dimanche, décembre 22, 2024

Au-delà des cryptomonnaies, à quoi peuvent servir les blockchains ?

0 commentaire

Les blockchains (ou chaînes de blocs) sont désormais célèbres grâce aux cryptomonnaies, en particulier le fameux Bitcoin, et la « finance décentralisée » (ou « DeFi » en anglais). Mais elles peuvent avoir d’autres applications que financières.

En effet, les blockchains permettent simplement d’échanger de l’information entre partenaires sans nécessairement se faire confiance, car cette technologie permet de construire un registre (comme un livre de comptes) partagé, infalsifiable, pour la parfaite traçabilité des échanges d’information. On sous-estime généralement l’importance des registres, qui sont pourtant essentiels dans notre existence sociale et juridique : état civil, sécurité sociale, cadastre, registres bancaires par exemple. On ne peut jamais y enlever d’information, seulement en ajouter à la fin, et tous les ajouts sont signés par leur auteur.

Par exemple, la FIFA et la blockchain Algorand ont récemment annoncé leur partenariat, qui fait de la blockchain Algorand la blockchain officielle de la prochaine coupe du monde de football… Alors que les applications d’une blockchain pour les coupes du monde de football 2022 et 2023 n’ont pas encore été dévoilées, on peut imaginer qu’il y aura des NFT à collectionner au nom des joueurs et des équipes engagées, une sorte d’album Panini virtuel.

Les technologies blockchains peuvent également être utiles au secteur public, notamment autour des questions d’identité numérique, de certification de documents et de traçabilité, comme nous le montrons dans notre livre blanc publié dans le cadre du partenariat européen pour la blockchain.

Comment les blockchains garantissent-elles la confiance entre partenaires ?

Les technologies blockchains, dans le sens large de « registres décentralisés », sont des technologies permettant d’assurer de la confiance dans des échanges d’informations. Elles n’ont donc d’intérêt que dans un cadre multi-partenaires, pour assurer la sécurité et la traçabilité des échanges d’information. Leur champ est donc bien plus spécifique qu’une base de données distribuée (c’est-à-dire un système de stockage d’information structurée, qui repose sur plusieurs machines mais est opéré de manière centralisée par une entité unique), et les applications combinent bien souvent blockchains et bases de données.

Cette confiance apportée aux échanges repose sur deux piliers.

D’une part, la technologie blockchain elle-même assure l’infalsifiabilité des données par l’utilisation notamment de cryptographie. En effet, le chaînage cryptographique des blocs d’information rend la chaîne des blocs de données très résistante car toute modification d’un bloc casse la chaîne et il est très (trop) coûteux de la reconstruire.

Qui décide des modifications d’une blockchain ?

D’autre part, la gouvernance de chaque blockchain précise qui sont les « opérateurs des nœuds » (les entités qui opèrent les ordinateurs et les logiciels qui assurent le bon fonctionnement et la sécurité de la chaîne de blocs) et comment ils déploient et font évoluer le code de cette blockchain.

Ces « opérateurs de nœuds » sont en fait assez variés. Ça peut être n’importe qui dans le cas des blockchains publiques (Bitcoin, Ethereum, Algorand, Hive, Tezos, etc.), les membres d’un consortium plus ou moins ouvert, comme dans le cas d’Alastria (une association espagnole promouvant les technologies blockchain en construisant des infrastructures utilisables par ses membres), les acteurs d’une filière économique pour la traçabilité au sein de la filière (comme Tradelens pour le fret maritime), ou encore des opérateurs publics dans le cas de l’infrastructure de services blockchain européenne EBSI (construite dans le cadre du partenariat européen pour la blockchain, pour supporter les services publics transfrontaliers).

La grande différence entre blockchain et « base de données distribuée » est ce portage et cette gouvernance collective, par différents acteurs, d’une infrastructure partagée. On a donc le remplacement de la confiance apportée par un tiers dit « de confiance », à la confiance apportée par la preuve, c’est-à-dire que l’accès aux données inscrites de manière durable, transparente et infalsifiable dans la blockchain.

