dimanche, novembre 24, 2024

Ce qu’on n’enseigne pas

0 commentaire

Pendant très longtemps, (en fait, des millénaires) l’enseignement se limitait à former les  plus jeunes à reprendre les métiers de leurs parents, (et surtout de leurs pères, puisque cela concernait surtout les garçons). Les parents les mieux placés dans la hiérarchie sociale (princes, prêtres, officiers) avaient de l’aide pour cela et formaient aussi leur personnel (scribes, médecins, enseignants, soldats). Les autres (paysans, artisans)  formaient eux-mêmes leurs enfants. Et les jeunes, dans toutes les classes sociales, n’apprenaient rien d’autre que ce métier. Les filles n’apprenant que les rudiments de l’économie ménagère et des soins à donner aux enfants. Il y eut bien sur des exceptions, et des gens d’exception, sortis de nulle part,  qui firent d’incroyables parcours, dans tous les domaines.

Puis, très récemment, (en fait seulement depuis le 18ème siècle), on commença à accepter de former de plus en plus de gens à pratiquer tous les métiers, dont l’intitulé restait relativement stable (médecin, avocat, ingénieur, commerçant) et qui s’ouvraient ainsi peu à peu à tous les groupes sociaux. Ces enseignements étaient alors donnés dans des institutions spécialisées, publiques ou privées, en charge de l’éducation des jeunes, pendant une durée quotidienne et un nombre d’années croissant : des écoles et des universités.

En même temps, progressivement,  apparaissaient subrepticement, puis très visiblement, des activités périscolaires (cours complémentaires, études surveillées, cantines, activités sportives et artistiques,  scoutisme, colonies de vacances, transports scolaires) longtemps très sous-estimées, négligées, mal préparées, qui occupent maintenant dans de nombreux pays, et  pour des jeunes de plus en plus nombreux, un temps  quotidien plus important que celui passé à l’école.

Dans l’avenir, il faudra complètement transformer encore une fois le système éducatif. D’abord parce qu’il va falloir former les jeunes à des métiers qui n’existent pas encore,  et  dont on  ne peut même pas deviner la nature. Ensuite parce qu’il faudra former en permanence tous les adultes à des compétences sans cesse nouvelles.

Et il faudra même en arriver à admettre que se former est une activité socialement utile, méritant rémunération.  Et que, en conséquence, tout élève, tout  étudiant doit être rémunéré pour apprendre ;  et que, inversement, nul ne pourra être rémunéré s’il n’apprend pas.

Ensuite encore, il faudra considérer comme un personnel éducatif tous ceux qui passent du temps avec les enfants, et leur  transmettre plus que des rudiments pédagogiques. Cela concerne le personnel des clubs de sports, des conservatoires de musiques,  des écoles de dessin comme celui des cantines et des transports scolaires, et de tous ceux qui, de près ou de loin, occupent un peu du temps des jeunes.

Mais plus encore enfin, dans l’avenir, il faudra  se préoccuper de former ceux qui  occupent le  troisième tiers de la vie des enfants, évidemment le plus important : les parents.

Il est insensé qu’on laisse, partout dans le monde, et depuis toujours,  chacun des jeunes adultes  fondant une famille, sans aucune formation, sinon celles qu’ils peuvent trouver au hasard  de lectures plus ou moins sérieuses. Alors qu’il faudrait les former à des disciplines majeures, dans des domaines essentiels, qui conditionnent la vie toute entière des générations futures : personne en particulier  n’enseigne aux futurs parents quel usage faire de la discipline, comment développer la curiosité et la motivation de leurs enfants, comment gérer les écrans, comment organiser la complémentarité des membres de la famille, comment équilibrer vie de famille et solitude, comment éviter de mêler les enfants aux disputes des parents, comment leur transmettre une éducation sentimentale et sexuelle, comment éviter toute forme de violence physique ou verbale, comment aider chaque enfant à se trouver, à « devenir soi », comment les aider à devenir eux-mêmes parents ; et tant d’autres choses. Alors qu’il existe depuis des décennies des bibliothèques entières d’analyses des meilleurs pratiques en ces matières. On ne peut évidemment pas aller jusqu’à  imaginer un « permis d’être parent », mais on peut au moins être plus exigeant dans la façon dont la société peut s’octroyer le droit de retirer les enfants à des  parents indignes ; et  au moins  leur proposer quelques rudiments  de formation dans les domaines essentiels.

Seules les sociétés qui prendront au sérieux le métier de parents auront un avenir décent.

j@attali.com