Faire émerger une nouvelle génération de femmes scientifiques spécialistes des données en Afrique : telle est la mission de la Chaire Femmes en Sciences : IA et Futurs pilotée par la Pre Maha Gmira, Po 2013, à l’École d’Ingénierie Digitale et d’Intelligence Artificielle (EIDIA) de l’Université Euromed de Fès, au Maroc.
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L’égalité hommes-femmes et l’inclusion tiennent une grande place dans les valeurs de Maha Gmira, qui s’était déjà engagée pour accroître la représentation des femmes en génie lors de ses deux premières années de baccalauréat en génie industriel à Polytechnique Montréal, en s’impliquant en 2010 et en 2011 auprès de la Chaire Marianne-Mareschal, dont c’était la mission. Retournée au Maroc, son pays d’origine, après son doctorat réalisé au sein de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la science des données pour la prise de décision en temps réel, auprès des Prs Andrea Lodi, Michel Gendreau et Jean-Yves Potvin, cette spécialiste en optimisation, en exploration de données et intelligence artificielle (IA) a souhaité augmenter son impact sociétal non seulement par sa recherche universitaire, mais également en contribuant au développement durable du continent africain.
« Le Maroc détient un des taux de représentation des femmes en génie les plus élevés au monde, soit 42,2 % [ce taux n’est actuellement que de 19,7 % au Canada], mais l’accès de ces ingénieures à des postes bien rémunérés demeure un défi. Des biais culturels, ainsi que les enjeux de l’obsolescence de leur formation, alors que la révolution numérique en cours transforme profondément l’ensemble des activités économiques de tous les pays, sont en cause », constate Maha Gmira.
Celle-ci souligne que le problème est mondial : on ne compte actuellement que 22 % de femmes parmi les professionnels de l’IA à l’échelle de la planète, quand l’UNESCO considère que « les applications dans le domaine de l’intelligence artificielle ont ouvert le champ des possibles et contribuent chaque jour au progrès de l’humanité et à la réalisation des Objectifs de développement durable ».
« D’une façon générale, les femmes ont été reléguées au second plan dans les précédentes révolutions industrielles. On ne peut plus accepter aujourd’hui de les exclure du partage des fruits de cette révolution 4.0. D’où l’importance cruciale de leur offrir une formation scientifique adéquate afin qu’elles accèdent aux postes rémunérateurs promis par l’économie numérique », poursuit la Pre Gmira.
CRÉER DE LA VALEUR
Inaugurée le 17 mai 2021, la Chaire Femmes en Sciences : IA et Futurs axe ses activités sur la sensibilisation des jeunes filles aux technologies numériques, ainsi qu’à la formation et à la promotion de femmes spécialistes des données, afin d’accroître leur recrutement, leur rétention et leur progression au sein des entreprises. « L’objectif de la Chaire est de développer sur le continent africain un véritable écosystème d’excellence en IA, dans lequel la participation des femmes sera essentielle », indique sa responsable.
Un but d’autant plus crucial qu’un des enjeux de l’Afrique est la fuite des cerveaux. « Actuellement, les Marocains – et plus largement, les Africains – formés dans les domaines de l’IA ont tendance à partir vivre ailleurs, en Amérique du Nord notamment. Il en va de l’avenir de l’Afrique de renverser cette tendance », relève la chercheuse. L’établissement où elle-même enseigne, l’EIDIA (École d’Ingénierie Digitale et d’Intelligence Artificielle), joue un rôle essentiel en étant en Afrique la seule école d’excellence d’ingénierie spécialisée en IA, en sciences des mégadonnées, en robotique, en cybersécurité et en technologies Web et mobiles.
Encourager l’émergence d’une relève féminine en IA dans les pays africains, c’est aussi y encourager le succès de l’entrepreneuriat, peut-on ajouter (l’Observatoire mondial de l’entrepreneuriat pour 2019/2020 a établi qu’environ 26 % des femmes en Afrique exercent une activité indépendante).
CONCRÉTISATION D’UN RÊVE D’ENFANCE
Les activités de sensibilisation de la Chaire comprennent notamment des camps scientifiques destinés aux filles, qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’organise Folie Technique ici. « Ces camps d’immersion en mode ludique peuvent avoir un impact énorme sur les jeunes Marocaines, en particulier dans les zones rurales qui sont souvent des déserts éducationnels, estime Mme Gmira. Nombre de ces jeunes filles arrêtent leurs études au primaire. Elles n’ont jamais touché à un ordinateur. Imaginez leur surprise quand on leur en met un entre les mains, qu’on les fait coder, ou qu’on leur confie un casque de réalité virtuelle! Mais elles sont avides de connaissances et c’est réjouissant de les voir s’approprier rapidement l’utilisation de ces outils. »
En devenant ingénieure, elle a elle-même réalisé son rêve d’enfance. Polytechnique a joué un rôle important dans cet accomplissement, selon elle : « Je suis venue, car je souhaitais être formée à l’approche nord-américaine de l’ingénierie et parce que l’aura de Polytechnique m’attirait. Je dois beaucoup à Polytechnique sur le plan universitaire autant qu’humain. La qualité de la formation que j’y ai reçue, ainsi que les collaborations que j’ai pu avoir au sein de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la science des données pour la prise de décision en temps réel se sont avérées déterminantes pour ma carrière et l’impact que je peux avoir dans la société. Sans compter la puissance des symboles de Polytechnique qui ont durablement marqué mon esprit, comme son emblème qui m’a frappée la première fois que j’ai pénétré dans le pavillon principal, et surtout la cérémonie de la prise du jonc, dont le rituel fait réellement prendre conscience des responsabilités de l’ingénieur.
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