Passionné de sciences, le Pr Balla Diop Ngom s’est spécialisé dans le domaine des nanosciences (l’ensemble des études et des procédés de fabrication et de manipulation de structures, de dispositifs et de systèmes matériels à l’échelle du nanomètre, ce qui est l’ordre de grandeur de la distance entre deux atomes), avec un accent particulier sur la nanophotonique, l’optique, l’énergie et les nanomatériaux intelligents. Il se distingue surtout par ses travaux dans le domaine de valorisation de la biomasse en général. Ceux-ci l’ont conduit au projet, en cours, sur « Innovative Electrode Materials For Energy Storage Applications » portant sur la valorisation des coques d’arachides dans le domaine de l’énergie, qui a reçu un financement d’un montant de deux cent trente millions de francs CFA (230.000.000 FCFA) de la prestigieuse Royal Society de Londres. Une fois que le système est bien optimisé, la trouvaille du Pr Ngom va permettre de résoudre le problème d’accès à l’énergie surtout dans le milieu rural.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Pour me présenter je dirais que suis un scientifique des Nanomatériaux, originaire du Sénégal, pays d’Afrique de l’Ouest, et titulaire d’un diplôme de premier cycle en physique du solide, photonique et dynamique des fluides de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Notre vif intérêt nous a conduit à faire des études doctorales en physique à la même université, qui ont abouti à l’obtention d’un doctorat de 3eme cycle sur des travaux portant sur la microstructure et les propriétés optiques des couches minces et des nanorods de ZnO dopé au tungstène préparé par dépôt par laser pulsé.
Notre dévouement et engagement dans le domaine nous ont amené à poursuivre un second doctorat à l’Université of the Western Cape (UWC), au Cap, en Afrique du Sud de 2007 à 2010. Grâce à ces résultats universitaires, nous avions acquis une dizaine d’années de connaissances approfondies et d’expérience dans le domaine pluridisciplinaire des nanosciences, avec un accent particulier sur la photonique, l’optique, l’énergie et les nanomatériaux intelligents.
Nous avons publié un grand nombre d’articles scientifiques a peu prêt plus de quatre-vingts (80) dans des revues dans le domaine de l’ingénierie des matériaux avec comme application la production la conversion et le stockage de l’énergie.
Nous sommes membres de nombreux programmes de coopération internationale dans le domaine des nanosciences, avec un intérêt principal pour la nanophotonique et les nouveaux matériaux multifonctionnels. D’ailleurs nous organisons la 11eme Conférence Internationale de la Société Africaine de Recherches sur les Matériaux : AMRS (African Materials Research Society) qui se tiendra à Dakar du 12 au 15 décembre 2022.
Nous avons effectué plusieurs stages postdoctoraux, notamment à l’INRS_EMT au Canada de 2010 à 2012 avant de retourner en Afrique du Sud où nous avions occupé pendant deux ans un poste postdoctoral aux Nanosciences Laboratories d’iThemba LABS avant de rejoindre l’Université d’Afrique du Sud (UNISA) pour un troisième poste postdoctoral.
Nous sommes associés à la chaire UNESCO-UNISA en nanosciences et nanotechnologies hébergée à l’Université d’Afrique du Sud, à Pretoria, en Afrique du Sud.
Nous venons d’être promu au grade de Professeur Titulaire des Universités a l’issue des résultats du CAMES de 2021 et nous dirigeons depuis 2014 le Laboratoire de photonique quantitative d’énergie et de nanofabrication de même depuis janvier 2021 nous sommes nommé par le recteur de l’UCAD comme directeur Adjoint du Centre d’Etudes et de Recherches sur les Energies renouvelables (CERER) que je remercie au passage pour la confiance.
Nous sommes également titulaires du prestigieux prix de Future Leaders – African Independent Research (FLAIR), un projet financé par la Royal Society de la Grande Bretagne en partenariat avec l’Académie africaine des sciences. Nous venons de recevoir le prix de « ICAN-X Young Scientitst Award » ensemble avec un collègue du MIT de Boston au Etats Unis.
En outre, Nous avons également développé de solides instincts entrepreneuriaux, qui nous ont non seulement valu plusieurs récompenses, mais également orienté nos recherches vers des dispositifs à potentiel commercial dans le domaine énergétique. Nos plus grandes forces correspondent à celles qui sont les plus nécessaires à la création d’une recherche multidisciplinaire de pointe dans la dynamique des nouveaux matériaux nanostructurés et des méthodes de nanotechnologie appliquée.
Aujourd’hui, comment évolue votre projet de production d’énergie avec les coques d’arachide ? … et quels sont ses objectifs ?
Nos travaux dans le domaine de valorisation de la biomasse en général, ont démarré depuis l’année 2015 et ont connu à une certaine reconnaissance par les pairs. Ces travaux ont conduit au projet, en cours, sur « Innovative Electrode Materials For Energy Storage Applications » portant sur la valorisation des coques d’arachides dans le domaine de l’énergie, qui a reçu un financement d’un montant de deux cent trente millions de francs CFA (230.000.000 FCFA) de la prestigieuse Royal Society de Londres, pour deux ans. Le Projet évolue très bien d’ailleurs nous avons élargi cela a l’hibiscus sabdarifa, le Bissap.
