C’est un business et une passion. La colombiculture (élevage de pigeon de race) fait le bonheur de ceux qui ont investi ce filon. La paire de pigeons pouvant être vendue entre 6000 et 200 000 FCfa, voire plus.
« À Thiaroye Gare, on vend du tout », rigole un jeune homme en cet après-midi de vendredi. En chaussures plastiques et maillot noir, il fait allusion à la cohabitation entre vendeurs de chaussures, vêtements, accessoires téléphoniques et de la volaille dans un espace étroit. C’est la grande ambiance avec une musique à fond qui oblige commerçants et acheteurs à dialoguer à haute voix. Ousmane Sèye ne s’en soucie guère. Debout devant un dépôt, il joue avec un pigeon brodé gris blanc. L’oiseau sur l’épaule, il avance tranquillement. « Ce pigeon est de race ordinaire, mais il est adorable », vante-t-il pour mieux vendre. Âgé de 44 ans et père de deux enfants, le natif de Jeddah-Thiaroye Kao vit de ce business depuis bientôt 15 ans. « À côté des chaussures, je vends des pigeons. De l’ordinaire au voyageur, le prix varie actuellement entre 12 000 et 50 000 FCfa la paire », explique-t-il. Ses clients proviennent de plusieurs quartiers. « Je travaille avec plusieurs colombiculteurs venant de Pikine, Rufisque, Guédiawaye et même des régions », dit-il pour justifie un business qu’il juge attractif.
Un marché rentable
« L’hivernage n’est pas le moment propice pour acheter des pigeons », admet Ousmane Sèye. C’est durant cette période qu’apparaissent plusieurs maladies surtout la grippe aviaire, explique-t-il. Mais, en temps normal, poursuit-il, le marché est rentable. « La paire de Sibéri est vendu entre 80 000 et 120 000 FCfa. En 2018, j’ai vu un père de famille vendre une paire pour acheter son mouton de Tabaski. Moi qui vous parle, j’empoche près de 150 000 FCfa par mois grâce à cette activité », jure-t-il, le doigt vers le ciel. Pathé Faye cumule également la vente d’habits à la colombiculture. Il passe ses temps libres auprès de ses pigeons. Une activité qu’il exerce par passion mais également pour le gain. « L’activité marche bien. S’il y a une période de latence ; c’est l’hivernage. La cherté de l’aliment de volaille et la prise en charge des cas de grippe imposent de nombreuses charges. Raison pour laquelle j’ai vendu récemment trois jeunes femelles de type texan pionner pur-sang à 30 000 FCfa l’unité », dit-il. Le colombiculteur compte sur une reproduction rapide pour disposer davantage de sujets à écouler en fin d’année. « Cela peut vous étonner, mais il y a des gens qui préfèrent la viande de pigeon à celle de poulet. J’en connais énormément », sourit Pathé.
Très enthousiaste, il nous met aussitôt en contact avec l’un de ses collaborateurs. À l’état civil, c’est Ndiaga Faye. Sa passion pour la colombiculture lui a valu le surnom de « Baye pigeon ». Au bout du fil, il indique travailler sur plus de sept races ; ce qui lui permet de gagner de l’argent. « Hier, j’ai vendu une paire bleue à 60 000 FCfa. J’en vends presque toutes les semaines. C’est d’ailleurs à travers cette activité que je gère ma maison et achète de l’aliment de bétail pour mes moutons », explique-t-il.
Un univers de passionnés
Les colombiculteurs se fréquentent et ne parlent que de cette activité. Ils ont une passion indescriptible pour le pigeon. Ce qui, selon Ibou Diamé, pousse ceux qui ont les moyens à consacrer d’importantes sommes à cette activité. « Dix paires de mondains andalous, la race de luxe importée de France et d’Allemagne, ont été récemment vendues dans un temps record àdes Sénégalais que je connais très bien à 800 000 FCfa. Ces gens-là mettent en avant la passion », souligne M. Diamé. À l’en croire, les races les plus présentes au Sénégal sont le Garitano Rostov, prisé pour sa grande taille et son importante masse, et le Sibéri, caractérisé par une capacité de reproduction de 20 portées en une année. Vivant sa passion, Ibrahima qui capitalise trois années d’activité rêve de participer à des compétitions à l’échelle nationale. « J’ai des pigeons. Je ne cesse de les contempler à longueur de journée. Mon objectif est d’en avoir une centaine afin de participer, dans un an, à des compétitions qui me permettront de gagner de l’argent, des véhicules ou des terrains », explique le jeune de 26 ans.
