Première édition de rencontres pluridisciplinaires sur la science en Afrique, les Montpellier Global Days for Science and Education, qui se tenaient en amont du Sommet Afrique-France du 8 octobre à Montpellier (France), ont dédié les quatre journées qui le précédaient à réfléchir aux aménagements nécessaires que la science doit opérer pour aider à affronter les enjeux du continent africain.
Car, de l’aveu des participants, si la production de données scientifiques tend à s’accélérer grâce à l’apport des nouvelles technologies numériques ou satellitaires (notamment pour le suivi des projets), elle peine à concourir au développement du continent au-delà de l’échelle locale.
Les débats se sont articulés autour de six enjeux interdépendants. A savoir les systèmes alimentaires, la biodiversité, les transitions agroécologiques, les technologies pour soigner, nourrir, protéger, l’eau et la santé (humaine, animale et écosystémique)…
“Un étudiant doit savoir communiquer afin d’avoir une vision complète des problèmes auxquels il va faire face sur le terrain au-delà de sa spécialité”
Alpha Kabinet Keita, CERFIG, Guinée
Si les participants reconnaissent l’importance de conserver l’expertise de chaque domaine scientifique, tous s’accordent sur le fait que les sciences doivent se décloisonner pour permettre un dialogue entre les spécialités.
Qu’elles relèvent des sciences de la nature (biologie, agronomie, hydrologie …), des sciences formelles (informatique…) ou des sciences humaines et sociales (sociologie, anthropologie, économie…).
L’intérêt étant d’appréhender de manière plus précise l’environnement sur lequel elles mènent leurs recherches et ne pas rester focalisées sur le seul aspect technique.Les chercheurs soulignent par exemple la nécessité de lever les clivages entre les recherches menées sur le milieu rural d’une part et le milieu urbain d’autre part. Pour Sina Schlimmer, chercheuse au Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI) « les deux environnements étant liés par les échanges de personnes, de biens, de services, leur étude ne peut rester distincte ».
Mais, du point de vue de Kako Nubukpo, commissaire chargé du département de l’Agriculture, des ressources en eau et de l’environnement de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), cela ne va pas de soi.
Car, les systèmes universitaires sont fondés sur les spécialités et « pour être reconnu, il faut s’inscrire dans un champ de compétences spécifique », précise-t-il.
Enseignement supérieur
De l’avis de ce dernier, l’enseignement supérieur doit donc accompagner cette transition en construisant des cursus dans lesquels les différents champs scientifiques, qu’ils relèvent des sciences fondamentales ou expérimentales, se côtoient.
Alpha Kabinet Keita, directeur adjoint du Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (CERFIG) estime que « un étudiant doit savoir communiquer afin d’avoir une vision complète des problèmes auxquels il va faire face sur le terrain au-delà de sa spécialité ».
Mais cette confrontation des savoirs doit être accompagnée, voire médiatisée. Sina Schlimmer affirme ainsi que « l’association d’acteurs non académiques au moment du montage des projets favorise les échanges ».
En effet, selon les participants, la recherche scientifique doit en outre être plus inclusive et travailler en partenariat avec les acteurs de terrain tels que les associations, la société civile, ou encore les paysans.
Entreprises privées
Elle ne doit donc plus cantonner les utilisateurs de la science et de l’innovation au rôle de simples bénéficiaires ; mais les inclure dans le processus de construction des projets en tenant compte de leur expertise et de leurs connaissances de l’environnement socio-économique, culturel et technique local.
Dans ce maillage d’acteurs, les entreprises privées ne doivent pas être en reste. Elles sont le lien nécessaire pour faire des avancées scientifiques de réelles innovations qui puissent se diffuser.
« On se trompe si on ne part pas des réalités de terrain ; personne ne peut dire à l’autre ce qui devrait être fait selon la vision de celui qui le dit. Ça ne marche jamais », corrobore Julien de Normandie, ministre français de l’Agriculture et de l’Alimentation, intervenant à l’issue de ces rencontresL’enseignement supérieur en Afrique devrait par ailleurs travailler, tant pour faire reconnaître les universités africaines au niveau international, que pour faire coïncider les cursus avec les besoins des pays.
Car, développer des établissements de qualité sur le continent permettrait d’augmenter le nombre d’étudiants éligibles à une formation de l’enseignement supérieur tout en réduisant les charges pour les états, constate Moussa Diaby, directeur de l’Institut polytechnique Houphouët Boigny d’Abidjan (IPHB) en Côte d’Ivoire
« Si on prend l’ensemble des boursiers ivoiriens en France, ça représente environ 550 étudiants pour un total d’environ 4,8 milliards de Francs CFA, un budget substantiel pour l’Etat ivoirien », indique ce dernier interrogé par SciDev.Net.
Effort de vulgarisation
En vue de cette transformation, le monde scientifique devrait faire un effort de communication, souligne Joyene Isaacs de l’Agricultural Research Council (Afrique du Sud) pour « vendre la recherche aux décideurs politiques ».
Pour cette dernière, la science et ses publications se retrouvent bien souvent circonscrites à la littérature scientifique qui est peu accessible. Un effort de vulgarisation des résultats des recherches scientifiques se révèle donc nécessaire pour que les gouvernements et instances supranationales puissent s’en saisir et les mettre en œuvre.
Mais, pour Kako Nubukpo de l’UEMOA, il faudrait là encore créer des espaces de médiation pour de concilier les impératifs de la recherche et ceux de la politique. « Car, dit-il, le temps politique et le temps scientifique ne coïncident pas ». Les recherches scientifiques s’étendant sur bien plus d’années que ne couvrent un ou deux mandats présidentiels…
Les Montpellier Global Days for Science and Education ont été organisés à l’initiative de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).
Par Scidev