Le marché du mobile money en Côte d’Ivoire et au Sénégal est dominé par les Opérateurs de Téléphonie Mobile, avec Orange qui reste le solide leader du secteur. Associée aux anciennes compagnies nationales de téléphones qui ont été privatisées (SONATEL pour le Sénégal et CI TELECOM pour la Côte d’Ivoire), Orange a bénéficié d’un avantage non négligeable sur les autres concurrents. Ainsi, en Côte d’Ivoire, en termes de nombre d’abonnés et de mobile money, Orange détient respectivement, 40,5% et 48,3% de part de marché. Au Sénégal, il détient 55,03% des abonnés de téléphonie mobile. Au départ cantonné au transfert d’argent, le mobile money s’est diversifié avec de nouvelles offres de service (paiement de factures et abonnements, virement de salaire, etc.).
Attiré par le dynamisme de ce secteur, la start-up américaine de finance digitale « Wave » a investit le marché sénégalais en 2016 et plus récemment s’est installée en Côte d’Ivoire en 2020. En partenariat avec la Banque UBA et soutenu des investisseurs mondialement réputés tels que Founders Fund, Y Combinator, Partech Africa et Stripe, Wave a réussi à lever des fonds pour financer ses activités en Afrique. Contrairement aux acteurs traditionnels qui taxaient tous les services liés aux mobile money, Wave s’est spécialisé dans les transactions à bas coût (seulement 1% pour les transferts d’argent) et gratuits pour le reste des prestations (factures, dépôt et retrait d’argent, achat de crédit téléphonique, etc.). Elle fonctionne à partir d’une application mobile et offre à ses abonnés « un réseau de services financiers sans frais de gestion de compte, disponible instantanément et partout ».
Des opérations de « conquête des cœurs et des esprits »
Le choix de Wave d’attaquer ses concurrents sur les coûts par une politique des prix attractive a eu, tout comme l’arrivée de Free en France, un effet de rupture sur le marché du mobile money. Mais au-delà de l’aspect marketing, ce choix lui a immédiatement permis de gagner une opinion favorable auprès des couches populaires et vulnérables (pauvres, secteur économique informel, jeunes). Pour ces derniers, les frais pratiqués restaient jusque-là très élevés ; ce qui constituait un frein au développement du mobile money.
Cette image d’entreprise socialement responsable et éthique qui se met au service des pauvres est mise en avant dans les discours de ses dirigeants. Se positionnant comme un défenseur des populations défavorisées, Wave affirme sur sa page officielle, vouloir « permettre à tous d’avoir accès aux services financiers sans difficultés et sans conditions ».
De plus, elle présente ses coûts bas et la gratuité de certains de ses produits comme contribuant à la lutte contre la cherté de la vie. La problématique de coût de la vie étant au cœur des préoccupations des populations africaines, cette stratégie a eu pour mérite de lui donner une image très positive. Sur la télévision nationale ivoirienne (RTI), le maire d’une commune populaire d’Abidjan a apporté son soutien à Wave en annonçant publiquement « L’actualité en Côte d’Ivoire c’est la cherté de la vie. Je pense qu’avec les tarifs de Wave, … ça aura un impact positif sur la cherté de la vie ».
L’entreprise n’hésite pas aussi à mettre à contribution des hommes de médias, blogueurs et influenceurs ivoiriens en vue de relayer ses messages. Ces derniers ont été conviés à un panel organisé le 25 mai 2021 à Abidjan et qui avait pour thème « Le rôle des fintech dans l`inclusion financière ».
Les effets de ces opérations de séduction sont visibles avec de nombreux articles et blogs qui considèrent Wave comme le coup de cœur des populations qui en sont devenues les principaux promoteurs.
Une guerre d’opinion sur les réseaux sociaux
Un passage en revue de l’activité sur les réseaux sociaux nous permet d’observer l’activisme de Wave, à travers de nombreux fan-club (Family Wave Côte d’Ivoire, Amis Wave Ci, Team Wave Sénégal, etc.) qui relayent quotidiennement des messages de soutien et expériences positives d’utilisation de ses produits. Pour le groupe Facebook « Team Wave CI » qui revendique plus de 110 milles abonnés, l’objectif tel que mentionné sur leur page est de « faire connaître WAVE et ses avantages et rassurer les populations de sa crédibilité ». Quant au groupe « Famille Wave Cote D’ivoire » qui a plus de 100 mille abonnés, il soutient que « La cherté de la vie nous interpelle tous, Wave et sa politique de baisse tarifaire est la bienvenue ».
Avec une touche plus humoristique, le groupe « Les Gbê de Wave CI » qui affirme être « une Page parodique, non Lucrative et non liée à Wave Ci …dédiée à la promotion libre de Wave Ci » tourne très souvent en dérision Orange et ses récentes tentatives de promotions.
Suscité ou non, l’arrivée de Wave sur le marché s’est aussitôt accompagnée d’un emballement sur les forums de discussion. Et ces débats sont largement favorables à Wave car pour la majorité des internautes, son arrivée aura réussi à faire trembler et pousser dans ses retranchements le géant Orange.
