Le résultat de l’élection présidentielle du 24 Février 2019 au Sénégal était déjà annoncé d’avance, 8 mois avant le scrutin, par un député de la coalition au pouvoir, le 18 juillet 2018 avec un score minimum de 57%, le même résultat a été republié dans un réseau social en janvier 2019, soit 1 mois avant le scrutin, par une députée de la même coalition au pouvoir.
Le soir de l’élection présidentielle alors que les résultats commençaient à tomber, le représentant du candidat de la coalition au pouvoir annonçait la victoire de leur candidat à 57% au minimum.
Finalement, le résultat de l’élection présidentielle du 24 Février 2019 au Sénégal a été de 58,26%, pour une victoire au 1er tour du candidat de la coalition au pouvoir.
Les chiffres annoncées pour la victoire au 1er tour de leur candidat, depuis 2018 par divers membres de la coalition au pouvoir, qui sont conforment au résultat final, révèlent qu’ils n’étaient pas du hasard encore moins de l’improvisation. Ainsi donc, tout le processus électoral, de l’inscription des électeurs dans le fichier électoral à la proclamation des résultats, était programmé à l’avance.
Aussi, nous estimons que ce résultat est la conséquence d’une stratégie électorale basée sur une combinaison novatrice d’outils du numérique, de la collecte et du traitement de données personnelles et du travail de terrain.
Celle-ci reposait sur trois piliers:
1) Constituer un corps électoral sur mesure en exploitant les données personnelles des citoyens en particulier leurs opinions politiques, en le justifiant officiellement par la loi n°22/2018 portant révision du code électoral instituant le parrainage;
2) Priver de vote le maximum d’électeurs qui ne figure pas dans ce corps électoral sur mesure par des actes de manipulation du fichier électoral, la production et la distribution des cartes d’électeurs, les erreurs sur les cartes d’électeurs, l’omission d’électeurs sur les listes d’émargement, modification de la carte électorale ou encore la désorganisation de scrutins dans les communes jugées non favorables;
3) Fidéliser et concrétiser le vote de ce corps électoral sur mesure par la corruption électorale, appelée aussi achat de conscience, des populations vulnérables économiquement via une campagne de visites de proximités.
A ces trois piliers, il convient d’ajouter aussi la rupture de l’équité et de l’équilibre entre les candidats dans les médias, toujours en faveur de la coalition au pouvoir, ensuite le déploiement des forces de l’ordre avant même la proclamation définitive des résultats pour sécuriser le résultat issu du tripatouillage du scrutin.
Ce déploiement des forces de l’ordre aurait pour objectif d’éviter des contestations populaires comme ce fut le cas aux élections présidentielles de 1988 et 1993. Cette situation a été observée lors de l’élection présidentielle du 24 Février 2019, une décision suspecte qui constituerait un indicateur pertinent sur le caractère démocratique et transparent du processus électoral.
Enfin, il est aussi à signaler les violations de la loi électorale et les modifications unilatérales aussi bien du Code Électoral, de la Constitution du Sénégal que du Cadre Réglementaire, en y insérant en catimini des dispositions qui pourraient leur permettre d’atteindre leurs objectifs politiques de conservation du pouvoir. A cet égard, on peut citer, la révision de la Constitution de mai 2019, le Code Électoral de Juillet 2021 et le décret portant cadre réglementaire du Code Électoral de juillet 2021 (Nous y reviendrons).
Il apparaît que l’élaboration de cette stratégie électorale a commencé dès leur arrivée au pouvoir en 2012, en prenant certainement en exemple les élections qu’organisaient leur nouvel allié socialiste qui faisait gagner leur candidat aux différentes élections présidentielles au 1er tour par une minorité d’électeurs tels qu’en 1988 et 1993.
En 1988, l’ancien président socialiste a été élu au 1er tour par 828 301 voix pour une population de 6.896.808 habitants, en 1993 tandis qu’en 1993, il a été réélu au 1er tour avec 757 311 voix pour une population estimée à 7.703.826 habitants au milieu de l’année 1992.
Les élections locales de juin 2014, qui furent les premières à être organisées par cette coalition au pouvoir depuis 2012, a été l’occasion de mettre en œuvre cette stratégie. Elles furent caractérisées par de nombreux manquements et dysfonctionnements qui ont abouti à l’exclusion d’environ 3 127 000 électeurs du scrutin (Rapport CENA page 17, 19, 23).
Malgré, la désorganisation des élections départementales et municipales du 29 Juin 2014, la coalition au pouvoir a perdu dans plusieurs grandes villes, en particulier, la capitale du Sénégal. Ce qui a été considérée par certains observateurs comme une lourde défaite, ou en grande difficulté pour conserver sa majorité mais surtout à se questionner sur la démocratie au Sénégal.
