vendredi, novembre 22, 2024

En images : accès, usages, intelligence artificielle, les trois fractures numériques

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Une « fracture numérique » peut être définie comme un écart, à une période donnée, entre deux types de populations : ceux qui ont accès à la « société de l’information » et ceux qui n’y ont pas accès.

C’est dans ce sens que l’on parle d’une fracture car on considère que l’accès à l’information via des réseaux numériques (et désormais, avec la venue de la 5G et l’Internet des objets) est un facteur clé de croissance économique et de compétitivité dans nos sociétés contemporaines.

La fracture de premier niveau : l’accès

Initialement, la fracture numérique relevait avant tout d’une problématique territoriale et était celle de l’accès à Internet. Certaines parties du territoire français et plus largement européen (appelées alors « zones blanches ») ne proposaient pas – pour un prix raisonnable – une connexion suffisante en termes de débit pour répondre à l’évolution des nouvelles formes de contenus (le multimédia) proposés sur Internet. La politique européenne de soutien à un accès universel à Internet accompagnée d’innovations technologiques (ADSL, fibre et désormais les grappes de satellites) a permis de diminuer ce premier type de fracture sans pour autant la résorber totalement. `

La fracture de second niveau : les usages

Chemin faisant, en résonance à une littérature volumineuse qui étudiait la fracture de premier niveau concernant l’accès à Internet, une sociologue du numérique, Eszter Hargittai, montra en 2002 qu’il existait aussi une fracture de second niveau : celle des usages. L’auteure observait que l’accès à Internet ne suffisait pas à garantir le développement d’une Société de l’Information. En effet, à travers différentes expérimentations, elle observa que certaines parties de la population n’avaient pas ou trop peu de compétences pour utiliser Internet et remplir certaines tâches en ligne. C’est encore aujourd’hui le cas des populations les plus âgées qui n’ont pas acquis suffisamment de « culture numérique » pour être apte à utiliser correctement les services publics en ligne. https://create.piktochart.com/embed/56672949-my-visual

La fracture de troisième niveau : l’intelligence artificielle

Mais désormais, une fracture plus sournoise est en train d’apparaître car elle touche une grande majorité de la population sans une réelle prise de conscience de sa part. À l’origine de cette fracture ; le « big data » (les grandes masses de données) accompagné des algorithmes qui traitent ces données permettant à une intelligence artificielle de les transformer en actions, en prise de décisions parfois à la place de l’utilisateur. Cette fracture de troisième niveau est celle de l’intelligence artificielle. Paradoxalement, dans un monde où l’information devient pléthorique, cette fracture est marquée par une méconnaissance du fonctionnement de cette intelligence artificielle, de ses algorithmes et de l’écosystème qui l’environne.

Désormais, une grande partie des services numériques que nous utilisons font appel à des algorithmes. Ces algorithmes sont toujours plus innovants. Certains se basent sur le « machine learning » (machines apprenantes), d’autres implémentent le « deep learning » (apprentissage profond). Dans tous les cas, ces algorithmes inaugurent une société où l’intelligence artificielle (à travers l’implémentation des algorithmes) pilote de nombreux services en ligne, particulièrement les systèmes de recommandations ou de classement de l’information recherchée. Concrètement, ils décident de la vidéo suivante qu’on voudrait bien voir, des dernières nouvelles qu’on voudrait bien lire, de la publicité qui semble nous intéresser ou encore de l’annonce d’emploi à laquelle on pourrait postuler. Or, si ces technologiques rendent des services évidents, elles peuvent aussi être à l’origine d’une fracture qui est le résultat d’une asymétrie d’information entre ceux qui développent cette intelligence artificielle et tendent à comprendre le fonctionnement de cette dernière et ceux qui l’utilisent, indirectement, en bout de chaîne, à travers le service qu’ils sollicitent en ligne : les consommateurs et plus largement les citoyens.

Si vous connaissez la définition de chacun de ces mots, félicitations vous pouvez travailler dans l’IA. OCDE

À part quelques spécialistes, qui est capable de comprendre et de rendre explicable le fonctionnement d’un algorithme ? Quelles données sont utilisées par l’algorithme qu’on sollicite en tâche de fond et quelles sont ses règles de décisions, sa « rationalité » ? Dans cette nouvelle société de l’information élargie aux interactions croissantes entre l’homme et la machine où l’homme apprend de la machine et réciproquement, où les deux parties homme/machine s’influencent mutuellement, où le code (informatique) peut même faire la loi), on devine qu’il sera fondamental de travailler sur cette nouvelle forme de fracture numérique. Il s’agira sans doute d’impliquer davantage le citoyen à travers la formation. Il faudra aussi utiliser la technologie pour surveiller la technologie. Il en va de la pérennité de nos démocraties sans oublier la question centrale de l’environnement dans un monde où des machines utilisent toujours plus d’énergie pour traiter une quantité croissante de données et parfois apporter un surplus de bien-être qui n’est que marginal.

Fabrice Le Guel, Economiste, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.