dimanche, décembre 22, 2024

Blaise Senghor (1932-1976) : un cinéaste et diplomate peu connu dans son pays

0 commentaire

A Dakar, tout le monde ou presque est passé une fois devant le Centre culturel Blaise Senghor. Mais, peu de gens peuvent dire quelques mots sur le parrain de cette structure socioculturelle située sur le boulevard Dial Diop, à côté de l’École nationale d’administration et en face du grand portail du lycée Blaise Diagne de Dakar. Pourtant depuis 1976, la bâtisse porte le nom de cet intellectuel sénégalais qui a mené d’intenses activités durant sa courte vie.

Né le 30 mai 1932 à Joal, au Sénégal, Blaise Senghor est décédé le 6 octobre 1976 à Paris, en France. Il avait 44 ans. Mais, la carrière de Blaise a été riche : il fut réalisateur, assistant metteur en scène, Conseiller technique au Ministère de l’Information et à l’Ambassade du Sénégal à Paris. Il a également été Ambassadeur délégué permanent du Sénégal auprès de l’Unesco à Paris, Vice-président du Conseil exécutif de l’Unesco. De même, il a plusieurs fois représenté son pays à des conférences et festivals internationaux.
En mai 2001, la Direction du Centre culturel Blaise Senghor avait consacré des journées dédiées au parrain de cette structure, un véritable rendez-vous de diverses manifestations nationales durant six jours d’activités culturelles appelées « Premières journées du parrain ». Un moment intense de commémoration et de souvenir de ce fils de Joal. « C’est l’occasion de mettre quelque chose derrière le parrain pour que les gens découvrent la personne de Blaise Senghor qui était un homme libre. Aujourd’hui, vous nous rendez fiers, nous, sa famille », se réjouissait Christian Basse, un neveu de Blaise Senghor.
La veuve du parrain, Michelle Guittet Senghor, présente à Dakar pour l’occasion, avait accepté de nous parler avec fierté de son défunt époux. « Je suis très étonnée que l’on connaît tant le nom de mon mari à travers le Centre culturel. Cela me fait plaisir de venir assister à cet événement. C’est un plaisir aussi pour mes enfants… », confiait-elle au cours d’une rencontre à l’île de Gorée. Mme Senghor a retracé l’itinéraire du cinéaste et diplomate Blaise avec qui elle a eu deux enfants : Richard Wagane et Valérie Dior.
Après des études secondaires au lycée Van Vollenhoven, Blaise Wali Antoine Marie Senghor, de son vrai nom, rejoint Paris pour y terminer ses études. Il y décrocha une Licence en Lettres, un Dess de Langue et de Littérature classique (option Philosophie) et un diplôme de réalisation, production et régie cinéma. Son épouse, Michelle Guittet, une Française rencontrée en 1959 à la Cité universitaire de la capitale française, terminait, elle aussi, ses études en Arts décoratifs. « Blaise était, cette année-là, à l’Idec, l’École de cinéma de Paris. Chaque dimanche, on allait danser à la Cité universitaire. C’est là-bas où nous nous sommes connus (…) », se souvient-elle.
Le mariage est célébré en 1961. Puis, ce fut la découverte du Sénégal, la même année, pour Michelle Guittet devenue Mme Senghor. Blaise Senghor, en sa qualité de producteur délégué du film « Liberté 1 », tourné avec le cinéaste Yves Ciampi, a séjourné trois mois dans son pays natal en compagnie de sa femme. Elle fait alors la connaissance de sa belle-famille dont Hélène Senghor, mère de Blaise. À son retour en France, ce dernier fut victime d’une hémorragie cérébrale et se voyait contraint de s’éloigner des plateaux de tournage. Entre-temps, il avait quand même réussi à réaliser des documentaires comme « Le grand Magal de Touba ».