Des applications de la blockchain pour le secteur public

Nous listons dans notre livre blanc « Les technologies blockchains au service du secteur public » plusieurs cas d’usage liés en particulier à l’identité numérique, à la certification de documents et à la traçabilité.

En particulier, nous expérimentons à l’Université de Lille l’émission de certificats de réussite numériques aux diplômes sur une blockchain dans le but de lutter contre la fraude au diplôme et d’offrir à nos diplômés un service à valeur ajoutée : une attestation disponible plus rapidement, traduite en anglais, plus facile à partager que la version papier.

Ces attestations sont émises dans une blockchain publique pour le moment, mais l’objectif est d’utiliser l’infrastructure publique européenne EBSI dès que possible.

Ici, la technologie blockchain permet de gérer de manière décentralisée (c’est-à-dire sans avoir besoin d’une unique autorité centrale, qui n’existe d’ailleurs pas au niveau européen pour l’identité) l’identité numérique des établissements émetteurs qui doivent être accrédités par leur État, celle des étudiants (avec l’identifiant européen de l’étudiant), ainsi que la durabilité et l’infalsifiabilité des données enregistrées. Outre la valeur ajoutée pour les diplômés, cette technologie a aussi un intérêt pour l’établissement émetteur : économique car l’attestation numérique est moins chère à produire que le diplôme papier, de gain de temps par la diminution des demandes de vérification des diplômes de la part des recruteurs, et d’amélioration de qualité des données de scolarité par la transformation du processus de diplomation.

Doter les enfants sans existence juridique dans leur pays d’une preuve d’existence légale

Outre l’EBSI et ses autres cas d’usage (identité numérique, numéro de sécurité sociale européen), nous citons d’autres cas dans notre livre blanc comme DID4ALL, projet porté par l’UNICEF et IN Group pour doter les enfants sans existence juridique dans leur pays d’une preuve d’existence légale. Il y aurait en effet plus de 166 millions d’enfants dans le monde qui ne pourraient pas justifier d’une reconnaissance ou d’une identité légale. L’objectif de DID4ALL est d’expérimenter, dans des pays en voie de développement, une solution numérique simple et efficace qui utilise trois technologies combinées – la reconnaissance vocale, la blockchain et les systèmes de télécommunication – afin de proposer à chaque enfant une preuve d’existence cryptographique, dématérialisée et légale tout au long de son enfance.

Des applications pour les réseaux sociaux

Un autre domaine en pleine expansion est celui des applications sociales : les NFT, utilisés pour marquer la propriété d’œuvres d’art numérique, mais aussi les jeux play-to-earn où les joueurs sont récompensés en actifs numériques qu’ils peuvent échanger sur des places de marché et ainsi être rémunérés, et les réseaux sociaux où le contenu créé par les utilisateurs leur appartient réellement, contrairement aux réseaux sociaux classiques où le contenu est cédé ou pour le moins accessible à la plate-forme pour le monétiser, sans compter les problèmes de censure ou de modération arbitraire.

Par exemple, la blockchain Hive est construite spécialement pour les applications sociales décentralisées et les auteurs y sont réellement propriétaires de leur contenu et rémunérés en HIVE, la cryptomonnaie native de la blockchain Hive, en fonction de leur activité et de leur audience. Cette blockchain est le soubassement d’applications variées qui tirent parti de sa sécurité et où chacun reste propriétaire de ses données : plates-formes de blogs, diffusion de vidéos, microblogging, jeux, etc.

À la Faculté des Sciences et technologies de l’Université de Lille, nous utilisons cette plate-forme comme un outil d’enseignement des technologies blockchain. Les étudiants déposent leurs travaux sur cette plate-forme et sont récompensés en HIVE selon la visibilité que leurs articles ont obtenue. C’est l’occasion pour les enseignants de détailler avec eux les mécanismes techniques et économiques d’un écosystème blockchain public comme les algorithmes de consensus (preuve de travail, preuve d’enjeu, etc.) et les actifs cryptographiques (cryptomonnaies, NFT et autres jetons cryptographiques).


Cet article a été co-écrit avec Perrine de Coëtlogon, experte blockchain et open education, coordinatrice du livre blanc « Les technologies blockchains au service du secteur public ».

Pierre Boulet, Professeur d’informatique, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.