La condamnation cette semaine en Californie de la fondatrice de Theranos, Elizabeth Holmes, reconnue coupable d’escroquerie envers ses investisseurs, est un coup de semonce pour les entrepreneurs de la Silicon Valley qui savent désormais qu’ils risquent la prison si leurs trop belles promesses ne se réalisent pas.
Mais l’industrie des nouvelles technologies brasse des centaines de milliards de dollars dans sa course au nouveau concept révolutionnaire et il est peu probable qu’elle change sa façon de faire. Pour de nombreux experts, le mantra « fake it till you make it » (« fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives ») a encore de beaux jours devant lui pour courtiser les investisseurs.
« N’importe quel créateur de start-up qui pense que sa technologie n’est pas encore au point mais qu’elle finira par l’être devrait se sentir très nerveux », estime Aron Solomon, responsable juridique chez Esquire Digital.
« Je vous parie que beaucoup d’entrepreneurs ont suivi le procès et se sont dit qu’ils avaient probablement fait certaines choses qu’on reproche à Elizabeth Holmes », poursuit-il.
La patronne déchue a été reconnue coupable de plusieurs chefs de fraude pour avoir menti à ses investisseurs: elle promettait de révolutionner le marché des tests sanguins avec ses machines capables selon elles de dépister une kyrielle de maladies, du cancer au VIH, à l’aide de quelques gouttes de sang.
Les investisseurs, emballés par l’argumentaire et la force de conviction de Mme Holmes, avaient injecté des centaines de millions de dollars dans ce qui promettait d’être le futur Apple ou Google.
Sauf que les fameuses machines de Theranos n’ont jamais réellement fonctionné et que le pot-aux-roses a fini par être dévoilé par une enquête du Wall Street Journal en 2015.
Les trois mois du procès organisé à San José, au coeur de la Silicon Valley, ont mis en lumière la limite parfois très ténue entre le culot commercial et le mensonge pur et simple dans le monde de la « tech ».
Pour M. Solomon, ceux qui lancent des start-up ont besoin de faire briller les yeux de leurs interlocuteurs s’ils veulent obtenir leur soutien, et parlent volontiers au présent de technologies qui n’existent pas encore.
« Vous faites toujours semblant, vous essayez d’embellir votre produit en en rajoutant constamment », dit-il.
Mme Holmes a d’ailleurs maintenu durant son procès qu’une nouvelle génération de machines pour des tests sanguins était sur le point d’aboutir et aurait bien tenu ses promesses.
Le problème avec ce modèle se pose lorsque le succès promis s’avère n’être qu’un mirage, comme dans le cas de Theranos, relève l’analyste Patrick Moorhead, spécialisé dans les nouvelles technologies.
« Il y a une différence entre avoir une vision audacieuse et mentir aux investisseurs. Je pense que c’est ce que nous voyons dans ce cas », dit-il.
Capital-risque
Dans la Silicon Valley, on ne compte plus les histoires de jeunes étudiants brillants devenus milliardaires après avoir délaissé leurs cours pour développer une bonne idée. Les fleurons du capitalisme mondial, du Microsoft de Bill Gates à l’Amazon de Jeff Bezos en passant par Steve Jobs et sa firme Apple, ont tous suivi cette voie.
Mais pour chaque Steve Jobs, des centaines d’autres aspirants milliardaires voient leur idée lumineuse disparaître dans les limbes.
Les experts en « capital-risque » écoutent à longueur de journée les argumentaires de ces entrepreneurs, à charge pour eux de débusquer la pépite où placer sa mise.
Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que les patrons de start-up exagèrent et enjolivent pour décrocher un financement.
« Rien ne va vraisemblablement changer sur ce point », pronostique Wesley Chan, de la société d’investissement Felicis Ventures. « Tout le monde considère qu’Elizabeth Holmes est l’exception, pas la norme, mais en réalité ce type de comportement est bien plus répandu dans notre secteur d’activité », assure-t-il.
Paddy Cosgrave, fondateur et dirigeant du salon technologique Web Summit, n’est pas de cet avis. « Avec toutes ces sociétés qui lèvent tellement d’argent, il faut partir du principe que certains vont finir par enfreindre la loi », déclare-t-il à l’AFP.
« Mais je ne pense pas que ce soit une question de culture. Je ne pense pas que le monde de la +tech+ soit fondamentalement pourri », insiste-t-il.
Fondatrice de la start-up Extended Reality Group, Kristin Carey s’attend à ce que la condamnation d’Elizabeth Holmes incite les investisseurs à demander davantage de garanties aux créateurs d’entreprises.
Et selon elle, ce n’est pas nécessairement une bonne chose: « Si on avait passé sur le grill certains des créateurs qui ont réussi aujourd’hui, est-ce qu’ils seraient là? ».
Avec AFP