Porteur d’espoir, les découvertes de gaz et de pétrole ne semblent pas suffire pour mettre le Sénégal sur la voie de l’eldorado.
Depuis avant-hier, les passions se déchainent autour des recettes issues des hydrocarbures. Mais si l’on n’y prend pas garde, la montagne risque d’accoucher d’une souris. A Diamniadio, ils ont été nombreux à alerter dans ce sens. L’un des premiers orateurs à poser le débat, c’est l’éminent économiste, le recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Amadou Aly Mbaye. Il affirme : ‘’… La malédiction des ressources naturelles s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, il y a les risques de conflits liés à la répartition des revenus. Deuxièmement, il y a le phénomène de la volatilité de la croissance et des recettes budgétaires liées aux hydrocarbures. Mais l’effet le plus pernicieux des hydrocarbures, à mon avis, c’est ce que nous, économistes, nous appelons le ‘syndrome hollandais’.’’
Il s’agit, selon lui, d’une maladie qui frappe souvent les pays riches en ressources naturelles. Cette maladie, renchérit le recteur de l’Ucad, se caractérise par une hypertrophie du secteur pétrolier et un affaissement des autres secteurs. En outre, précise l’économiste, les ressources naturelles génèrent très peu d’emplois ; contrairement à ce que pensent certains. Il se justifie : ‘’Comme les statistiques de ces dernières années au Sénégal le montrent, leur part dans les exportations tourne autour de 40 %. Mais leur part dans l’emploi, c’est moins de 1 %. La bonne nouvelle est qu’il y a, au niveau de nos universités, beaucoup de solutions permettant de développer des métiers autour de ces ressources naturelles. Lesquels métiers permettent de booster la croissance et de générer des emplois. Par exemple, la boue des hydrocarbures peut être recyclée en fertilisant ou en combustibles’’.
En attendant le démarrage de l’exploitation, ce qui préoccupe le plus les pouvoirs publics, c’est la suspension des financements dans ce domaine devenu stratégique. Et à entendre les experts lors des concertations, il y a vraiment de quoi nourrir des craintes à ce niveau. Selon le vice-gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Mamadou Diop, c’est une tendance lourde dans les négociations au niveau mondial. Au président de la République qui évoquait ses craintes, il déclare : ‘’Monsieur le Président, je confirme vos appréhensions. Des règles sont en train d’être prises au niveau international, même au niveau du secteur financier, pour une raréfaction des ressources concernant les secteurs du gaz, du pétrole et du charbon. Et ça, on ne peut pas l’accepter.’’
Mais quelles sont donc les marges de manœuvre des pays en développement pour barrer la route à cette volonté des pays les plus développés ? A entendre le représentant du gouverneur de la BCEAO, la tâche risque d’être ardue. Il affirme : ‘’C’est une question de négociations. Il faut que l’Afrique se dote d’un dispositif pour convaincre nos partenaires que nos pays ont besoin de ces ressources pour leur développement. En conséquence, c’est une dérogation à demander. Nous comptons sur votre présidence de l’Union africaine pour porter ce combat, avec vos homologues chefs d’Etat, ainsi que toutes les forces vives de l’Afrique.’’
Dans la même veine, le représentant du groupe Oïl and Gas de la diaspora sénégalaise a mis en garde contre cette volonté des pays puissants à mettre un terme aux financements. En Europe, si on en croit l’expert, des actes concrets ont été posés dans ce sens, ‘’dans le contexte du Europeen Green Deal qui amène certains bailleurs à ne plus suivre les opérateurs au Sénégal, de peut-être réorganiser cette question’’. Pour aider le Sénégal à faire face à ces contingences internationales, le groupe des professionnels de la diaspora se dit prêt à travailler de concert avec le cabinet du président, le Cos Petrogaz, avec les ministères concernés et toutes les entités pour relever tous les défis liés à l’exploitation de cette ressource stratégique.
Selon leur représentant Issa Diop, il convient toutefois de souligner que 70 % de la consommation mondiale de GNL concerne trois pays : la Chine, le Japon et la Corée du Sud.
Sur cette question, le président de la République pourra compter sur une partie de son opposition dont Mamadou Diop Decroix. Selon le leader d’AJ, il est inacceptable pour l’Afrique de se soumettre au diktat des pays forts sur le sujet. Ancien président de la Sous-Commission contenu local pétrole et gaz dans le cadre du Dialogue national, il peste : ‘’Ce que les pays développés veulent faire est très grave. Les Etats africains ne représentent même pas 1 % de la pollution mondiale. Et ils veulent nous empêcher d’utiliser nos ressources d’hydrocarbures, alors que c’est ce qui leur a permis de se développer. C’est inadmissible et nous devons tous le combattre en tant qu’Africains, quels que soient nos pays, nos couleurs politiques.’’
Par ailleurs, le contrôle des productions et la fiscalité demeurent d’autres enjeux majeurs sur lesquels l’Etat devra être très vigilant pour ne pas être floué par les compagnies. Le député de l’opposition avertit : ‘’Ce sont de grandes compagnies et elles ne sont pas des enfants de chœur. Il faut surtout veiller au contrôle de la production. Si nous ne mettons pas en place le dispositif nécessaire, nous risquons de n’y voir que des miettes.’’
Sur cette question, il s’est dit rassuré par les mesures mises en œuvre par l’Etat, notamment le mécanisme de contrôle.
Pour sa part, le coordonnateur du Forum civil n’a pas participé aux concertations, mais a publié une tribune pour demander des comptes à l’Etat sur les dépenses fiscales qu’il a déjà commencé à consentir, alors que l’exploitation n’a pas démarré.
Birahime Seck : ‘’Déjà en 2019, regrette-t-il, l’Etat a consenti des dépenses fiscales de l’ordre de 38 milliards, sans compter les 19 milliards de pertes de TVA sur les effets personnels des employés expatriés. Soit au minimum 57 milliards de pertes fiscales dans le secteur des hydrocarbures en 2019. Qu’en est-il pour 2020 et 2021 ?’’ Le coordonnateur du Forum civil d’avertir à travers une allusion qui en dit long sur ses appréhensions. ‘’Nous espérons, souligne-t-il, que des 700 milliards du budget prévisionnel annoncés par le gouvernement, sont déduites les pertes fiscales générées par les dépenses fiscales, les conventions fiscales et autres traités bilatéraux d’investissements, sans compter la non-maitrise des coûts pétroliers par ceux qui pensent connaitre le secteur’’.
Si on regarde les statistiques fournies par le recteur Amadou Aly Mbaye, il y a lieu de garder les pieds sur terre, en cette veille d’exploitation du gaz. De 1995 à nos jours, indique-t-il, parmi les pays pauvres qui n’ont pu sortir de la pauvreté, les 2/3 sont soit des pays riches en ressources naturelles, soit des pays en conflit ou les deux à la fois. Depuis 2005, a-t-il ajouté, la contribution de la productivité à la croissance en Afrique a été plus faible pour les pays riches en ressources naturelles que pour les autres ; parfois même, cette contribution est négative dans les pays riches en ressources naturelles.
Cela dit, le recteur de l’Ucad tente de rassurer, car il n’existe pas de fatalité. ‘’L’expérience récente a montré que beaucoup de pays ont pu bénéficier de la manne pétrolière pour amorcer un processus de développement assez remarquable. On peut citer l’exemple de Dubai. Dans ce pays, il y a quelques années, les recettes pétrolières représentaient jusqu’à 60 % des recettes budgétaires. Maintenant, elles représentent moins de 5 %’’. Un modèle à suivre.
MOR AMAR, Enquêteplus