Nous devons nous donner le temps de mener des enquêtes, de nous départir de cette logique commerciale qui nous astreint à surfer sur l’information. Les grands reportages, les grandes enquêtes et l’investigation nécessitent du temps, des moyens, des preuves et du sérieux. Dans notre corporation, la race des grosses plumes s’éteint. Sous peu, les Babacar Touré, Ibrahima Fall, Vieux Savané, Ibrahima Bakhoum, Pathé Mbodji, Yakham Mbaye, Madior Fall, Razak Ndiaye, Tidiane Kassé, Aly Konté, Babacar Khalifa Ndiaye, Mbaye Loum, Abdourakhmane Koîta, Djadji Touré, Abdourakhmane Camara, Mamadou Omar Ndiaye, Demba Ndiaye, Pape Samba Kâne, Ndiaga Sylla, Alioune Fall, Latif Coulibaly, Ibou Fall, Diatou Cissé, Issa Sall, Alpha Abdallah Sall, Thierno Talla, Bara Diouf, Amadou Fall, Dié Maty Fall, Soro Diop, Mamadou Sy Albert, Matar Sylla, Babacar Diagne, Antoine Ngor Faye, Omar Faye, Assane Saada, Momar Diongue, Bamba Diallo, Jacqueline Fatima Bocoum, Henriette Kandé et des confrères de la trempe des sus nommés deviendront des perles rares.
La culture, la mise, l’humilité, le professionnalisme, la patience, le verbe et la crédibilité caractérisent ces hommes. Ils ont donné à la profession ses lettres de noblesse. Du temps de ces génies de la plume, le journaliste était adulé et cru. Maintenant, il décline son identité la tête basse. Il est assimilé à un menteur. Il joue plus le rôle de catalyseur d’histoires. Quand deux camps se crêpent le chignon, chaque organe affiche son camp. Fini le temps où l’organe n’accordait le droit de réplique qu’en ayant traité l’information en amont. Aujourd’hui, le journaliste prend une journée pour rédiger un papier, le lecteur perd une demi-heure pour passer en revue la presse quotidienne. L’absence d’articles fouillés, la prolifération des faits divers, la ressemblance suspecte des papiers, la multiplication des démentis et les longues revues de presse des radios permettent au lecteur de ne plus s’éterniser sur les quotidiens.
Et Mame Less Camara de renchérir les journalistes sénégalais prennent tôt leur retraite, ils ont du mal à rester reporteur à partir de quarante ans. Selon eux, la bureaucratisation est la consécration or le journaliste ressemble au bon vin. Plus il prend de l’âge, mieux il barricade ses papiers. Cette conviction, le confrère l’exprime et la vit. De tous les aînés, il est le seul à encore aller en reportage. Il est à cheval sur les générations. Le jeune doyen s’est rebiffé après sa maladie. Il refuse de se calfeutrer dans un bureau douillet. Less a remis ses chaussures de reporteur pour se rapprocher du champ de l’information. Madiambal Diagne le talonne de prés. Il sillonne les pays limitrophes pour des messages de soutien aux confrères en difficulté. L’ancien greffier est un mystère. Tout le monde se demande qui est derrière lui ? Qui est son bailleur?
Nous assistons à l’irruption de patrons n’ayant jamais fréquenté une rédaction respectée. Le ridicule ne tue plus. Le public s’étonne de la floraison des titres à Dakar. Qui veut se lance dans le métier avec les moyens du bord et recrute des mercenaires corruptibles à souhait. Les dommages collatéraux de leur papier et la valorisation du statut de journaliste les laissent de marbre. Les quotidiens, en général, n’ont plus de correcteur. Ils sont truffés de faute de syntaxe, de grammaire et de conjugaison. Le public ne devrait pas s’en plaindre puisqu’il accepte la médiocrité au point de jeter son dévolu non pas sur le journal qui informe le mieux mais plutôt sur celui qui propose le plus de faits divers et de jeux. Plus de grandes plumes et plus de grands lecteurs. Peut-être aussi on peut affirmer l’inverse : plus de grands lecteurs, plus de grandes plumes. Rares sont ceux qui lisent Sud Quotidien et des journaux du même standing. La majorité préfère les mots fléchés et les chiens écrasés. Conscients de la situation, les directeurs de publication optent pour l’augmentation de leur avoir.
Nous utilisons les termes gifler, égorger, gicler et piquer pour désigner les corrupteurs généreux et discrets. Pire, nous nous filons les coordonnées des grands donneurs de pot de vin…
Quand les journalistes aux mains propres se préoccupent d’angles de traitement pour tirer à leur interlocuteur les vers du nez, d’autres, à leur insu, négocient le montant du billet du retour avec les organisateurs. Les négociateurs font circuler une feuille de présence. Les reporters y cochent leur nom et leurs coordonnées téléphoniques. Il arrive que les négociateurs les appellent pour leur demander de passer prendre la prime de transport or rien n’indique le montant arrêté avec les organisateurs. Parfois, l’argent est retiré au nom du reporter et consommé à son insu. C’est du vol. Les journalistes des rédactions où la concurrence est sérieuse n’ont pas le temps d’attendre la remise de ces misérables perdiems. De plus en plus, des confrères croyant être dans leur bon droit soutiennent ne rien demander mais être prêts à empocher les billets de banque des corrupteurs.
La corruption se maquille, plutôt on sait la maquiller. Elle se décline sous plusieurs formes.
Ben Makhtar Diop, dans Enquêteplus