Le marché du mobile money en Côte d’Ivoire et au Sénégal a pendant longtemps été dominé par les opérateurs de téléphonie mobile, dont Orange qui reste le solide leader du secteur. Le géant français n’a rien vu venir lorsque la fintech américaine s’est installée d’abord au pays de Senghor ensuite celui de Boigny. Orange doit désormais partager le marché avec Wave, qui est très appréciée par les populations dans les deux pays respectifs. Les groupes multiplient les opérations de charme et tous les coups sont permis entre les deux protagonistes pour maintenir son leadership sur le marché du transfert d’argent.
Si la guerre du mobile money se mène en Afrique, le Sénégal et la Côte d’Ivoire constituent un bon terrain. Depuis un certain temps, Wave et Orange Money multiplient les stratégies pour dominer le marché des transactions d’argent via la téléphonie mobile. Orange Money a été maître du jeu pendant longtemps au Sénégal, causant la disparition de Wari et de Joni Joni. Seulement, la fusée lancée depuis la Silicone Valley a détruit tous les plans du géant français. Ce qui a poussé Orange à casser les prix. Fondée par deux Américains (Drew Durbin et Lincoln Quirk), la fintech Wave a débarqué en 2016 au Sénégal et s’est installée l’année dernière en Côte d’Ivoire. Elle s’est fixée l’objectif de transférer de l’argent à des coûts hyper compétitifs en Afrique. Son opération de séduction a été à l’origine d’un succès immédiat.
Dans cette guerre économique, c’est œil pour œil et dent pour dent. En septembre 2021, la startup annonçait un investissement de série A de 200 millions de dollars qui a fait grimper sa cote à 1,7 milliard de dollars. Le 20 octobre, Orange annonce finalement la gratuité des transferts. Simultanément, les retraits sont facturés à 1% (contre 1% pour les transferts et 0% sur les retraits chez Wave). L’offre ultra-compétitive que la startup américaine (spécialisée dans les transactions low-cost) a imposée depuis mai 2020 fait réagir très vite le géant français. Le leader des télécoms a décidé début juin 2020 de bloquer la possibilité d’acheter du crédit téléphonique via son application mobile et son code USSD.
Une bonne entrée en jeu en Côte d’Ivoire
Selon Bruno Belinga, Directeur de Wave Côte d’Ivoire, la fintech américaine a voulu apporter la solution du mobile money accessible, abordable et très efficace et qui répond à leur besoin.
En partenariat avec la Banque UBA et soutenue par des investisseurs mondialement réputés tels que Founders Fund, Y Combinator, Partech Africa et Stripe, Wave a réussi à lever des fonds pour financer ses activités en Afrique. Contrairement aux acteurs traditionnels qui taxaient tous les services liés au mobile money, Wave s’est spécialisée dans les transactions à bas coût (seulement 1% pour les transferts d’argent) et gratuits pour le reste des prestations (factures, dépôt et retrait d’argent, achat de crédit téléphonique, etc.). Elle fonctionne à partir d’une application mobile et offre à ses abonnés « un réseau de services financiers sans frais de gestion de compte, disponible instantanément et partout ».
Le modus operandi de Wave à casser les prix a occasionné un changement majeur dans la manière dont son principal concurrent Orange a dominé le marché pendant une bonne période du mobile money. Mais, au-delà de l’aspect marketing, ce choix lui a immédiatement permis de gagner une opinion favorable auprès des couches populaires et vulnérables qui ont toujours jugé les tarifs du géant français trop élevés. Wave a fini par marquer les esprits des populations africaines, particulièrement celles de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. « En termes de service, nous avons déjà un excellent service de qualité. Les clients sont très ravis de l’application. Ils ont un support téléphonique qui répond à leur besoin. En plus du service de qualité, il y a les coûts. Les coûts qui étaient appliqués sur le marché n’étaient pas du tout adaptés à nos latitudes. Les coûts sont exorbitants au niveau des transferts », a fait savoir M. Belinga à l’émission « Invité du Cash » de la RTI du 13 octobre 2021.
L’Artp fait la police et rétablit l’ordre
La problématique de coût de la vie étant au cœur des préoccupations des populations africaines, cette stratégie a eu pour mérite de lui donner une image très positive. Cette opération de séduction n’a pas été sans conséquences pour Orange Finance Mobile qui a vu ses affaires en chute libre. Coup pour coup, le « français » ne s’est pas laissé faire. La première alerte a été l’arrêt d’une collaboration. À la suite d’un malentendu sur les conditions de rémunération, le service d’achat de crédit téléphonique Orange a été bloqué sur la plateforme de Wave.