Certes, Orange est reconnu pour la qualité de son réseau, mais il a toujours été perçu comme une entreprise qui pratique des prix élevés et se comporte avec l’arrogance de ceux qui ont le monopole. Dans l’article « Orange Sénégal : pourquoi tant de haine ? » publié par Jeune Afrique le08 août 2020, il est révélé qu’Orange est confrontée à des polémiques récurrentes. En 2010, à la suite d’une augmentation de ses tarifs qui avait fait polémique, « Les appels au boycott et à la destruction de cartes SIM en direct sur les réseaux sociaux se sont multipliés » et avait poussé l’entreprise à revenir sur sa décision. Toujours selon ce même article, dans un contexte général de guerre informationnelle contre la France en Afrique et de montée du souverainisme en Afrique, « Orange incarne cet impérialisme qui maintient le Sénégal sous le joug économique de la France ».
Les manœuvres juridiques de Wave et rumeurs d’intimidations
Cette bataille se joue également par le biais de manœuvres juridiques, et de rumeurs distillées dans la presse où Orange serait accusé de profiter de sa position dominante pour entraver les activités son concurrent.
Au Sénégal, à la suite d’un malentendu sur les conditions de rémunération, le service d’achat de crédit téléphonique Orange a été bloqué sur la plateforme de Wave. En riposte, cette dernière a choisi d’attaquer Orange sur le plan juridique, sans omettre de prendre l’opinion publique à témoin sur les agissements de Orange à travers un communiqué. Ainsi un plainte a été déposée devant l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) pour arbitrage. En attendant le dénouement de cette affaire, l’ARTP, à titre conservatoire a demandé à la SONATEL ( groupe auquel fait partie Orange) d’appliquer «sans réserve, les principes de traitement et d’accès, de transparence et de non-discrimination, en accordant à Wave mobile money Sa les mêmes conditions que celles appliquées à ses filiales ou à ses associés notamment Orange finances mobiles… ». Cette décision peut être considérée comme une première victoire pour Wave car en la matière, les lois ne sont pas précises.
En Côte d’ivoire, ce sont plutôt des distributeurs agréés de mobile money associant à leurs offres habituelles le service Wave, qui se seraient plaints de menaces de la part de superviseurs d’Orange. Cette information vraie ou fausse est révélée par le média 7info dans son article « mobile money en Côte d’Ivoire : la guerre est-elle enfin déclarée entre Orange et Wave ? ». Se basant sur la même source, plusieurs articles ont relayé ces rumeurs, contribuant à étendre cette information auprès du public. Entre autres articles, l’on peut citer :« orange accusé de mettre les bâtons dans les roues de Wave- Côte d’Ivoire » (afriqueitnews du 28 juin 2021) ; « Mobile Money : les Ivoiriens migrent vers Wave, Orange menace, le ”pingouin” prépare le coup de sommation !» (Inprouvafrica du 28 Juin 2021), « CÔTE D’IVOIRE/ MOBILE MONEY : Orange Vs Wave, le pingouin mangera-t-il de l’orange ?» (civnewsafrik du 10 août 2021),…
Orange, entre défensive et tentative de minimisation
Au Sénégal, face aux offres ultra-compétitives de Wave, Orange n’a eu d’autres choix que de baisser drastiquement les coûts (près de 80%). Dans cette guerre des prix, « Les tarifs de transfert d’argent Orange Money ont largement été revus à la baisse. Pour un retrait de 5000 francs, les frais sont maintenant de 25 francs contre 350 auparavant. ».
Concernant les accusations portées contre elle de supposés abus et menaces, Orange par voie de communiqués tente de se défendre tout en clamant son attachement à la concurrence. Ainsi dans l’affaire l’opposant à Wave sur les achats de Crédit, elle rejette la faute sur Wave accusant ce dernier de demander « une rémunération supérieure à celle proposée par la Sonatel » et, par la même occasion, affirme attacher « un prix au respect des lois et règlements ». Quant aux rumeurs d’intimidations, joint par le même média 7info, Orange a réaffirmé être « une entreprise responsable qui reste attachée aux principes de la concurrence… » et « ne posera aucun acte pouvant porter préjudice » à son réseau de distribution.
Globalement, Orange tente de minimiser l’impact Wave sur ses activités. Elle dément aussi les informations selon lesquelles ses récentes initiatives de baisse de tarifs et autres promotions ont été faites sous la contrainte. A cet effet, elle ne manque pas une occasion de rappeler sa position de leader et affirme qu’elle toujours su « accueillir l’arrivée d’autres opérateurs comme des opportunités d’en faire plus pour les clients ».
Un affrontement informationnel qui tourne en faveur de Wave
L’arrivée de Wave sur le marché du mobile money s’est accompagnée d’un affrontement informationnel avec les opérateurs de téléphonie mobile, principalement Orange. L’approche adoptée par cette entreprise lui a permis de construire un capital relationnel qui peut se mesurer par l’engouement qu’elle suscite auprès des populations (surtout celles vulnérables). Pour le moment, son implantation dans les deux pays est accueillie avec beaucoup de satisfactions par des consommateurs qui estime qu’Orange aura trop longtemps profité de son quasi-monopole pour « leur a imposé des frais abusifs » (Sénégal, Côte d’Ivoire : qui est Wave, la fintech qui bouscule le mobile money ? – Jeune Afrique du 10 juin 2021).
Kitchafolwori Sekongo
Auditeur de la 37ème promotion MSIE, dans ege.fr