Jacques Attali a-t-il raison de considérer le télétravail comme » un piège extrêmement dangereux ? » qui menace l’entreprise et ses employés ?
Interrogé dans l’Écho, Jacques Attali soutient que le télétravail est un piège dangereux devant le constat que «lorsque les entreprises mettent très durablement en télétravail leurs collaborateurs, soit ces derniers sont virés, soit ils s’en vont d’eux-mêmes». Il ajoute : «une entreprise ne peut pas durer si elle n’est pas capable de créer un projet commun. Mais pour cela, il faut absolument une présence sur place».
Je ne partage pas son avis pour plusieurs raisons.
L’argument relatif au risque de séparation entre l’employeur et l’employé est une vue de l’esprit, peu recevable surtout dans le contexte actuel de crise économique et sanitaire marqué par des taux de chômage élevés et la forte propension des entreprises à cibler une ressource humaine de qualité. Aussi, une présence à plein temps dans l’entreprise ne garantit pas systématiquement la productivité, surtout dans un contexte de logique administrative d’organisation du travail et d’absence de gestion axée sur les résultats comme c’est le cas dans de nombreux pays francophones.
Par ailleurs, le monde fait face à des taux de croissance démographiques élevés ainsi que des villes en élargissement constant vers des banlieues de plus en plus loin des centres urbains. Cette situation implique des besoins en termes d’infrastructures notamment de transport de plus en plus importants et non satisfaits du fait d’une grosse pression sur les ressources disponibles. Aussi dans de nombreuses villes, les embouteillages font perdre beaucoup de temps et nuisent à la prospérité.
Face à une telle situation, la mobilité urbaine devient un enjeu majeur et le télétravail est incontestablement une solution à explorer.
Les avantages du télétravail sont très nombreux. Ce mode de travail peut en effet améliorer la mobilité en diminuant le nombre d’usagers de la route et semble pouvoir permettre un meilleur contrôle de l’émission des gaz carboniques. C’est un facteur favorisant en termes de santé en considérant que les travailleurs concernés sont moins stressés et plus épanouis. Il peut aussi augmenter la productivité du travail grâce à un meilleur épanouissement psychologique et familial. Il contribue également à améliorer la sécurité routière.
Le télétravail est aussi un facteur potentiel de compétitivité pour les entreprises qui peuvent diminuer leurs charges d’exploitation en matières et fournitures grâce à un meilleur recours à la digitalisation sans compter des économies possibles en frais de transport, en dépenses de santé, etc. Bien entendu son impact sur la cohésion sociale et sur l’éducation des enfants peut être utile pour la collectivité.
Culture de la responsabilité
Bien entendu, la mise en œuvre d’une telle stratégie requiert quelques pré requis: une culture de responsabilité, la nécessaire promotion d’une culture digitale efficiente grâce à des actions de formation et un investissement plus accru dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication et les dispositifs de surveillance, l’adoption d’une nouvelle législation du travail et une approche novatrice dans la relation employeurs-employés fondée sur la confiance, le contrôle à distance et la mesure des progrès accomplis.
En conclusion, Monsieur Jacques Attali semble n’avoir pas compris que derrière la réflexion en cours sur le télétravail se profile une triple problématique :
1) Quelle organisation sociétale optimale du travail est capable de garantir la productivité et la compétitivité des sociétés humaines ?
2) Comment démocratiser les processus de prise de décision par l’instauration d’un système de gestion par objectif, des mécanismes de déconcentration juridique des pouvoirs et de décentralisation géographique des activités ?
3) Comment opérer des arbitrages efficients entre des programmes coûteux de financement d’infrastructures classiques et une tendance obligatoire à la digitalisation?
Par Magaye Gaye
Économiste