La fintech américaine a choisi d’attaquer Orange au plan juridique, sans omettre de prendre l’opinion publique à témoin sur les agissements de Orange à travers un communiqué. Ainsi, une plainte a été déposée devant l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (Artp) pour arbitrage. L’Artp, à titre conservatoire, a demandé à la Sonatel (Orange) d’appliquer « sans réserve, les principes de traitement et d’accès, de transparence et de non-discrimination, en accordant à Wave Mobile Money Sa les mêmes conditions que celles appliquées à ses filiales ou à ses associés notamment Orange Finance Mobile… ». Cette décision peut être considérée comme une première victoire pour Wave car en la matière, les lois ne sont pas précises.
La contre-attaque d’Orange Finance Mobile Sénégal
Le groupe français a fêté ses 12 ans de Finance mobile le 23 novembre 2021. En effet, Orange a procédé à une baisse des coûts d’envoi à 0,8%. « Les bonnes nouvelles que nous apportons au marché, à nos clients et les partenaires distributeurs avec qui nous travaillons depuis plus de 12 ans maintenant, à construire et à créer une plateforme de service financier sur le mobile pour renforcer l’inclusion financière, sont simples. Il y a une grosse baisse tarifaire. Désormais, le retrait d’argent est gratuit. Les frais d’envoi sont à 0,8%. Pour ceux qui en douteraient, c’est inférieur à 1%. Ce sont les tarifs les moins chers d’Afrique », a fait savoir Cheikh Tidiane Sarr, le Directeur d’Orange Finance Mobile Sénégal.
Il y a quelques semaines, la presse informait que le Directeur général d’Orange Middle East and Africa, Alioune Ndiaye, avouait qu’Orange Finance Mobile avait perdu du marché. En effet, dans son rapport du troisième trimestre de l’année 2021, le groupe reconnaissait que « la forte concurrence que subit Orange Money a entraîné une baisse de revenus des services financiers ». Le problème étant identifié, il leur était facile d’arriver à bout de ce dernier. Aussi, il avait compris qu’agir était urgent. M. Ndiaye d’ajouter : « notre riposte doit être rapide et efficace. Il faut changer notre modèle économique. Nous n’avons plus le choix. Le modèle qui fait payer au client le retrait de son argent ne peut vivre longtemps. Il faut adapter nos tarifs en conséquence ».
Une guerre d’opinion sur les réseaux sociaux en faveur de Wave
Cheikh Tidiane Sarr justifie cette baisse tarifaire par le fait de renforcer l’écosystème des services financiers au grand bonheur du consommateur sénégalais. Cette justification ne convainc pas les clients qui semblent être décidés à s’orienter entièrement vers les services de Wave. Les réactions des internautes ont été instantanées. Dans un post sur Facebook, on peut lire : « Orange ne se soucie jamais de ses clients, mais de sa concurrence », avec une image sur laquelle une croix est mise sur le logo d’Orange. D’autres séries de fresques caricaturales ont été également publiées dans plusieurs réseaux. On peut voir le Pingouin tenant un couteau pour couper l’orange. Et à la fin, une orange coupée en deux avec un geste du célèbre Tiktokeur Khaby Lam fait par le Pingouin. Tous les posts sur les réseaux démontrent un soutien à Wave, mais une marque de fidélité à la fintech américaine.
Ce constat n’est pas seulement du côté du Sénégal. Les réactions sont également vives en Côte d’Ivoire. Un passage en revue de l’activité sur les réseaux sociaux nous permet d’observer l’activisme de Wave, à travers de nombreux fan-club (Family Wave Côte d’Ivoire, Amis Wave Ci, Team Wave Sénégal, etc.) qui relaient quotidiennement des messages de soutien et des expériences positives d’utilisation de ses produits. Pour le groupe Facebook « Team Wave CI » qui revendique plus de 110 000 abonnés, l’objectif tel que mentionné sur leur page est de « faire connaître Wave et ses avantages et rassurer les populations de sa crédibilité ». Quant au groupe « Famille Wave Côte d’Ivoire » qui a plus de 100 000 abonnés, il soutient que « la cherté de la vie nous interpelle tous, Wave et sa politique de baisse tarifaire est la bienvenue ». Le Pingouin compte-t-il continuer à presser l’orange ? Apparemment les clients ne sentent pas le jus amer.