Un Grand nombre de Sénégalais réclament de plus une règlementation de l’utilisation des Réseaux sociaux ‘RS) dans le pays. Lors de la rencontre avec le Synpics, syndicat national des professionnels de l’information et de la communication, le Président de la République, Macky Sall, a réitéré son engagement ferme à mettre un terme, d’une manière ou d’une autre, à l’empoisonnement de la vie des Sénégalais par le comportement de certains utilisateurs de cesréseaux.
D’abord, il convient de se demander de quel type de régulation parle le Chef de l’Etat ? Si c’est pour restreindre l’accès à la parole pour un nombre de plus en plus croisant de citoyens sénégalais, ce serait manquer une occasion manquée de se poser les bonnes questions pour prendre à bras le corps ce ‘’fléau’’ des temps modernes. Il s’agit ici d’amener les Sénégalais à mener ce débat de société de manière sérieuseet transversale.Nous ne doutons pas, qu’avec la détermination de la société sénégalaise à extirper les pollueurs des débats qui utilisent cet instrument désormais indispensable de notre vie, le résultat sera au bout de nos efforts.
Au demeurant, il faut relever que ce genre de débat n’est pas du tout nouveau dans l’histoire des sociétés humaines. Chaque fois que les « Sachants » qui vivent matériellement et socialement de leur domination de l’accès à la parole ont senti que leur monopole est sous la menace de nouveaux venus, ils ont crié à l’apocalypse sociétale.
Dans son livre « Les Autoroutes de l’Information », Bill Gates nous rappelle qu’avant la découverte de l’Imprimerie par Gutenberg, il n’y avait que quelques copies de la Bible dans toute l’Europe. A la survenue de cette nouvelle technologie de multiplication des supports de connaissances, les rares « savants », qui disposaient de ce précieux Livre qui a profondément influencé l’explication que l’Humanité donnait à sa présence sur Terre, ont graduellement perdu le pouvoir que le monopole de l’accès à cette connaissance et à la parole qui en résulte leur conférait. Ils ont alors promisl’apocalypse.
Quand les « Barbares » ont envahi Rome, les prêtres, qui étaient en complicité avec les tenants du pouvoir dans la cour royale, ont déclaré la fin de la civilisation.
Pendant des siècles, l’histoire de l’Europe (malheureusement, la seule que notre école publique a osé nous enseigner) confirme que quand le Latin était sur le point de perdre son monopole de la seule langue noble ; du fait du retour aux langues usitées par le plus grand nombre des locuteurs, ceux dont le pouvoir n’était basé que sur leur maîtrise du Latin –ce quileur garantissait des privilèges injustifiés- ont annoncé la « fin » du monde.
Plus près de nous, dans cette partie de l’Afrique « islamisée », que n’a-t-on pas essayé pour nous expliquer que la traduction du Coran dans nos langues nationales n’était pas permise à tout le monde ? Là également, c’était certainement un combat pour préserver ces privilègesdans le cercle restreint des « Doomu Soxna » (les héritiers des familles religieuses), pour leur permettre de vivre gracieusement de leur droit de jouissance qui serait comme un legs de leurs familles « bénies de Dieu ».
Ceux qui ont le monopole de la parole sont toujours réfractaires à sa démocratisation
Entendons-nous bien ! Ce long développement ne signifie absolument pas que rien ne doit être fait face à une utilisation nauséeuse de ce nouvel accès à la parole qu’offrent les Réseaux sociaux.Certains, dont l’intérêt du moment est de pouvoir se servir des aspects pernicieux de ces outils pour promouvoir leurs agendas personnels ou de groupes, essayeront sans doute de surfer sur la confusion des concepts de blocage de l’accès à la technologie et la régulation des contenus des interventions, pour parvenir à leurs fins. Certains penseront qu’internet, c’est une zone de non droit, où il est possible de faire ce que l’on veut, en toute impunité… Mais il n’est pas prouvé que la régulation est scientifiquement impossible. C’est absurde même de le penser. C’est non seulement possible, mais aussi souhaitable, sous réserve d’éviter les excès susmentionnés.
Les Réseaux sociaux ne sont que, comme les autres avancées scientifiques et technologiques qui les ont précédés, des instruments que tout le monde peut utiliser à sa guise. Ce ne sont qu’une confirmation du fait que chaque progrès scientifique est un moyen de démocratisation de l’accès à la connaissance. Pour cette raison, faisons la différence entre l’instrument et l’utilisation qui en est faite.
Pour la grande majorité des contenus néfastes diffusés sur ces plateformes, il est scientifiquement aisé de retrouver leurs auteurs. On sait maintenant que les Internet Protocoles (IP) sont pour les ordinateurs, les tablettes et lessmarttéléphones, ce que sont les empreintes digitales et l’ADN, pour le corps humain. Chaque utilisateur de ces instruments technologiques laisse les traces qui peuvent conduire à lui.
