vendredi, novembre 22, 2024

Régulation des réseaux sociaux au Sénégal : une « utopie » numérisée (Basile NIANE)

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La régulation des réseaux sociaux a encore été agitée par la presse, suite à  la sortie du khalife Général des mourides  lors de la cérémonie officielle du grand Magal de Touba.

Une préoccupation  qui trouve tout son sens dans un monde en perpétuelle mutation  et où  la moindre publication sur les réseaux sociaux est souvent agitée par des commentaires acerbes allant même jusqu’à enfreindre la vie privée de l’individu. 

Une  vie privée  foutue en l’air 

On assiste de plus en plus à une démultiplication des cas inquiétants liés à l’atteinte à la vie privée des Sénégalais. La toile est déchirée par le foisonnement des infos buzz, faits divers, très prisés par les internautes friands de cachotteries de l’autre, torturés par une info monétisée sans effort et dont la seule et unique mission est de nuire.

Avec toutes ces balivernes, manipulations, mensonges, comment ne pas avoir peur ? 

Nous sommes tous sur le qui-vive surmonté par une peur de voir un jour une vidéo de soi tournée sans notre consentement,  divulguée sur les réseaux sociaux . 

L’affaire des faux billets de Bougazelli et celle de Thier,  Simon et Khilifeu sont une parfaite illustration de notre société digitalisée et animée par une couche inconsciente de ses actes.

Notre vie privée  est foutue en l’air comme les vagues de la mer rattrapées par un cyclone.  Des vies sont détruites,  des couples très amoureux se séparent,  des jeunes se suicident, des Hommes deviennent fous…

Le cyberespace est menacé  également par la massification  de nos données offertes gratuitement durant nos transactions, réunions, voyages,  visite… bref,  durant toute action liée à  l’utilisation  d’internet. 

Le fouet digital de la législation sénégalaise 

Toute la problématique de la régulation des réseaux sociaux au Sénégal repose sur un manque d’information de  l’existence d’une législation très fournie et documentée.  La question de la  vie privée et les données à caractère personnel disposent depuis longtemps d’une législation bien fouillée    même si des manquements sont notés dans son application. 

Le docteur Mouhamadou LO, Juriste du numérique , et ancien président de la Commission de Protection des données Personnelles du Sénégal (CDP) ,  dans une contribution,  avait déjà soulevé  ces questions en citant et rappelant  tout l’arsenal juridique adopté pour lutter contre cette indiscipline amplifiée par l’utilisation des réseaux sociaux. C’est tout le sens porté par les actions de l’État visant à  faire goûter à  qui le veut, le fouet de la législation partant du code pénal aux lois sur la société de l’information. 

Je me permets de reprendre In extenso, les différents passages intéressants des articles tirés du Code pénal et  de la  loi n°2008-12 du 25 janvier 2008 sur les données à caractère personnel.

 Les infractions sont réprimées, notamment par le Titre V du Code pénal, modifié récemment par la loi n°2016-29 du 8 novembre 2016 :

  • Article 363 bis. – Est puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500.000 francs à 5.000.000 de francs celui qui, au moyen d’un procédé quelconque, porte volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
    • en captant, enregistrant, transmettant ou diffusant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
    • en fixant, enregistrant, transmettant ou diffusant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.  

Cette nouvelle infraction réprime les enregistrements clandestins audio ou vidéo et la prise de photo sans le consentement de la personne concernée. Elle vise la personne qui enregistre l’information, celle qui la partage avec des tiers et celle qui la diffuse par exemple sur les réseaux sociaux. 

