mardi, décembre 24, 2024

Le transhumanisme : la technologie au service de l’humain ?

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A l’heure où toutes les grandes richesses mondiales, Jeff Bezos, Elon Musk, Bill Gates investissent dans la recherche contre le vieillissement ou pour l’augmentation des capacités humaines et considérant qu’aujourd’hui, le monde a tendance à être régi par l’argent. Nous pouvons nous questionner sur ces choix d’investissements et la pensée transhumaniste qui traverse ces choix.

Le développement des technologies, biotechnologies et du numérique offre des nouvelles opportunités dans la vie de l’être humain mais également, dans certains cas, une nouvelle façon d’être. Il serait alors possible de soigner les troubles psychiques, les dépressions, les troubles alimentaires, les TOC grâce à des implants électriques insérés dans notre cerveau. Démocratiser la transplantation à l’aide d’organes artificiels. Néanmoins, les progrès réalisés dans les domaines comme la biotechnologie et la neuroscience par exemple, font miroiter l’arrivée de technologie intégrée permettant à l’être humain de voir dans le noir ou de ne plus connaître certaines sensations comme la fatigue ou la faim. Devenir un être humain augmenté, ou un post-humain selon le transhumanisme. En résumé, vivre en meilleure santé, plus longtemps, devenir plus intelligent, plus performant et ce, grâce à de nouvelles technologies. Cette perspective nous pousse à nous questionner sur « Qui sommes-nous ? » et « Qu’est-ce qu’un être humain ? » et « Qu’accepterons-nous de devenir ? ».[1]

Lorsque l’humain utilise des techniques pour améliorer son environnement ou lui-même, cela sonne naturel. N’est-ce pas ce que l’humain a toujours fait et qui est la définition du progrès ? Pourtant lorsque l’on parle d’éradiquer des populations entières d’insectes (de nuisibles) ou que l’on envisage de faire du forçage génétique pour améliorer les générations futures d’humains, quelque chose semble bien nous déranger. Il s’agit ici d’une question d’éthique. Questionnement essentiel qui est trop souvent laissé de côté face à l’attrait des nouvelles découvertes et technologies.

Le transhumanisme, qu’est-ce que c’est ? Jusqu’où peut-on aller ? Aurait-on besoin de garde-fous ?

Le transhumanisme est considéré comme un courant de pensée qui prône l’usage des sciences et technologies afin d’améliorer la condition humaine à travers notamment ses capacités physiques ou mentales. Selon le transhumanisme, la vieillesse, les maladies ou encore la mort sont des problèmes que les nouvelles technologies peuvent combattre ou résoudre.

Le transhumanisme transporte l’idée que l’augmentation des capacités humaines est un progrès. Les controverses portent alors sur l’imaginaire que l’on met derrière cette notion de progrès.

Ce concept regroupe différents mouvements, d’une part un transhumanisme que l’on dira libertaire et qui voit le jour avec le philosophe Max More dans les années 90, aux États-Unis qui se réfère à des notions comme le darwinisme ou même l’eugénisme. D’autre part, une version plus contemporaine du transhumanisme qui a la volonté de rendre ces techniques d’amélioration de l’humain, universelles. Cette dernière version, la plus répandue aujourd’hui, serait née sous l’influence de l’ingénieur français Jean Coutrot.[2]

Le mouvement prend une dimension plus assumée dans les années 80 en Californie et ses idées se retrouvent également dans l’art. Elle répond à une croyance que la technologie est une source de bonheur. Le corps est alors perçu comme une imperfection à réparer au lieu d’être accepté comme il est.

Les avancées recherchées par le transhumanisme utilisent les nanotechnologies et les biotechnologies dans une utopie de créer le « post-humain ». Comment trouver la limite entre les recherches qui tente de rendre la vue à des personnes non voyante, de faire marcher des personnes paralysées ou de stimuler le cerveau pour combattre la maladie de Parkinson, et celles qui cherchent à connecter le cerveau humain à Internet ou à éradiquer la mort ?[3]

Si le mouvement considère que les limites naturelles de l’humain et sa dégénérescence est un frein au progrès, nous devons poser une question de valeur morale sur la préservation des systèmes naturels mais aussi une question pratique.