Par conséquent,si la société, dans ses segments les plus vitaux, décide de prendre la question à bras-le-corps, il sera possible d’entamer la recherche des solutions aux aspects pernicieux des réseaux. Sans avoir la prétention d’offrir des solutions clé en main, explorons les rôles respectifs de ces segments en question.
De la nécessité de traquer les fauteurs de troubles
Le premier palier relève de l’éducation et non pas seulement de la formation. C’est d’abord la famille qui peut inculquer les valeurs d’éthiques et morales avant que l’éducation civique dispensée à l’école ne vienne prendre le relai. La formation universitaire et professionnelle n’a pas pour vocation première d’inculquer l’honnêteté et le valeurs morales et éthiques en société. Quand on arrive au niveau de l’université ou de l’école de journalisme, le caractère personnel de l’individu est déjà définitivement formaté.
Si la famille et l’éducation de base prennent leur responsabilité, le prochain segment va être l’Etat qui doit s’occuper de sa responsabilité régalienne qui est d’assurer la sécurité des citoyens ; y compris face aux nouvelles menaces crées par le développement technologique. Il ne suffit pas d’avoir les lois pénales les plus sophistiquées. Il faut les moyens indispensables à ceux qui sont chargésde conduire les fauteurs de troubles devant le juge.
Il est sûr que si nos « polices scientifiques » sont dotées de moyens suffisants et débarrassées des pressions politiques, administratives, religieuses, sociétales etc., elles nous protégeront comme elles savent le faire si bien.
Le troisième segment qu’il faut interpeller est constitué des magistrats qui doivent dire le Droit. Il est vrai que ce corps, essentiel à l’équilibre de notre société, ne devrait jamais subir le diktat de la clameur populaire.Ces magistrats doivent être protégés contre les pressions du pouvoir des politiques, des chefs religieux et coutumiers, de la puissance de l’argent et d’autres lobbyistes ; pour leur permettre de se rendre compte que face à cette nouvelle forme d’utilisation des RS, il faut que toute la société dise stop !Ces magistrats sont les derniers remparts de protection de notrevie en commun.
Venons-en au segment qui s’adonne souvent au double jeu : les hommes politiques et ceux qui contrôlent le pouvoir de l’argent. Les politiques sont les premiers à dénoncer les dérives sur les RS. Mais il est prouvé qu’une bonne partie de ces mêmes hommes politiques (de tous bords) est lapremière à utiliserou à parrainer, sournoisement, ce puissant instrument de l’assassinat de l’image d’adversaires.
Cependant, pour les politiques et le monde des affaires, il serait vain de convoquer la moralité avec eux. Cependant, ils sont sensibles à ce que l’électeur et le consommateur pensent de leurs actions. La société pourrait tracer une ligne rouge pour dire à ceux qui nous gouvernent ou aspirent à nous gouverner, que certains agissements ne sont plus tolérables en société.
Quelques pistes de solutions
Et sous ce rapport, la presse professionnelle qui, malgré les apparences,a très peu de choses à se reprocher dansla pollution des RS, peut jouer un rôle de sentinelle. Il est parfaitement envisageable que les organes écrits, audiovisuels et en ligne,puissent développer des rubriques spécialisées pour signaler les parentés génétiques entre les ordures sur les RS et les discours des familles politiques et les tenants du pouvoir de l’argentqui donnent des coups au-dessous de la ceinture en engageantdes mercenaires dans les RS.
Pour en finir avec le monde de la politique et celui des affaires, exigeons de ceux-ci de ne pas intervenir en faveur de pollueurs des RS. Combien de fois il est arrivé qu’un homme politique ou homme d’affaires diffamé, voyant sa vie et celle de sa famille complétement détruite,finisse par renoncer à sa plainte sous la pression partisane ou sociale ? Ayez le courage d’aller jusqu’au bout, pas pour réparer les dommages incurables qui vous sont faits, mais plutôt pour protéger les prochaines victimes.
Un autre segment de la société sénégalaise qui devrait être mis face à ses responsabilitésest constitué de certains chefs religieux et spirituels (« Oustaz » et autres animateurs d’émissions religieuses dans les médias). Il est fréquent, dans plusieurs domaines,de voir des individus commettre une violation de la loi, tout en se disantque le guide religieux va intervenir auprès des autorités pour lestirer d’affaires. Ces pratiques pernicieuses, de la part de certains qui devraient constituer les barrières morales et spirituelles de la société, ne se limitent d’ailleurs pas à voler au secours des auteurs de diffamation dans les RS. On a souvent vu des détourneurs de deniers publics ou même des criminels voir leur chef religieux intervenir, de manière intempestive, pour forcer la main à la Police, aux autorités administratives, voire même aux magistrats.
Une autre décision est aussi à prendre par notre société si nous sommes réellement sérieux dans la lutte pour assainir l’utilisation de ces moyens fabuleux que la science met à la disposition de l’Humanité. Il s’agit de refuser,sous ce rapport, la démagogie de certains groupes politiques et de pression,prompts à crier au complot et à la victimisation, dès qu’un des leurs viole la loi et ayant à faire face aux conséquences de leurs actesodieux.