dimanche, décembre 22, 2024

Qu’est-ce qui pousse les entrepreneurs à adopter des comportements frauduleux ?

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« Fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives vraiment » (Fake it ‘til you make it). « Va vite et casse les codes » (Move fast and break things). Ces mantras de la Silicon Valley sont devenus la philosophie business de nombreux entrepreneurs. Ils ont d’ailleurs fonctionné à merveille pour des entreprises comme Theranos et Facebook… du moins pendant un certain temps. Car aujourd’hui, Theranos n’existe plus et son PDG a été reconnu début 2022 coupable d’accusations de fraude massive. De même, Facebook fait l’objet d’une enquête fédérale pour s’être livré à des « pratiques commerciales trompeuses » (encore une fois).

Mais pourquoi les entrepreneurs et les dirigeants s’engagent-ils parfois dans de telles pratiques antisociales ? Nous avons mené une recherche pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question.

« Joie de la destruction »

Un observateur avisé pourrait de prime abord se demander pourquoi ces mantras cités ci-dessus sont si problématiques. Pourtant, « fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives vraiment » pose souci parce qu’il prescrit des comportements tels que la falsification des informations présentées aux parties prenantes (investisseurs, actionnaires, mais aussi employés et clients), déformant ainsi la proposition de valeur de l’entreprise.

Il ne s’agit pas ici du risque élevé et inévitable que représente la création d’une nouvelle entreprise (« y arriver »), mais plutôt de la déformation intentionnelle des informations présentées aux parties prenantes (« fais semblant »). Dans notre projet de recherche, nous avons considéré ce comportement antisocial pour ce qu’il est, à savoir une forme de tricherie visant à obtenir un avantage commercial déloyal.

De même, s’il n’y pas de problème à « aller vite », l’idée de « casser les codes » peut apparaître problématique. Ce mantra prescrit des comportements visant à « passer à la vitesse supérieure » à tout prix, à transgresser, même si ces actions sont préjudiciables (involontairement) à des tiers. Le problème est que, contrairement aux « codes » ou aux « choses » (des applications ou logiciels par exemple), les personnes ne peuvent pas être « réparées » aussi facilement.

En outre, si cette logique est poussée à l’extrême, les entrepreneurs pourraient être tentés très concrètement d’« aller vite en cassant les codes ou des choses ». Là encore, nous avons qualifié ce comportement en utilisant un concept issu d’un jeu d’économie comportementale, la « joie de la destruction ». Dans ce type de jeu, les joueurs ont le choix de « nuire » volontairement à l’entreprise d’un autre joueur (symbolisant la concurrence, les parties prenantes), sans augmenter leurs profits directs résultant du jeu économique mais en gagnant du statut face aux concurrents.

En adoptant une approche pluridisciplinaire, nous nous sommes interrogés sur les moteurs de ces comportements économiques antisociaux. L’explication évidente serait que les exemples ci-dessus ne sont que des exemples de « brebis galeuses ». Cependant, d’autres éléments pourraient être à l’origine de ces comportements, et notamment le genre.

Genre et leadership authentique

Nous avons mené deux études en laboratoire pour explorer ces questions, l’une portant sur 82 étudiants français d’écoles de commerce, hommes et femmes, et une seconde étude de suivi. Les résultats de la première étude nous ont permis d’obtenir deux informations précieuses : d’abord, les stéréotypes traditionnels liés au rôle du genre (identification à un genre masculin ou féminin) influencent le comportement économique antisocial. Autrement dit, les étudiants masculins étaient plus susceptibles de choisir de « nuire » à la concurrence que les étudiantes.

La deuxième conclusion est relative au leadership positif et authentique : les étudiants qui ont un score élevé sur cette dimension, qui mesure la confiance ou encore la personnalité, ont une probabilité moindre d’adopter un comportement économique antisocial, indépendamment de l’identité sexuelle de l’étudiant.

Une étude de suivi nous a dans un second temps permis d’approfondir les résultats, car ces étudiants n’avaient aucune expérience réelle en tant que leaders ou entrepreneurs. Grâce à cette étude complémentaire impliquant 64 managers et entrepreneurs latino-américains, hommes et femmes, nous avons confirmé les résultats de notre première étude en laboratoire : dans ce nouvel échantillon de participants, nous avons pu constater de nouveau que les hommes étaient plus susceptibles de « tricher » que les femmes, qu’ils soient managers ou entrepreneurs. De même, les hommes ayant obtenu un score élevé sur l’échelle de leadership authentique étaient moins susceptibles de le faire.

Nous avons trouvé un schéma similaire dans le jeu de la « joie de la destruction ». Comme le prescrivent les comportements hyperconcurrentiels du stéréotype de l’entrepreneur, les entrepreneurs (quel que soit leur sexe) sont plus susceptibles de tricher et d’essayer de nuire à leurs concurrents. Il est intéressant de noter que plus les hommes ou les entrepreneurs obtiennent un score élevé sur l’échelle de leadership authentique, moins ils sont susceptibles de manifester ces comportements.)

Vertueuse intégrité

Lorsqu’ils sont poussés à l’extrême, les mantras tels que « fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives vraiment » et « va vite et casse les codes » semblent donc normaliser et entretenir les comportements économiques antisociaux et les pratiques commerciales douteuses. Autrement dit, les entrepreneurs semblent inviter à penser que leurs partenaires (ou la société dans son ensemble) attendent d’eux qu’ils « gagnent à tout prix », même si cela implique des pratiques commerciales douteuses.

Toutefois, nos conclusions ont un côté positif. Nous avons en effet constaté que le fait d’être intègre lorsqu’on occupe un rôle de manager ou d’entrepreneur aide les hommes et les femmes à résister à la pression sociétale de « gagner à tout prix ». Au contraire, les managers et les entrepreneurs authentiques ont tendance à prendre des décisions plus responsables.

À leur tour, ces décisions plus responsables sont susceptibles de protéger leurs intérêts et les ressources que les investisseurs en capital-risque et les autres parties prenantes leur ont confiées à long terme. En d’autres termes, en tant qu’entrepreneur ou dirigeant, ne faites jamais semblant, même après avoir réussi.

Guillermo Mateu, Assistant professor at UV. Research fellow at LESSAC (Laboratoire d’Expérimentation en Sciences Sociales et Analyse des Comportements), Burgundy School of Business., Burgundy School of Business et Lucas Monzani, Assistant Professor of Organizational Behavior, Western University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.