L’avènement du tout connecté à montrer aussi que cela le rendait plus vulnérable aux attaques, piratages ou encore bugs que ce soit les technologies implantées dans le corps humain ou les systèmes des hôpitaux ou administrations.

Cette augmentation de l’homme par la technologie pourrait-elle finalement le rendre plus vulnérable et dépendant a contrario de son objectif premier ? L’accès ou non à ce type de technologie permettant de se rendre plus performant et plus compétitif n’accentuerait-elle pas les inégalités au sein de notre société ?

Qui sont les acteurs du transhumanisme d’aujourd’hui ?

Si les premières images qui nous viennent semblent sorties d’un film de science-fiction, le transhumanisme et ses expériences ne sont pourtant pas l’apanage de scénari cinématographiques.

Le 15 juin dernier, la Commission européenne annonçait la mise en place de onze partenariats pour des financements à hauteur de 22 milliards d’euros pour son objectif de double transition : écologique et numérique. Le lien qui est fait entre transition écologique et transition numérique est déjà problématique. En effet, la croissance éclatante du numérique est loin d’être la solution miracle aux problème environnementaux. La face cachée du numérique révèle conflits armés, conflits sociaux et dégats environnementaux à long terme. Pourtant, Margrethe Vestagher, vice-présidente exécutive de la Commission européenne annonce « des outils technologiques, liés à l’intelligence artificielle, aux données, à la robotique et autres, qui nous permettront d’atteindre nos objectifs environnementaux et climatiques, afin d’avancer vers un avenir plus propre et plus sain. »[4].

En effet, la société Calico, fondé par Google, Neuralink d’Elon Musk ou encore le projet « Target Malaria » mis en place par la fondation Bill et Melinda Gates, prouvent que ces réflexions, ces recherches et ces expériences sont bien actuelles.

Société Calico est une sociéte de biotechnologie qui travaille sur le ralentissement du vieillissement et des maladies associées. Son objectif étant de permettre aux humains de vivre aussi longtemps qu’ils pourraient le souhaiter. Le Time américain se demandait suite au lancement de cette société « Google peut-il résoudre la mort ? ». Calico se différencie des laboratoires pharmaceutiques et autres entreprises de biotechnologie en ce qu’elle parie sur le très long terme.
Neuralink est une start-up américaine qui développe des implants cérébraux qui seront directement reliés à des ordinateurs. Cette technologie définie par le cofondateur, Elon Musk, comme une Fitbit[5] du cerveau. Cette puce a, par exemple, pour objectif de redonner la vue ou la mobilité aux personnes qui la possèderont mais les fondateurs annoncent également qu’elle aura pour dessein de permettre une connexion avec l’intelligence artificielle.

Un homme nouveau : à quel prix ?

La question qui vient se poser est : si nous avons autant évolué depuis l’ère préhistorique, les humains du futur, nous considéreront-ils comme des « hommes des cavernes » ? 

Thierry Magnin rappelle l’importance de questionner la relation entre l’être humain et la machine. Les technosciences donnent à l’être humain des potentialités inédites. Si elles offrent de nouvelles perspectives à la médecine et permettent de combattre certaines maladies et handicap, la question est alors « Quelle est la différence entre l’être humain réparé et l’être humain augmenté ? ». Augmenter les capacités d’une personne en bonne santé est une démarche bien différente qui mérite que l’on s’arrête et s’interroge. Augmenter, pourquoi ? Si l’être humain a toujours cherché à augmenter ses capacités, pour la première fois, il s’agit de toucher la nature biologique de l’être humain. Quel est le sens profond d’augmenter ? Quel sens nous donnons à notre destinée humaine dans cette visée ?

La tentation de toute puissance et de maîtrise est présente chez tout un chacun mais notre humanité est également dans la reconnaissance de nos limites.