Ours d’argent au Festival de Berlin

Parmi les prix remportés par les documentaires de Blaise Senghor, son épouse rappelle l’Ours d’argent reçu au Festival de Berlin. « Après son attaque cérébrale et le diagnostic des médecins, il ne pouvait plus faire de film. Alors, son intérêt pour l’art et le cinéma, il l’a tourné vers ses activités au bureau de l’Ambassade du Sénégal à Paris. Ensuite, Blaise Senghor fut très actif à l’Unesco. Il lui arrivait souvent d’aller à Genève, à l’Onu, dans le cadre de ses activités », a raconté son épouse. A côté de sa fonction, l’homme avait aussi monté une société de production de cinéma.
Rencontrée à Gorée, dans la maison acquise par Blaise, Mme Senghor garde encore en souvenir les premiers contacts avec sa belle-famille. Elle passait souvent ses vacances de Noël à Dakar, accompagnée de son fils, Richard Wagane, et de sa fille, Valérie Dior, chez la sœur de Blaise Senghor. Aujourd’hui, ses enfants vivent et travaillent à Paris.
« Ma fille était jeune à l’époque et ne connaît pratiquement son père qu’à travers les photos et ce que je lui raconte. Ensemble, nous avons séjourné à Gorée en 1990 et 1991. Actuellement, nous rénovons la maison », poursuivait alors Michelle Senghor. Cette demeure, précisait-elle, appartenait à la grand-mère de Blaise Senghor, une Goréenne.

« Blaise Senghor savait défendre son pays et l’Afrique »

« Notre amitié était de longue date. J’ai fait la connaissance de Blaise Senghor dans les années 50 alors qu’il était étudiant à Paris. J’avais été séduit par sa gentillesse naturelle, sa grande bonté, la curiosité de son esprit et son acharnement au travail ». Ce témoignage est d’Amadou Mahtar Mbow, alors Directeur général de l’Unesco. Le Conseil exécutif de l’institution spécialisée de l’Onu rendait hommage, le 11 octobre 1976, à Blaise Senghor qui venait de disparaître cinq jours auparavant. Le défunt était alors Ambassadeur délégué permanent du Sénégal auprès de l’organisme qu’il dirigeait.
En mai 2001, l’ancien patron de l’Unesco se rappelait encore de l’illustre disparu. « Il est parmi les Sénégalais qui ont le plus défendu les intérêts de son pays. Il a joué un rôle important dans une période où l’Afrique affirmait sa personnalité dans le cadre des instances internationales. Il a œuvré pour l’expansion des cultures africaines, de l’éducation, de la technologie… », confiait M. Mbow, magnifiant alors l’attribution du nom de celui qui fut son « collègue, ami et frère » au Centre culturel africain de Dakar devenu Centre culturel Blaise Senghor.
Selon Amadou Mahtar Mbow, c’est une belle manière de perpétuer sa mémoire parce que cet homme, mort à l’âge de 44 ans, était peu connu dans son pays.
« Très attaché à sa tradition, il appréciait l’art dans toutes ses sensibilités ; ce qui lui avait fait opter pour le cinéma, un art complet, moyen d’expression lui permettant de servir son peuple, de faire apparaître, dans de grandes fresques historiques, l’héroïsme des combats de l’Afrique », soulignait, en 2001, l’ancien Ministre sénégalais de l’Éducation nationale et ancien patron de l’Unesco, lors de l’ouverture des premières journées dédiées au parrain du Centre culturel Blaise Senghor.
Avant de rencontrer Blaise Senghor à Paris, Amadou Mahtar Mbow dit avoir connu son père, un commerçant de Joal, qui venait à Dakar durant la Seconde Guerre mondiale. M. Mbow connut ensuite le fils dans les années cinquante, alors qu’il faisait Lettres classiques à la Sorbonne, à Paris.
« En 1965, Blaise Senghor est entré à l’Unesco comme délégué permanent-adjoint du Sénégal. En 1966, nous nous sommes retrouvés à la 14e Conférence générale de cette organisation. Je fus élu membre du Conseil exécutif et Blaise me remplaçait pendant mon absence et m’assistait à Paris. Il était mon suppléant jusqu’en mai 1970, date de ma démission du Conseil exécutif de l’Unesco. Lorsque j’étais devenu Sous-directeur général chargé de l’Éducation, Blaise Senghor a continué mon mandat avant d’être élu membre du Comité exécutif en octobre 1970… », se souvient, ému, M. Mbow qui fut élu, le 30 novembre 1974, à la tête de ce prestigieux organisme onusien dont le siège est à Paris.
De 1965 à sa mort, en 1976, Blaise Senghor, l’enfant de Joal, a cheminé avec son « frère » Amadou Mahtar Mbow, le natif de Louga, dans les instances de l’Unesco. Ainsi, dans le discours d’hommage que le Professeur Mbow avait rendu à son compatriote disparu, devant le Conseil exécutif de l’Unesco, il soulignait que Blaise Senghor aura participé activement, pendant plus de 10 ans, à la vie de l’organisation onusienne, et c’est un sort bien injuste qui met un terme à la carrière d’un homme qui n’avait que…44 ans.


Omar DIOUF, dans Le Soleil