Nous avons mis au point des composites binaires durables à base de pentoxyde de vanadium et de mousse de carbone et de graphène en utilisant la coque d’arachide et l’hibiscus sabdarifa dénommés (V2O5@C-R2HS/GF). Le dispositif final dénommé V2O5@C-R2HS/GF//AC a délivré une énergie spécifique élevée et des valeurs de puissance spécifique de 55 W h kg-1 et 707 W kg-1 respectivement, pour un courant spécifique de 1 A g-1.
Ce dispositif asymétrique a présenté un bon test de stabilité montrant une rétention de capacité de 99% jusqu’à 10 000 cycles qui a été confirmée par le temps de flottaison jusqu’à 150 h avec une énergie spécifique de 23,6% après les 10 premières heures de charge/décharge.
La densité d’énergie obtenue de 55 W h/kg est six fois plus élevée que celle des meilleurs supercondensateurs disponibles dans le marché mondial.
Quels sont les impacts sur l’environnement ?
Le procédé que nous avons mis en place est entièrement vert avec zéro dégagement de CO2 même si nous travaillons avec la biomasse qui est composée de carbone. Les impacts environnementaux sont entièrement positifs d’ailleurs nous nettoyons l’environnement en valorisant les « déchets agricoles ».
Avez-vous déjà, avant celle-là sur les coques d’arachide, réalisé d’autres découvertes ? C’était sur quoi ?
Globalement, nos travaux au sein du Laboratoire LPQEN sont principalement du domaine des nanosciences et des nanotechnologies, valorisant, selon des procédés verts et propres de synthèse physico-chimique, non seulement la biomasse mais également les minerais notamment métalliques avec la fabrication de nanoparticules d’oxydes métalliques de zinc, de zirconium, de fer entre autres, qui coûtent au moins cent fois plus chères que le minerai brut.
A quelle échelle, cette énergie pourrait être utilisée ?
Il faut comprendre que nous n’avons pas créer une nouvelle forme d’énergie, nos résultats constituent en la valorisation des coques d’arachides en nouveaux matériaux composites servant d’électrodes (soit anode ou cathode) pour les batteries et supercondensateurs permettant ainsi une meilleure performance jamais atteinte. Nous avons tout simplement développé un procédé nouvel qui nous est propre pour la fabrication de ce nouveau matériau composite issu de la coque d’arachide. Il faut noter principalement que ce nouveau matériau composite présente en son sein deux technologies différentes notamment la technologie batterie et celle des supercondensateurs permettant de développer une technologie hybride de stockage d’énergie, voilà la vraie nouvelle.
Est-ce que cette découverte est portée à la connaissance des populations qui cultivent l’arachide ?
Nous ne sommes pas encore à ce stade, nous travaillons actuellement à une meilleure optimisation du procédé, après l’étape suivante serait un transfert de technologie, suivi du développement d’une start-up. C’est à partir de cette étape du projet que nous serons en mesure d’approcher les populations.
Comment peuvent-elles en faire usage ? Quels sont vos projets dans un court et moyen terme ?
Les principaux bénéficiaires de cette nouvelle technologie seraient les populations dans les pays en voie de développement. Elle va permettre de résoudre le problème d’accès à l’énergie surtout dans le milieu rural où nous avons un sérieux problème d’électrification. Une fois que le système est bien optimisé et nous arrivons à faire un transfert de technologie, nous développerons une start-up pour la production de systèmes de stockage qui seront disponibles pour la population.
Qu’est-ce qu’elle peut leur apporter ?
Il est important de noter que nous vivons dans un pays en voie de développement où la majeure partie de la population à un problème sérieux d’accès à l’énergie. Le réseau national de distribution d’électricité n’arrive pas à couvrir tout le pays laissant ainsi un vide énergétique. Plus généralement dans la plupart des pays du monde en particulier les pays en développement, la raréfaction et l’épuisement des ressources énergétiques (fossiles) poussent les populations des zones rurales à utiliser du pétrole lampant pour éclairage. Pour le chauffage, elles utilisent « la biomasse traditionnelle » comme le bois, la bouse de vache etc.
Ces pratiques sont à l’origine de la déforestation et de la pollution atmosphérique. Les pays en développement sont confrontés à des problèmes sanitaires liés à une mauvaise gestion des déchets organiques. Pour une solution à cette problématique, une action clé consiste à l’utilisation des énergies renouvelables. La plupart des énergies renouvelables comme les énergies solaires photovoltaïques, maritimes, éoliennes dépendent de la météo. L’une des initiatives est donc de développer des systèmes de stockages performants. Cette technologie permettra aux populations de pallier ces problèmes et d’avoir accès à l’énergie mais aussi revaloriser la production de l’arachide.