ALIMENTATION, VACCINATION: Des charges lourdes
La colombiculture est une activité fructueuse, mais le bénéfice est souvent réduit par les lourdes charges. Ibrahima dépense presque 7000 FCfa par semaine pour ses 14 pigeons. Sans compter la vaccination qui peut coûter entre 30 000 à 40 000 FCfa chaque semestre. « Si nous avons des difficultés, c’est notamment la cherté de l’aliment volaille en ce moment. Nous qui dépensions 5000 FCfa par semaine, sommes passés à 7000. Et sans vente, cela devient compliqué. Il y a également la prise en charge médicale à travers les campagnes de vaccination », indique Ibrahima. Ibou Mané embouche la même trompette. Pour une cinquante de pigeons, il dépense plus de 10 000 FCfa par semaine. Il déplore également la cherté de l’aliment de volaille dont le prix a augmenté, le poussant à débourser plus de 10 000 FCfa hebdomadairement. « À ces frais, il faut ajouter les campagnes vaccinales », dit Ibou Diamé, la seringue à côté.
Les bagues personnalisées, gage de sécurité
Les pigeons voyagent. Au risque de se perdre. Les colombiculteurs ont trouvé une astuce pour réduire les disparitions. Il s’agit de les munir de bagues personnalisées qui fournissent des informations relatives à la race du pigeon, son adresse, son propriétaire et un ou des numéros de téléphone. Ainsi, comptant sur la solidarité entre acteurs du secteur, les chances de disparition sont minimes. « Avec la bague, le pigeon voyageur est automatiquement identifié. S’il reste des jours chez un camarade, ce dernier a la possibilité de m’alerter. Nous comptons toujours sur la solidarité et la bonne foi des différents acteurs », signale Ibrahima.
Établi à quelques mètres du marché de Thiaroye-sur-Mer, Mandione est très sollicité pour les bagues qu’il confectionne. La cinquantaine en plastique ou en fer est vendue entre 15 000 et 20 000 FCfa. « L’activité marche, car plusieurs jeunes, guidés par une folle passion pour la colombiculture, ont investi le secteur. Du coup, je peux enregistrer quatre à cinq commandes par semaine », dit-il.
COLOMBICULTEUR À YEUMBEUL, Ibou Diamé, du bonheur et des sous
Âgé de 37 ans, Ibou Diamé est à la fois électricien et colombiculteur. Il trouve son compte dans cette dernière activité qui lui a permis d’acquérir un terrain. Il peut gagner jusqu’à 200 000 FCfa avec une paire de pigeons.
Jovial, habillé relax- un pantalon noir et tee-shirt- Ibou Diamé marche lentement vers sa maison sous un soleil torride. « Toutes mes excuses, Yeumbeul Ben Barack est éloigné et difficile d’accès en ce moment », dit-il, puis ouvre la porte de sa maison. On sent déjà sa passion pour les oiseaux. L’attention est attirée par le sifflement des perroquets au fond de deux cases fixées au-dessus de l’entrée. Un, deux, trois pas après, on découvre quatre autres contenant près de 10 pigeons. En face de ces refuges, d’autres oiseaux « violent son intimité », car ils sont installés à moins d’un mètre de la chambre à coucher. Une cohabitation qui ne gêne guère Ibou Diamé. La passion et l’habitude sont passées par là. « Je suis colombiculteur depuis 1999. J’étais très jeune à l’époque. Au fil du temps, je me suis attaché aux oiseaux », sourit-il. Les perroquets tapent certes à l’œil du visiteur, mais le nom d’Ibou Diamé est collé au pigeon. Certaines connaissances l’appellent « Baye Pigeon ».
Il en connaît plusieurs races dispatchées dans les nombreuses cases de son enclos. On en compte une quarantaine qui sautent, roucoulent et lui jouent parfois des tours. « Je travaille sur près de 20 races, notamment les Culbutants à travers leurs variétés que sont le Rakovnik, le Volka, le Filkhaza, le Rostov et le Sibéri. Je vends la paire à 120 000 FCfa. Le Garitano a également la côte puisque cédé à 150 000 FCfa », résume-t-il, avouant avoir écoulé un jeune couple à 50 000 FCfa samedi dernier. Au fil du temps, il s’est constitué un carnet d’adresses garni de clients provenant de toutes les régions du pays et même du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Des revenus qui lui permettent d’épargner. « Grâce à cette activité, je peux rester un mois entier sans toucher à mon salaire », dit-il.
En plus de lui procurer du bonheur tous les jours, les pigeons ont permis à Ibou Diamé d’acheter récemment un terrain. « L’activité marche bien. C’est après plusieurs ventes que j’ai acheté un terrain », rappelle-t-il. Cet électricien dans une entreprise de la place, le corps svelte, n’hésitera pas à quitter ce poste pour se consacrer entièrement à la colombiculture. C’est une histoire de passion et de gain. « J’ai un champ où je garde actuellement plusieurs pigeons. La prochaine étape est de disposer d’une ferme pour investir dans l’agriculture, la pisciculture et l’apiculture », planifie Ibou Diamé, prêt à se donner les moyens de réaliser ses rêves.
Avec Le Soleil