  • Article 431-8. – Celui qui accède ou tente d’accéder frauduleusement à tout ou partie d’un système informatique, est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 1.000.000 francs à 10.000.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement. Cet article s’applique par exemple en cas de vol d’un ordinateur ou d’un téléphone portable. L’accès frauduleux au contenu d’un appareil appartenant à autrui justifie cette sanction. 
  •  
  • Article 431-8. – Celui qui collecte des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite est puni d’un emprisonnement d’un an à sept ans et d’une amende de 500.000 francs à 10.000 000 francs ou l’une de ces peines. Le cas d’école le plus fréquent est l’enregistrement clandestin d’une conversation privée ou la prise de photo ou d’image sans le consentement de l’intéressé.
  • Article 431-27. – Celui qui recueille des données à caractère personnel dont la divulgation aurait pour effet de porter atteinte à la considération de l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée, transmet, sans autorisation de la personne concernée, ces données à la connaissance d’un tiers qui n’a pas qualité pour les recevoir, est puni d’un emprisonnement d’un an à sept ans et d’une amende de 500.000 francs à 10.000 000 francs ou l’une de ces peines. L’exemple le plus constaté au Sénégal est l’image à caractère pornographique échangée sur un réseau d’amis à partir des smartphones. 
  • Article 431-43. – L’insulte commise par le biais d’un système informatique envers une personne est punie d’un emprisonnement de six mois à sept ans et d’une amende de 1.000.000 à 10.000.000 francs. Cette disposition est applicable aux propos injurieux constatés dans les commentaires des articles publiés sur les sites sénégalais. 
  • Article 431-47. – Est punie d’un emprisonnement de six mois à sept ans et d’une amende de 250.000 francs à 1.000.000 francs ou l’une de ces peines, tout responsable de site web qui :
  • refuse de supprimer une information illicite ;
    • ne conserve pas les éléments d’identification des auteurs ;
    • ne défère pas à la demande d’une autorité judiciaire. 
  • Le point 2 de l’article 3 de la loi n° 2008-8 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques précise toutefois que « les hébergeurs ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée s’ils n’avaient pas effectivement connaissance du caractère illicite de l’information publiée ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils ont réagi promptement pour la retirer. A contrariotout refus de retirer une photo, des propos injurieux ou une vidéo sur les sites internet hébergés au Sénégal peut faire l’objet d’une sanction. Le responsable du site, en tant qu’éditeur, peut donc voir sa responsabilité pénale engagée, du fait des contenus illicites, s’il a eu connaissance de l’illicéité de ces informations. 
  • Article 431-57. – Celui qui usurpe l’identité d’un tiers ou une ou plusieurs données permettant de l’identifier, en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui ou de porter atteinte à son honneur, à sa considération ou à son patrimoine est puni d’un emprisonnement de trois ans à sept ans et d’une amende de 500.000 francs à 2.000.000 de francs ou de l’une de ces peines. Cette nouvelle incrimination permet de réprimer l’utilisation de l’image d’une tierce personne comme une photo de profil sur les réseaux sociaux. 
  • Article 431-57. – Celui qui a copié frauduleusement des données informatiques qui ne lui appartiennent pas est puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 250.000 francs à 1.000.000 de francs ou de l’une de ces peines. Cet article consacre la répression des copies effectuées de manière frauduleuse de données, par exemple des photos. 
  • Article 431-60. – Est puni d’un emprisonnement de cinq ans à dix ans et d’une amende de 500.000 francs à 10.000.000 de francs ou de l’une de ces peines celui qui, par un moyen de communication électronique distribue ou remet en vue de leur distribution […] des photographies, films ou images contraires aux bonnes mœurs. Cette incrimination permet par exemple de sanctionner les femmes qui, pour faire du buzz, publient des photos intimes contraires aux valeurs qui fondent notre société. Elle peut être appliquée également contre les responsables de sites web à sensation. 

Au-delà des dispositions du code pénal, l’article 69 de la loi n°2008-12 du 25 janvier 2008 sur les données à caractère personnel, complète ce dispositif en précisant que « toute personne physique justifiant de son identité peut exiger du responsable d’un site que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, verrouillées ou supprimées les données à caractère personnel la concernant, qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l’utilisation, la communication ou la conservation est interdite ». Cette disposition s’applique pour toute publication de photos, de vidéos compromettantes ou des commentaires inexacts. (fin de la reprise )

Pourquoi alors une loi spécifique aux réseaux sociaux ?

