Après avoir annoncé sur les réseaux sociaux qu’il est engagé à l’Institut Africain de Management (IAM) en tant qu’enseignant en sciences juridiques, l’ex capitaine, Seydina Oumar Touré, a vu son contrat résilié 48 heures après. Le Ministère de l’enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) vient d’affirmer qu’il est à l’origine de cette décision prise par l’établissement. Une décision absurde et déraisonnable selon des spécialistes interrogés par Socialnetlink
Selon le communiqué du MESRI, « le Sénégal dispose de plus de 2 000 docteurs, disponibles sur le marché de l’emploi, parfaitement bien formés pour assurer des cours magistraux et d’encadrement. L’enseignement reste une vocation et non un refuge. »
Une déclaration jugée grave, catastrophique et dramatique. Certains spécialistes interrogés par Socianetlink s’indignent même du fait que des autorités de l’enseignement supérieur puissent donner de telles justifications pour que l’établissement mette fin au contrat de monsieur Touré.
Il faut rappeler que l’ex capitaine a soutenu un mémoire de Master 2 à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). C’est par la suite qu’il s’est inscrit en thèse de doctorat. «En plus de ses études, monsieur Touré est un ex capitaine, donc qui a une certaine expérience dans ce métier. Par conséquent, ce profil peut bel et bien assurer des enseignements dans les universités publiques comme dans les établissements d’enseignement supérieur privé » précise notre source.
Dans diverses universités à travers le monde, des doctorants assurent des encadrements et des travaux dirigés comme en France par exemple, pays de référence de l’administration sénégalaise.
Un étudiant détenant un Master 2, souhaitant poursuivre des études en doctorat et qui n’a pas de financement, ni de bourse doctorale, dès son inscription en thèse, peut avoir la possibilité de dispenser des cours. Ce qui est une opportunité d’avoir des ressources financières lui permettant de mener convenablement ses recherches.
C’est la même chose au Canada. Les doctorants, dès leur première année de thèse peuvent occuper des postes de chargés de cours dans l’université ou chargés de recherche.
Pendant ce temps au Sénégal, un pays où il y a un grand déficit d’enseignants dans le supérieur, autrement, pas suffisamment de docteurs et de doctorants, le MESRI invoque de tels arguments si légers sur le recrutement de Seydina Oumar Touré.
«Il sont combien, tous ces titulaires de Master 2, tous ces ingénieurs, ces professionnels, qui donnent des cours dans les universités publiques et surtout dans les établissements d’enseignement supérieur privé?» questionne notre source.
Le MESRI n’est-il pas au courant qu’à l’UCAD, il y a plusieurs doctorants qui assurent des enseignements? Le MESRI ne sait-il pas que dans la plus grande et la première université du Sénégal, il y a des titulaires d’un diplôme d’études approfondies (DEA)- l’équivalent d’un Master 2- qui assurent des enseignements?
«C’est absurde et irresponsable d’avancer de tels propos pour des autorités qui se respectent. Ils n’ont même pas honte de dire qu’il y a seulement 2000 docteurs pour tout un pays qui aspire à l’émergence, à un enseignement supérieur de qualité. Depuis quand les textes ont-ils changé? Au Sénégal, un titulaire d’un Master 2 peut enseigner dans un établissement supérieur sans autorisation. Rappelons que c’est le diplôme d’études approfondies (DEA) qui a été remplacé par le Master 2 à la suite de l’adoption du système Licence Master Doctorat (LMD)» martèle encore notre interlocuteur.
Le Sénégal, un pays en déficit d’enseignants- chercheurs
En 2015, rien que dans l’enseignement supérieur public, le Sénégal comptait seulement 2 037 enseignants- chercheurs pour 123 121 étudiants.
« En conséquence, pour atteindre la norme UNESCO ou OCDE, le Sénégal devrait disposer d’un effectif d’enseignants-chercheurs de l’ordre de 5 353 (respectivement 7 943) pour encadrer ses 123 121 étudiants. Il y avait donc un déficit de 3316 enseignants-chercheurs à combler en 2015 pour satisfaire la norme UNESCO».
Pendant ce temps, chaque année, le nombre d’étudiants augment en dizaine de milliers, contrairement au nombre d’enseignants- chercheurs.
Ce qui fait qu’en 2018, le nombre d’étudiants était estimé à 190 145 avec une proportion de 35% dans le privé. Or, rien qu’en 2021, 68 683 élèves ont obtenu leur baccalauréat. Imaginez alors le nombre d’étudiants en 2022. Rien que le public a des déficits en enseignants- chercheurs, le MESRI parle de 2 000 docteurs pour un pays qui compte plus de 200 000 étudiants.
Le MESRI ignore les textes qui régissent l’enseignement supérieur
Le communiqué publié ce jour montre encore, l’incompétence de ceux qui dirigent ce pays. Ainsi, il est bon de rappeler l’importance du Décret présidentiel 2011- 1030 du 25 juillet 2011 portant statut des Établissements Privés d’Enseignement Supérieur.
Au chapitre III, intitulé « Des titres et diplômes exigibles du personnel enseignant et de direction », dans l’article 13, il écrit :
« Nul ne peut enseigner dans un Établissement Privé d’Enseignement Supérieur s’il ne satisfait pas aux conditions suivantes :
a) Pour enseigner dans le premier cycle
– avoir au moins une maîtrise (Baccalauréat + 4) de l’enseignement supérieur ou tout autre diplôme équivalent, ou le diplôme d’ingénieur de la spécialité ;
– avoir une expérience professionnelle d’au moins cinq (05) ans.
b) Pour enseigner dans le second cycle
– avoir au moins un Baccalauréat + 5 : Diplôme d’Études Approfondies (DEA), Diplôme d’Études supérieur spécialisées (DESS), Master ou tout autre diplôme admis en équivalence ;
– avoir une expérience professionnelle d’au moins trois (03) ans.
c) Pour enseigner dans le troisième cycle
– avoir le doctorat ou tout autre diplôme admis en équivalence. »
En conséquence, d’après les textes, l’ex capitaine peut enseigner au premier cycle comme au deuxième cycle.
Alors comment le directeur de l’enseignement peut-il évoquer le statut de docteur pour dispenser des cours jusqu’à mettre la pression sur l’établissement ?
Il semble que le MESRI oublie que les universités sont libres de recruter qui elles veulent. On parle d’approche par les compétences. Dans tous les pays du monde, dans les écoles de formation, on retrouve des professionnels détenteurs de Master 2, des ingénieurs, qui dispensent des cours. Ainsi, il suffit que l’établissement trouve son intérêt dans le recrutement de l’enseignant qui a le diplôme et l’expérience dans le domaine.
Publié, le communiqué a été supprimé de la Facebook du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, en moins d’une heure. Ce qui prouve encore que ce communiqué, cette implication du MESRI est une grosse bourde impardonnable.