jeudi, décembre 26, 2024

Les jeunes, plus réticents que leurs aînés à agir contre la pollution numérique ?

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Imaginez que notre messagerie intègre un compteur calculant son impact écologique, ou un indicateur des ressources naturelles contenues dans notre téléphone ou notre portable. Comme l’agroalimentaire, qui complète le « nutri-score » par un « planet score » ou un « ecoscore », nous pourrions disposer d’indicateurs comparables pour mesurer notre pollution numérique.

Dans un monde où tout se quantifie, cette question apparaît essentielle pour que nous percevions davantage les conséquences de notre utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), notamment leurs consommations énergétiques.

La dernière étude de l’Ademe donne le numérique responsable de 10 % de la consommation électrique en France. Les évolutions récentes dues au confinement, comme le télétravail, ne sont pas encore mesurées.

Ce sujet a été le thème d’un travail d’abord individuel puis collectif dans le cadre d’un cours d’initiation à la recherche en Bachelor à l’Essca lors du dernier trimestre 2021. À partir d’un entretien envoyé massivement, puis complété par d’autres semi-directifs : au total, 400 personnes réparties en trois tranches d’âges (génération Z, génération Y et Z et retraités) auront participé à notre étude. Penchons-nous sur les résultats.

La « sobriété numérique », encore méconnue

Commençons par le terme de « sobriété numérique », employé dans le premier questionnaire, qui à lui seul suscite des interrogations : le sujet de l’impact écologique du numérique semble largement méconnu, quel que soit l’âge concerné.

Nous avons donc commencé par des illustrations de cette pollution pour interpeller les répondants : combien avez-vous de téléphones et de chargeurs inutilisés ? Avez-vous une idée de l’impact écologique d’une visioconférence ? Nettoyez-vous votre messagerie régulièrement ? Cette courte énumération permet alors à l’interlocuteur de mieux cerner la notion et éventuellement de nous faire part de ses pratiques.

Il émerge trois profils-types parmi nos interrogés : la génération Z, les générations X et Y, et les retraités.

Générations Z, X et Y : la pollution numérique secondaire

Zoé et Léo sont encore étudiants, parfois aux portes du monde du travail, ou à peine entrés dedans. Bien sûr, ils sont conscients de l’importance de l’écologie et partagent les idées de Greta Thunberg. Ils ne comptent plus les téléphones, tablettes, chargeurs, câbles, enceintes et écouteurs connectés qui font partie de leur quotidien. L’écran est un élément essentiel et le temps passé à l’utiliser ne se mesure plus. Alors, quand il est question de changer les comportements et de restreindre l’usage du numérique, l’écologie devient secondaire. « Elle (la pollution) existait avant ». La réponse oscille entre « WTF » et « OK boomer ».

Favorable à l’économie circulaire, le portable reconditionné séduit peu : l’attrait de la nouveauté reste encore vif, les incertitudes de la vie antérieure sont un frein. La différence de prix ne semble pas être un critère décisif. Mais cela reste une bonne idée, « si les autres l’adoptent ». Surtout, le numérique véhicule une idée d’indépendance et d’autonomie qui s’assimile à une forme de liberté quasiment sacralisée : « C’est à moi ». Donc je consomme si je veux. À ce titre, la possibilité d’une taxe pour compenser l’externalité de la pollution numérique est largement rejetée.

Candice et Ruben sont de jeunes actifs. Entre (télé) travail et activités personnelles, les écrans sont bien présents, et leur nombre aussi. La sobriété numérique, ils connaissent car le terme a surgi dans le monde professionnel. Un téléphone reconditionné, pourquoi pas ? Mais finalement, vu l’écart de prix… Nettoyer sa boîte mail ? Quand j’ai le temps. D’ailleurs, combien en ai-je ? Le sujet de la pollution numérique et de la sobriété reste encore très théorique. Plutôt une idée intéressante qu’une pratique.

Retraités, le numérique de récup’

Monique et Roger quant à eux profitent de leur retraite. Les enfants et petits enfants donnent volontiers leurs anciens appareils aux aînés, qui donc n’en manquent pas. Ils font ainsi de la récupération… peut-être un peu forcée. D’ailleurs, pour eux, c’est vraiment en fin de vie qu’il faut songer à en changer. Pour eux, le numérique, c’est surtout le lien avec leurs proches. Alors, avec ce téléphone ou un autre ?

La sobriété numérique ne leur parle pas en tant que concept. En revanche, puisqu’ils ont le temps, ce sont eux qui nettoient le plus fréquemment leurs messageries – moins pleines que celles de leurs petits-enfants, moins nombreuses que celles de leurs enfants.

Finalement, comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, la sobriété numérique leur est familière dans la vie de tous les jours. Ils sont réceptifs à cette notion car ils veulent laisser un monde « pas trop pourri à leurs petits enfants ». De ce fait, le recyclage des vieux appareils leur apparaît naturel.

Écarts entre la parole et le geste

Au-delà du terme, il existe donc un besoin de pédagogie, de concret et d’exemples parlants. Une fois celle-ci appréhendée, les plus âgés interrogés se montrent réceptifs, conscients de l’importance du sujet, n’hésitant pas à l’approfondir et envisageant d’adapter leurs comportements au bénéfice des générations futures. La notion est encore méconnue, certes, mais elle est en bonne voie pour recevoir un accueil positif.

À l’inverse, les plus jeunes se montrent plus réticents à faire œuvrer d’un effort laborieux. Il y a donc un paradoxe à explorer entre cette identification à des enjeux écologiques ambitieux et planétaires et des pratiques quotidiennes contraignantes. D’ailleurs, ceux qui marchent pour le climat sont-ils les mêmes que ceux qui rechignent changer leurs habitudes ? Ceci mérite assurément une étude afin de mieux comprendre cette situation.

Cette étude pose autant de questions qu’elle apporte de réponses. Elle souligne en tout cas que faute d’éducation et de pédagogie, notre consommation énergétique liée aux TIC risque fort de rester un sujet à moyen et long terme…

François Delorme, Maître de conférences en sciences de gestion, chercheur associé CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.