On remarque de plus en plus d’initiatives chez les jeunes chercheurs. Selon vous comment pourrait-on accompagner cette dynamique ?
Effectivement nous avons des jeunes chercheurs très dynamiques et innovateurs, pour les accompagner, il n’y a pas de secret il faut mettre en place des mécanismes de financement conséquents. La recherche ce n’est pas un jeu c’est de l’argent qui la fait, les pays comme les Etats Unis, la Grande Bretagne et l’Allemagne de même l’Afrique du Sud l’ont bien compris. Il faut créer des mécanismes de financements de mobilités des jeunes chercheurs, s’appuyer sur le concept de la diplomatie scientifique.
Il faut s’ouvrir aux bailleurs, encourager le développement de cotutelles de thèses et des consortiums de recherches mais également chaque Université ou centre de recherche au Sénégal doit être doté d’un centre de transfert technologique d’entreprenariats après la mise en place de financement conséquente pour chercheurs. Nous sommes en train de perdre la masse critique de chercheurs que nous avions juste après les indépendances et ceci s’explique tout simplement par un manque de financement conséquent.
Est-ce que l’université où vous êtes enseignant, a fait un travail de vulgarisation de cette découverte ?
Je dirais clairement non, sans entrer dans les détails.
On vous reproche souvent vous universitaires, de vous cloisonner entre les amphithéâtres et laboratoires loin de la société. Comment rompre ce cloisonnement pour faire bénéficier aux populations les fruits de vos travaux ?
Effectivement vous avez raison mais cela s’explique, il suffit de comprendre qu’il y’a deux types de recherches ; la recherche fondamentale qui s’appuie sur la production du savoir et le développement de la connaissance. Cette recherche a pour cible principale la communauté scientifique et Universitaire dont les résultats servent principalement au développement de la carrière des chercheurs.
L’autre recherche appelée recherche développement ou recherche appliquée qui s’appuie sur l’innovation et le développement des procédés industriels, est principalement conduite en partenariat avec les industriels, ce sont les résultats de cette recherche qui devrait intéresser la population malheureusement nous sommes dans un pays non industrialisé donc cette recherche est presque inexistante. L’environnement industriel fait défaut, le désengagement de l’État d’une part a abouti à une véritable désinstitutionalisation de la science et à une déprofessionnalisation en mettant de fait les chercheurs à disposition d’un libre marché de l’expertise et de la consultance. Cette évolution a contribué à une déqualification progressive des chercheurs.
Pour rompre cela, il faut encourager la création d’incubateurs et développer des systèmes de transferts technologiques en s’appuyant sur l’entreprenariat. Il faut reconnaitre aussi, il y’a une absence notoire de support médiatiques pour la vulgarisation de la recherche et la visibilité des chercheurs mais avec l’avènement des réseaux sociaux les chercheurs commencent à se faire connaitre et être en contact permanent avec la société sur leurs résultats de recherche.
Comment la communauté scientifique a accueilli votre travail ?
Il faut reconnaitre que cela a suscité beaucoup d’intérêt surtout en Afrique où je ne cesse de recevoir des contacts. Et ce qui me fait le plus plaisir est que j’ai reçu la visite de deux entreprises sénégalaises qui travaillent sur les coques d’arachides.
Est-ce que vous pensez que la recherche a la place qu’elle mérite au Sénégal ?
La réponse exacte est non ! Il faut noter qu’il manque expressément une politique de recherche en Afrique (sauf Afrique du Sud) en particulier au Sénégal. Même si la recherche africaine s’est professionnalisée et institutionnalisée en certain moment après les indépendances, la réduction des budgets publics voir même leurs inexistences, a conduit à une dépendance accrue de l’étranger pour mener des recherches. La production scientifique est maintenue par des groupes ou réseaux de chercheurs spécialisés dans quelques disciplines travaillant souvent en collaboration avec des chercheurs étrangers. Leurs contributions restent toutefois modestes.
Si nous vivons actuellement ce qu’on appelle « La fin de la science nationale », l’organisation de la production scientifique a subi des changements importants au cours des dernières décennies. Dans les pays industrialisés et émergents, le souci de compétitivité à l’échelle mondiale dans plusieurs domaines à fort enjeu technologique (biotechnologies, nouveaux matériaux, technologies de l’information…) a conduit à réformer les institutions scientifiques en favorisant les collaborations internationales associant secteurs public et privé au sein de consortiums de plus en plus mondialisés. Le rôle et le mode de fonctionnement des institutions publiques de recherche ainsi que la condition professionnelle des chercheurs s’en trouvent fortement modifiés. Et c’est là où le Sénégal est en train de pécher, la solution est de créer une diplomatie scientifique forte.
Envisagez-vous, dans le cadre de votre découverte, de travailler par exemple avec la Senelec qui produit l’électricité au Sénégal ?
Nous sommes ouverts à toute collaboration, pourvu que cela aille dans le sens du développement de notre procédé pour le bénéfice de la communauté.
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