Mohamed Mbougar Sarr ! Ce nom était presque sur toutes les lèvres hier. C’est parce que celui qui le porte le vaut bien. Il vient de remporter le très sélect Prix Goncourt. En 2015, après son sacre à Genève pour son premier roman ‘’Terre ceinte’’, ‘’EnQuête’’ présentait à ses lecteurs le parcours de cet ancien enfant de troupe qui confirme le credo de son ancienne école : l’excellence.
A 24 ans, il a reçu le prix Ahmadou Kourouma du Salon international du livre et de la presse de Genève, en mai 2015, pour son premier roman ‘’Terre ceinte’’. Un ouvrage qui raconte ‘’la survie dans un espace assiégé par un régime islamiste et terroriste. Et la survie sous tous ses modes : la résistance, la lâcheté, la trahison, le courage, le recours à la beauté, le souvenir, l’écriture’’, d’après son auteur. Un prix qu’ont reçu dans le passé d’illustres écrivains comme Tierno Monénembo pour son roman ‘’Le terroriste noir’’.
Cette année-là, Mohamed Mbougar Sarr était en lice avec d’autres grands écrivains. Et il passait pour l’outsider. Lui-même étant dans le lot de ceux qui pensaient qu’un jeune écrivain incognito ne pouvait ravir la vedette à tout un groupe d’illustres hommes de lettres. ‘’Non, je ne pensais absolument pas gagner ce prix. Je n’ai pas pensé une seule seconde qu’il (NDLR : son roman) pouvait remporter un prix, et encore moins le Prix Kourouma. Je remercie le jury pour son indulgence et l’honneur qu’il a fait à ce livre’’, disait-il.
On note ainsi une certaine humilité chez ce natif de Diourbel qui, pourtant, a eu un accueil presque similaire avec sa nouvelle ‘’La Cale’’ qui a reçu, en 2014, le Prix Stéphane Hessel de la jeune écriture.
Malgré tout, il voit à travers sa consécration ‘’un encouragement à continuer à écrire et à faire de (son) mieux’’. ‘’Je ne suis qu’au début, je n’ai encore rien fait. Tout est encore à prouver et à écrire’’, conçoit-il.
Aujourd’hui, cet encouragement reçu il y a six ans a porté ses fruits. Mohamed Mbougar Sarr est le deuxième Africain, après René Maran, à être distingué au Goncourt. ‘’La plus secrète mémoire des hommes’’, son dernier roman sorti aux éditions Philippe Rey/Jimsaan, a reçu le Goncourt 2021.
Ecrivain brillant, Mohamed Sarr pense avoir été de ce lot d’élèves qui ont fait un cursus normal. Il pense être de ces élèves qui n’ont été ni excellents ni moyens et loin d’être totalement nuls. Pourtant, une photo sur sa page Facebook, posant aux côtés du président Abdoulaye Wade et recevant un lot de livres en tant que primé du très select Concours général, laisse croire le contraire. Un élève moyen n’accède pas à ce stade. De plus, il est un ancien enfant de troupe, quand la devise du Prytanée militaire de Saint-Louis semble être : ‘’Nul n’entre ici s’il n’est bon élève.’’
Et Mbougar Sarr a aussi écrit et prononcé, alors terminaliste, au nom du Sénégal, un discours sacré Meilleur discours de la jeunesse africaine par une Assemblée de l’Union africaine.
Après des études à la Mission catholique de Diourbel où il a débuté sa formation au sein d’une communauté enseignante ‘’rigoureuse et bienveillante, extrêmement cultivée et sensible’’, il réussit au concours d’entrée au Prytanée militaire de Saint-Louis. Mohamed Sarr est ainsi obligé de se séparer de l’un des enseignants qui l’a le plus marqué au cours de son cursus : Pierre Khar Tine de la Mission catholique de Diourbel.
Mais, au prytanée, se tisseront des liens forts avec des jeunes de son âge. ‘’Le prytanée, plus qu’une école, une institution et plus qu’une institution, un mythe. J’y ai noué mes amitiés les plus solides, dans un cadre d’excellence scolaire et de rigueur militaire. J’y ai passé sept ans ; autant dire que c’est là que s’est développée ma sensibilité littéraire’’. ‘’Celle-ci s’est affinée en classe préparatoire, en France, après le Bac.
‘’L’hypokhâgne et la khâgne sont de véritables expériences de stimulation intellectuelle. J’y ai acquis une méthode de travail, et un goût pour la discipline et la curiosité intellectuelles. Et c’est là, au contact des grands textes, alors que je faisais mes ’humanités’ comme on disait, que j’ai commencé à beaucoup lire. Et écrire’’, explique-t-il. Après deux ans dans ces classes préparatoires littéraires, l’ancien enfant de troupe est accepté à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. Là, il commence alors à travailler sur la philosophie de l’émotion chez Léopold Sédar Senghor.