La deuxième mise en œuvre s’est déroulée lors du référendum du 20 Mars 2016, pour une victoire mitigée. Lors de e scrutin, 3 506 520 électeurs ont été privés de leur droit de vote.
La Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) avait cependant sonné l’alerte en estimant que le décret 2016-262 prive de nombreux segments de citoyens sénégalais du droit de vote (Rapport CENA page 17, 19, 23). Pire encore, le scrutin, a été organisé sans révision exceptionnelle des listes électorales. (Rapport CENA page 21)
Ce référendum de 2016 aurait certainement amené à la conclusion, qu’après les élections départementales et municipales de Juin 2014, que le fichier électoral en cours, élaboré en 2004-2005, ne permettrait jamais d’assurer les objectifs politiques de la coalition au pouvoir.
En conséquence, la faible participation à ce référendum de 2016 a donné l’opportunité aux autorités du Ministère chargé des élections de développer des motifs non fondés pour justifier la décision de procéder à la refonte partielle du fichier électoral par la loi n° 2016-27 du 19 août 2016 (Voir rapport CENA sur les élections législatives du 30 juillet 2017, page 71).
En effet, dans le projet de loi portant refonte partielle des listes électorale, il y est affirmé dans l’exposé des motifs, qu’il y a un « stock mort ». Ce dernier s’expliquerait par le fait qu’il y a une moyenne annuelle estimée à 30 000 de personnes décédées qui demeurent dans le fichier électoral, augmenté d’un taux d’au moins 1,8% des électeurs se déplaçant chaque année sans modifier leur adresse électorale et un nombre de plus en plus croissant de cartes non retirées depuis la refonte partielle de 2004-2005 évaluées à plus de 300 000. Le fichier électoral apparaît ainsi surévalué.
A l’appui de cet argumentaire, la mission d’audit du fichier électoral de 2011 est citée pour corroborer ces affirmations. Dans les conclusions de la mission d’audit du fichier électoral de 2010 dont le rapport a été publié en 2011 (pages 7, 8, 9), il n’y est pas passé constaté une énonciation de la surévaluation du fichier électoral. Les conclusions montrent plutôt que le fichier qui a permis à cette coalition de remporter l’élection présidentielle de 2012 est fiable.
En outre, si la faible participation à un scrutin peut être invoquée pour justifier la refonte du ficher électorale, on se demande pourquoi, cela n’a pas été le cas après les élections législatives du 30 Juillet 2017 et les élections présidentielles du 24 février 2019, dont on a constaté que respectivement 2 881 952 et 2 254 363 électeurs n’ont pas votés.
Ainsi, les motifs énoncés pour la refont partielle du fichier électoral en 2016 n’ont aucune base scientifiques.
Cette refonte aurait certainement été l’occasion de débuter la création d’un corps électoral sur mesure en mettant à profit le Registre national unique (RNU) dont le fichier de base est constitué du programme des bourses de sécurité familiale. (Voir ANSD Situation économique et sociale du Sénégal en 2016, Page 13)
Le 1er test de cette stratégie électorale basée sur un corps électoral sur mesure a été réalisé avec les élections législatives du 30 Juillet 2017. Nombreux ont été les dysfonctionnements, en conséquence, environ 3000000 d’électeurs furent privés de vote, exactement 2 881 952 électeurs. (Voir rapport CENA)
Cette stratégie électorale gagnante a été théorisée et portée à la connaissance de l’opinion publique nationale par l’ancien Ministre de l’intérieur du Sénégal, le 25 février 2018, soit 1 an avant l’élection présidentielle de 2019.
En effet, au cours d’une émission de télévision l’ancien Ministre fit la déclaration suivante: « J’ai la ferme intention de travailler pour que le Président Macky Sall gagne au 1er tour de l’élection présidentielle du 24 février 2019. Pour cela, d’abord je ferai inscrire tous ceux qui veulent voter pour Macky Sall. Je m’emploierai pour qu’ils récupèrent leurs cartes d’électeurs et je les aiderai à aller voter pour Macky Sall ».
Il est aussi à comprendre de tels propos, que quiconque qui ne veut pas voter pour notre candidat, ne sera pas aidé par les autorités du Ministère en charge des élections, à s’inscrire, à récupérer sa carte et aller voter, et par conséquent, il pourrait ne plus jouir de son droit d’être électeur, garanti par l’article 3 de la Constitution du Sénégal.
Ainsi donc, il faut désormais justifier une certaine allégeance à la coalition au pouvoir depuis 2012 pour avoir la confirmation d’être admis à voter.
Dissuader et priver les électeurs du droit de vote est donc la stratégie électorale de la coalition au pouvoir pour conserver le pouvoir politique et ainsi, pouvoir orienter la vie économique et sociale dans le sens de leurs intérêts.