La technologie  n’attend pas dans son évolution.  Les lois changent et les plateformes intègrent de nouvelles instructions pouvant compromettre  le travail de la législation déjà établie. Cela ne doit en aucun cas, limiter et plonger l’internaute dans un cercle vicieux à l’encontre de sa liberté d’expression. 

La neutralité du net ainsi que la liberté de s’exprimer sont un droit pour tout internaute conscient de sa responsabilité. 

La régulation des réseaux sociaux demande un dialogue et une grande concertation entre les acteurs pour arriver à un consensus pouvant limiter les dégâts. 

L’Etat disposant de son arsenal juridique à le droit, s’il le souhaite, de faire appliquer la loi. 

 Aller vers une loi sur la régularisation  des réseaux sociaux me semble être une utopie numérisée  pas encore à  l’ordre du jour.  

Cependant, l’idée d’encadrer et de mettre en place un code en lieu et place d’une loi, pourrait aussi faire l’objet d’une réflexion assez poussée avec les acteurs.

Pour le moment, le plus important est de réfléchir et poser le débat sur ces propositions suivantes. 

  • Insister sur l’aspect sanctions et sensibilisation sur l’existence d’un arsenal juridique avec le respect à égal équité dans les dossiers en traitement devant les juridictions. 
  • Développer une culture numérique pour la sensibilisation des citoyens. 

Ce travail pourrait se faire en collaboration avec la CDP qui mène déjà plusieurs actions de sensibilisation avec des acteurs. Travailler avec les associations de jeunes  mouvements citoyens et tout autre entité dont l’apport est indispensable pour être plus proche de la population. 

  • Les Badiènes digitales :  Aujourd’hui,  la question de l’utilisation des réseaux sociaux n’est plus l’apanage des lettrés mais elle s’adresse de plus en plus à une grande partie de la population illettrée où des applications de messagerie vocales Comme WhatsApp,  messenger,  signal, etc. ont bouleversé leur quotidien. Une culture digitale rythmée par des formations en langues locales sur les dangers des réseaux sociaux est plus que nécessaire. À l’image des Badienou Ngox,  elles seront formées à  l’utilisation consciente des réseaux sociaux pour ensuite sillonner les quartiers et autres localités à  forte densité. 
  • S’appuyer sur des projets comme Smart territoires (Smart Sénégal)  et les espaces services numériques de l’Adie pour toucher les collectivités locales afin de combler le déficit de sensibilisation. 
  • Impliquer les opérateurs pour l’accès facile à  Internet  pour le monde rural avec des offres spécifiques  taillées sur mesure. Une discrimination positive serait d’une importance capitale afin de lutter contre la fracture numérique et casser la barrière d’inégalités dans l’utilisation d’internet.
  • Création d’un fonds spécial pour la promotion de la culture numérique à travers des concours ou Hackathon avec les jeunes et autres instances ( associations, Daara, écoles, universités GIE,  Startups…).  pour le  renforcement de la formation et de la sensibilisation. 
  • Renforcer l’employabilité des jeunes avec les nouveaux métiers du Web issus des réseaux sociaux notamment le développement  de l’industrie culturelle et créative, levier indispensable pour la création d’emploi. 
  • Miser sur une collaboration internationale avec les GAFAM dans le but de traiter à  temps certains dossiers très sensibles.
  • Travailler en collaboration avec le Conseil National du Numérique (qui doit être réorganisé) et le CESE, pour recenser et conseiller le gouvernement sur les vraies questions de l’heure, touchant le secteur du numérique et pouvant participer au changement de comportement dans les réseaux sociaux.

Basile Niane 

Journaliste et Consultant IT 

Directeur Général de Socialnetlink

Membre du Conseil National du Numérique