Etudiant-chercheur dans cette prestigieuse institution, il prépare actuellement sa thèse de doctorat. Son amour pour la langue française et plus tard pour la philosophie à l’école le prédestinait à ces études. ‘’Indéniablement, de l’école primaire jusqu’au lycée, le français était ma matière préférée. Le français, la grammaire, les conjugaisons, le vocabulaire, l’orthographe, tout cela me fascinait. En terminale, j’ai découvert la philosophie et cela a été un bouleversement radical.
Je prenais conscience que je pensais, que je n’étais pas là simplement pour recevoir et répéter mécaniquement de la pensée, mais que je pouvais en produire aussi, en toute indépendance, face aux traditions, aux certitudes. Je me découvrais comme sujet pensant, comme dans l’expérience cartésienne du cogito, précisément avec cette même intensité. Et puis Socrate, quelle figure ! A partir de là, je n’ai plus eu de matière préférée, à vrai dire. Toutes les disciplines dialoguaient dans mon esprit : la littérature avec l’histoire, la philosophie avec la géographie, etc. La pensée se nourrissait à tous les savoirs, dans une perspective humaniste’’, indique-t-il.
Cette soif de savoir l’a poussé donc à beaucoup lire. Naturellement, de ce goût pour la lecture naquit un autre pour l’écriture. Son envie, il l’explique ainsi : ‘’J’ai toujours eu la passion des mots depuis ma jeunesse. Mais cela ne suffit pas ; pour écrire, il faut autre chose. Pour moi, cela a été le contact avec de grands écrivains. Je voulais faire comme eux. Non pas m’égaler à eux, cela est impossible bien sûr, mais répéter leur geste, celui de l’écriture, pour en ressentir le frisson, la difficulté souvent, la jouissance parfois. Pour dire quelque chose des autres, du monde’’.
Tout le processus d’écriture allant de la difficulté à la jouissance, Mohamed Mbougar Sarr le connaît aujourd’hui. Il produit et publie. Mais dans quelle condition ? Repoussant l’idée de la muse telle que classiquement considérée, Mbougar Sarr peut trouver ses idées, ses dialogues et ses personnages partout. ‘’Je ne crois pas au mythe de l’écrivain inspiré par une muse. Lorsque je souffre au milieu des nuits pour écrire une phrase, personne ne vient me la souffler. Je suis seul. C’est du travail, de la patience, de la lenteur’’, estime-t-il.
Mais quand cela devient trop lent, on a bien des ruses pour passer le cap. ‘’Je crois que j’ai plusieurs rituels pour atténuer la difficulté de l’écriture, à défaut de ne pouvoir la conjurer : je lis ou j’écoute de la musique, ou je sors marcher un peu, ou je fais la vaisselle. C’est en récurant une casserole que le titre de mon livre, ‘’Terre ceinte’’, m’est venu. Souvent, au cours de ces activités, les phrases justes arrivent, les scènes deviennent plus claires et mieux agencées. C’est un processus psychique, cognitif, esthétique, curieux, qu’aucun écrivain ne réussira véritablement à expliquer, je crois’’, déclare-t-il.
Avoir découvert beaucoup de livres les uns plus intéressants que les autres, a fait que Mbougar Sarr n’a pas d’auteur préféré et encore moins de livre de chevet. ‘’J’ai beaucoup d’auteurs préférés et de toutes les aires culturelles, de toutes les époques. Je crois cependant que je suis très attaché aux ’classiques’. Qu’il s’agisse des classiques européens du XIXe siècle comme des classiques de la littérature africaine’’, informe-t-il.
S’agissant des ouvrages qui l’ont marqué, il affirme : ‘’Beaucoup d’œuvres m’ont marqué, à diverses époques de ma vie et pour différentes raisons. Je sais cependant que ma première lecture du ‘Père Goriot’, à 16 ans, m’avait bouleversé. Aujourd’hui encore, quand je relis ce livre, je suis au bord des larmes pendant l’agonie délirante du Père Goriot. Quelle déchirante beauté ! Ce ’Christ de la Paternité’ qui meurt, crucifié par ses propres filles qu’il aime pourtant d’un amour inégalé, presque insensé, croyant jusque dans son lit de mort qu’elles lui rendront cet amour, les maudissant et les bénissant tour à tour… C’est sublime. Balzac représente pour moi une des quelques figures absolues du romancier.’’
Ce brillant parcours pousse certains à voir à travers Mohamed Mbougar Sarr ‘’un petit génie’’. Un parcours qui a des allures de perfection. Ce que ne diront pas les anciens professeurs de mathématiques de cet écrivain. ‘’Je crois que la plupart de mes professeurs appréciaient mon travail, sauf mes professeurs de mathématiques qui m’en ont fait voir de toutes les couleurs. Mais je le leur rendais bien. Je regrette cependant sincèrement de n’avoir pas fait plus d’efforts pour les mathématiques. Elles fondent l’intelligence. On me l’a souvent répété, mais j’étais trop jeune (et trop c…, sans doute) pour l’entendre. Si je devais changer quelque chose dans ma scolarité, ce serait ça’’, regrette-t-il aujourd’hui.
Par Enquêteplus