Ainsi, par la mise en œuvre de cette stratégie électorale, la coalition au pouvoir parvient, effectivement, à exclure du vote des millions d’électeurs et potentiels électeurs.
En effet, lors des élections départementales et municipales du 29 Juin 2014, environ 3 127 000 électeurs n’ont pas participé au scrutin, au référendum du dimanche 20 mars 2016, un nombre de 3 506 520 électeurs n’ont pas votés, pour les législatives du 30 juillet 2017, ce sont 2 881 952 électeurs, tandis que pour l’élection présidentielle du 24 février 2019, ce sont 2 254 363 électeurs qui ont été privés de vote.
Pire encore, les suffrages obtenus par la coalition au pouvoir pour crier victoire, comparés aux différents fichiers électoraux, révèlent que les représentants du peuple sénégalais sont élus par une minorité d’électeurs.
Lors du référendum de 2016, il y a eu 1 367 592 votes pour le OUI avec un nombre d’inscrits de 5 709 582 électeurs, soit 23,9% de l’électorat, pour contrôler l’Assemblée Nationale du Sénégal, la coalition au pouvoir a obtenu lors des élections législatives du 30 juillet 2017, un nombre de suffrages s’élevant à 1 637 761 sur 6 219 446 électeurs, soit 26,3 de l’électorat
Enfin, pour être Président du Sénégal, élu au 1er tour à l’élection du 24 Février 2019, le candidat de la coalition au pouvoir a obtenu 2 555 426 voix sur un nombre d’inscrits de 6 683 043, soit 38,23% de l’électorat.
Il est aussi à remarquer que la population électorale du Sénégal est de 8 413 851 en 2019, en considérant le rapport de février 2020 sur la population du Sénégal en 2019 de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie.
Autrement dit, de potentiels électeurs au nombre de 1 730 808 ne sont pas encore inscrits sur le fichier électoral.
Parmi ces derniers, il y a 1 104 157 jeunes âgés de 18-25 ans qui ne sont pas encore inscrits sur le fichier électoral. (Voir Rapport 2021 Mission d’audit du fichier électoral du Sénégal, page 111).
En conséquence, pour la dernière élection présidentielle de 2019, environ 4 000 000 d’électeurs potentiels ont été privés de vote, exactement 3 985 171.
Ainsi, si on prend comme base de calcul la population électorale, le Président élu au 1er tour le 24 Février 2019 au Sénégal, le serait à 30,37% de l’électorat potentiel.
Au regard de ce qui précède, les chiffres victorieux annoncés en faveur de la coalition au pouvoir depuis 2016 seraient de loin différents dans un processus électoral transparent et honnête respectant les principes démocratiques les plus élémentaires, en particulier, le suffrage universel.
Désormais, le suffrage censitaire est en cours au Sénégal par l’exclusion de masse des électeurs du vote par des manœuvres et tripatouillage du processus électoral depuis 2014. C’est le retour du Sénégal à la démocratie censitaire de l’époque coloniale.
La mise en œuvre de cette stratégie électorale qui détourne la réalité démocratique, est en permanence consolidée en vue de futures échéances électorales. Dans le cours terme, il s’agit des élections territoriales et législatives de 2022 et dans le moyen terme de l’élection présidentielle de 2024.
Cette coalition a ainsi accepté que l’élection territoriale se fasse au suffrage universel direct au 1er tour pour les têtes de liste. Cet accord n’a nullement pour objectif la consolidation de la démocratie, il vise plutôt à se donner le moyen de pourvoir rafler toutes les mairies en redéployant au niveau local, la stratégie nationale qui a permis d’élire leur candidat au 1er tour de l’élection présidentielle de 2019.
Grâce au logiciel de stratégie électorale de la Société française Spallian, conseillère en big data du Président de la coalition au pouvoir, ce corps électoral sur mesure sera croisé avec le fichier électoral et la carte électorale pour générer une cartographie électorale permettant d’identifier à l’avance les zones favorables et celles défavorables. Ainsi, les communes ou la victoire est acquise sont déjà identifiées mais aussi celles ou des leviers de manipulation sont à activer pour assurer une nouvelle défaite de l’opposition.
A cet effet, il est à noter que trois leviers importants de manipulation du processus électoral ont déjà été exécutés: Un en 2020 et deux en 2021 (Nous y reviendrons).
Cependant, il reste encore des leviers de manipulations qu’ils pourraient mettre en œuvre sur lesquels des réponses citoyennes et politiques peuvent être apportées.
A défaut, la coalition au pouvoir remportera haut la main les élections territoriales et législatives de 2022. Des miettes seront laissées à l’opposition afin que la démocratie soit sauve et que le vernis démocratique du Sénégal ne soit pas terni.
La voie qui mène à la 3ème candidature, au 3ème mandat présidentiel et au président à vie, est ainsi balisée.
Par Ndiaga Gueye