Marqué par de nombreuses nuances, le transhumanisme donne une vision des technosciences selon laquelle ces dernières vont sauver l’humain. Il s’agirait du devoir des sciences de sortir la condition humaine de ses déterminismes et ce, afin que l’humain n’ait plus à craindre aucune limite. Pourtant certains courants, nie même jusqu’à la limite de la mort. Entre dépasser ses limites et se penser sans limite et ne vouloir plus aucune limite, il y a un grand écart qui serait donc franchissable par les technosciences. Cette toute-puissance serait alors individualiste et réservée à une élite. Est-ce que nier la vulnérabilité de l’être humain, ne revient-il pas à nier ce qui fait de lui un être humain ? La croissance de l’être humain est également ce qui lui permet d’évoluer, empêcher la croissance ne reviendrait-il pas à stagner. Le vivant se laisse modifier par son environnement et évolue entre vulnérabilité et robustesse. Les technosciences misent tout sur la robustesse.

Citation de Pascale « le roseau pensant » : « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ». L’homme est un roseau, le plus faible de la nature mais il est pensant.

Il ne s’agit pas d’être technophobe. Il y a d’une part, le technoscientifique qui va s’intéresser aux fonctions du vivant et d’autre part, le biologiste qui s’aperçoit de la complexité de plus en plus grande du vivant, mettant en avant l’importance du psychisme sur le biologique. Le contexte et le vécu va jouer sur les fonctionnalités, elles-mêmes du vivant. Le psychisme introduit donc la complexité. Respecter le vivant ne serait-il pas le respect de cette complexité.

Conclusion

Comment pouvons-nous garantir l’utilisation des technosciences au service de l’humain ? La maîtrise de ces outils par l’être humain commence par le choix qu’il peut faire : moins compter sur la sophistication à outrance de son environnement, pour valoriser davantage la robustesse de nos modes de vies et de nos capacités humaines. La relation entre l’être humain et la machine est à repenser, il s’agit d’un thème qui doit être débattu dans l’espace publique parce qu’il nous touche tous et toutes au jour le jour. Avoir la maîtrise sur ces nouvelles technologies c’est pouvoir les replacer au rang d’outils.

Le danger de ces technologies visant un post-humain est également leur caractère élitiste. Pourra-t-on assurer un accès universel à celles-ci permettant à chaque individu, sans discrimination, d’accéder à ces fonctionnalités ou creuseront-elles encore plus profondément les inégalités déjà présentes ?

Le transhumanisme reste un mouvement utopiste voire positiviste. La majorité des scientifiques reconnus n’adhèrent pas aux visées et aux propos du transhumanisme. Néanmoins, ce mouvement est intéressant par les questionnements qu’il soulève sur notre définition du progrès et notre maîtrise de son développement.

Il nous faut donc exiger un débat démocratique et la garantie d’une approche sociale autour du développement et du financement de ces nouvelles technologies.


[1] Thierry Magnin, « Être humain, pleinement », dans l’émission radio Les Discussions du soir avec Leili Anvar, France Culture, https://www.franceculture.fr/emissions/les-discussions-du-soir-avec-leili-anvar/etre-humain-pleinement

[2] Stanislas Deprez, Une histoire française du transhumanisme, la vie des idéeshttps://www.lefigaro.fr/vox/histoire/aux-origines-du-projet-transhumaniste-20200320

[3] La rédaction futura tech, « Transhumanisme, qu’est-ce que c’est », Futura techhttps://www.futura-sciences.com/tech/definitions/technologie-transhumanisme-16985/

[4] https://www.actuia.com/actualite/la-commission-europeenne-lance-11-partenariats-pour-repondre-a-la-transition-ecologique-et-numerique/

[5] Fitbit est une montre connectée permettant différentes fonctionnalités dont l’accès à vos données sur votre état de santé (pouls, fréquence cardiaque, température, saturation en oxygène, fréquence respiratoire)

Par Mila Gatti (son site)  dans Agoravox