vendredi, novembre 15, 2024

Fab lab, hackerspaces…la révolution aura-t-elle lieu ?

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Ils bricolent, innovent, récupèrent, coopèrent… : les fab lab ont le vent en poupe. Révolution ou effet de mode ?

Contrairement à ce que l’on a pu croire, il y a à peine dix ans, la révolution du numérique ne se traduit pas par un mouvement inéluctable de dématérialisation des activités productives. On assiste aujourd’hui, tout au contraire, à la multiplication d’espaces de travail qui rassemblent dans un même lieu des collectifs de travailleurs, tout en bousculant les logiques organisationnelles anciennes. Les formes concrètes de ces « tiers lieux » où se retrouvent des personnes qui travaillent pour elles-mêmes ou pour des entreprises différentes sont multiples. On peut cependant repérer deux formes principales : les hackerspaces, les fab lab auxquels s’ajoute le coworking .

Les hackerspaces, les premiers, mettent à disposition de leurs membres, voire plus généralement du public qui vient pousser les portes de ces ateliers, tout un ensemble de ressources qui permettent de bricoler, d’innover… Dans des locaux dont les surfaces varient entre quelques dizaines et plusieurs milliers de mètres carrés, il est ainsi possible d’e-programmer sur ordinateur, de surfer sur Internet, de monter des circuits électroniques, de coudre, de fabriquer des meubles, de faire pousser des plantes, de cuisiner… La palette des activités est vaste. Mais si les hackerspaces innovent, c’est non seulement parce que celles et ceux qui fréquentent les lieux viennent bidouiller pour le plaisir mais aussi parce que, tôt, y ont été expérimentées des machines comme l’imprimante 3D. Alliance de ressources offertes par Internet et de matériaux physiques assemblés pour permettre l’impression de n’importe quel bien (un sifflet en plastique, une pizza, une prothèse…), l’imprimante 3D est regardée aujourd’hui par certains prospectivistes comme le fer de lance d’une troisième révolution industrielle.

S’émanciper, imaginer, fabriquer…

La plupart du temps, les fab lab (c’est-à-dire « laboratoires de fabrication ») ressemblent comme deux gouttes d’eau aux hackerspaces. Un peu plus souvent orientés cependant vers la production d’objets physiques de toute nature (meubles, appareils électroniques, robots, vêtements…) que vers les activités informatiques, ils offrent des ressources comparables aux « makers »(bricoleurs) désireux de trouver du plaisir dans la conception collaborative d’objets physiques. Parce qu’elles peuvent y faire réaliser des travaux qu’elles ne savent pas faire (le prototypage par exemple), mais aussi parce que ce sont des espaces où leurs salariés peuvent travailler en toute liberté, de plus en plus d’entreprises sont intéressées par ces lieux d’innovation. Là, en effet, l’on apprend non seulement à manipuler les outils les plus variés (machines à commandes numériques, découpeuses laser, microcontrôleurs…) mais aussi à se défaire des relations hiérarchiques habituelles pour, ensemble et au bon gré des collaborations volontaires, imaginer et fabriquer tous les objets possibles. Fondé à l’université de Harvard il y a moins de deux décennies, le premier fab lab a d’emblée suscité l’intérêt auprès des étudiants. Depuis, le modèle a conquis une grande partie de la planète. Une charte a été établie pour s’assurer que l’esprit du « make »ne sera pas dénaturé à chaque fois qu’un nouveau lieu revendique l’étiquette fab lab. Un réseau du même nom relie aujourd’hui également, à l’échelle mondiale, l’ensemble des acteurs de ce mouvement.

Au-delà des nuances, parfois difficiles à percevoir en pratique, qui différencient les hackerspaces et les fab lab, une même philosophie percent dans ces espaces : il s’agit de bricoler une nouvelle manière de créer et de produire. Sur les projets qui lui tiennent à cœur, chacun peut travailler seul ou en collaboration, au rythme qui lui plaît tout en étant inséré dans un collectif pourvu de règles mais souvent rétif à toute forme de hiérarchie.

Un creuset de nouvelles exigences

Ces espaces sont enfin des lieux d’apprentissage. Régulièrement, des cours et des ateliers d’initiation y sont gratuitement offerts. Il est difficile d’estimer avec précision le nombre de lieux et de personnes concernés aujourd’hui par ces tiers lieux de fabrication. Tout au mieux peut-on dire qu’ils se comptent désormais par centaines en France et que la plupart des espaces urbains en sont pourvus. Les personnes qui les fréquentent ne sont pas, en règle générale, des makers à plein temps. Salariés, autoentrepreneurs, artisans ou encore étudiants, ils trouvent là des ressources originales pour donner du sens à des activités qui, ailleurs, sont souvent contraintes par des exigences marchandes (impératifs de rentabilité et de flexibilité) et organisationnelles (poids de la hiérarchie et des évaluations) parfois difficiles à supporter au quotidien. Voilà pourquoi l’on peut considérer que ces nouveaux espaces sont des creusets où percent de nouvelles exigences à même de bousculer des mondes du travail peu enclins habituellement à favoriser l’autonomie individuelle et la convivialité entre pairs.

L’électrolab de Nanterre

L’électrolab de Nanterre est aujourd’hui l’un des hackerspaces français les plus importants.

Ouvert chaque jour, il est régulièrement fréquenté par plusieurs dizaines de passionnés, souvent des jeunes hommes dotés d’un minimum de qualification technique. Le collectif revendique un esprit hacker qui incite à la défense des logiciels libres et de la philosophie du do it yourself.Doté de locaux de 1 500 mètres carrés, il incarne à lui seul l’esprit de la bricole de ce que l’on nomme le mouvement maker.

Le lieu est doté d’équipements de toutes sortes, des machines industrielles de gros gabarit au petit matériel de bricolage (tournevis, perceuses…) en passant par des compresseurs, des brodeuses numériques, des centrifugeuses, des extrudeuses céramiques, des thermoplieuses, des thermoforeuses… Pour devenir membre, il faut s’acquitter d’une cotisation mensuelle de 15 euros. Celle-ci permet non seulement d’accéder à toutes les ressources mises à disposition sur place mais également de profiter de formations dans les domaines les plus variés, de disposer d’un peu d’espace pour stocker ses bricolages en cours, de prendre part à la vie de l’association… Les entreprises sont également conviées à l’aventure. Aux entrepreneurs désireux de tester et d’accélérer des projets à finalité commerciale, l’électrolab propose des locaux et des ressources matérielles propices à la réussite économique. Le lieu est placé sous la responsabilité d’une dizaine d’administrateurs, tous volontaires, qui gèrent la vie collective au quotidien.

 Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement, dans Scienceshumaines