadre de ses enseignements au Collège. Ce fut mon cas le 8 novembre 1994 – on n’oublie pas sa première « intervention » au Collège- sur la morphologie faciale des hominines. Il nous « armait » en quelque sorte pour le futur, notamment parce qu’il aimait avoir un débat contradictoire avec son invité. Pour ma part, je n’ai pas oublié nos échanges sur les différences entre la face des Néandertaliens et celle de l’Homme de Bodo (Awash, Ethiopie). »

Yves Coppens aura assumé bien des responsabilités au fil de son riche parcours académique, dont la direction d’un laboratoire, le Centre de recherches anthropologiques – Musée de l’Homme ou la présidence du conseil scientifique chargé de la conservation de la grotte de Lascaux (lire à ce sujet l’entretien qu’il avait consacré au journal du CNRS en décembre 2010, pp.28-29). « Yves Coppens était la personnalité que l’on pouvait solliciter pour assurer le rôle de président de comités divers afin de « rassurer » les élus, par exemple dans le cadre d’aménagements de territoires, de type muséal, basés sur des découvertes scientifiques, confie Bruno Maureille. Ainsi, on était assuré que les débats resteraient courtois entre les spécialistes et que les « politiques » seraient convaincus de leur intérêt. Ce fut exactement ce qui s’est passé lors du début du projet de réalisation d’un centre d’interprétation sur l’Homme de Néandertal à Saint-Césaire en Charente-Maritime en 1995-1996 qui fut inauguré en 2005. »

Yves Coppens s’est éteint le 22 juin 2022 à l’âge de 87 ans. ♦