jeudi, novembre 7, 2024

Pourquoi le numérique est un véritable « enfer » pour l’environnement

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Une notification est-elle polluante ? L’achat d’un smartphone dernier cri est-il néfaste à l’environnement ? Liker la photo d’un ami sur Facebook revient-il à augmenter (de manière marginale) les émissions de gaz à effet de serre ? À toutes ces questions, le journaliste Guillaume Pitron répond par l’affirmative. Spécialiste de l’impact écologique des activités humaines, il publie L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un like (éditions Les liens qui libèrent) et décrit de manière exhaustive, sur Europe 1, comment le numérique se révèle incompatible avec l’écologie ?

On croit que le numérique n’a aucun impact matériel sur la planète, mais c’est faux. La pollution digitale est considérable, c’est bien pire que le trafic aérien…

« La pollution de nos données et de toutes nos interactions numériques, c’est 4% des émissions de gaz à effet de serre, un peu moins. Or, le trafic aérien civil mondial, c’est 2,5%, donc c’est 1,5 fois plus.

Par où passent ces petits pouces levés que nous envoyons par millions sur les réseaux sociaux ?

Le like, c’est un petit peu le symbole de nos vies connectées et lorsque je presse like sur mon téléphone. D’abord, le like va aller à l’antenne 4G qui est au-dessus de moi ou à ma box WiFi si je suis chez moi puis va descendre ensuite via des câbles sous les trottoirs, rejoint d’autres câbles, souvent traverser un océan généralement Atlantique parce que ce like appartient à Facebook. Donc, du coup, il va se retrouver dans un centre de traitement de données où ce like est stocké faire chemin inverse à vous par l’océan Atlantique via des câbles sous-marins, puisqu’en fait, 99% de nos likes et de l’information passent non pas au-dessus de nos têtes via les satellites, mais sous les mers et se retrouver dans le téléphone du voisin qui était likez, même si ce voisin se trouve à 2 mètres de moi. En réalité, il a fait tout ce chemin là, donc il y a une infrastructure absolument colossale pour avoir des vies censément dématérialisées.

« 5.000 Tours Eiffel de déchets électroniques sont produites chaque année »

Cette pollution est d’abord due aux 34 milliards d’ordinateurs, de smartphones et de tablettes que nous utilisons pour aller sur Internet. Il faut les fabriquer et un smartphone contient par exemple plus de 50 matières premières.

Un téléphone portable ne sert pas qu’à téléphoner aujourd’hui, c’est même très accessoire. Il sert à se géolocaliser, à prendre des photos ou des vidéos, commander une pizza, rencontrer l’âme sœur et donc, les fonctionnalités du téléphone se sont multipliées. Or, on veut des téléphones toujours plus beaux, toujours plus miniaturisés et donc pour lesquels il faut toujours plus de matières premières souvent des alliages, des matières mélangées les unes aux autres. En fait, ce téléphone est un concentré de technologies qui a un impact colossal sur l’environnement quand on réfléchit à la façon dont il faut le fabriquer pour l’avoir ensuite tout miniaturisé, tout beau, tout propre dans notre poche. 

Nous produisons des quantités absolument astronomiques de déchets électroniques…

5.000 Tours Eiffel de déchets électroniques sont produites chaque année. L’énorme enjeu va être de savoir comment on recycle tout ça. Qu’est-ce qu’on fait de tous ces rebuts qui n’ont pas de valeur et qui pourtant, vont devenir les cartes au trésor de demain ?

Cette pollution provient également des données que nous produisons. Il faut les transporter, les traiter, les stocker, comme les likes que vous décriviez tout à l’heure. Il faut des câbles, des routeurs, des bornes WiFi, des antennes 4G ou bientôt 5G. Là encore, la pollution est terrible.

À chaque fois, c’est une pollution additionnelle pour multiplier tous ces équipements, évidemment. Et puis, nos likes vont terminer à un moment ou à un autre stockés dans des centres de données, ce qu’on appelle aussi des « data center » qui stockent la mémoire du monde. Ils ne vont pas être stockés dans un seul endroit. Toutes nos vies numérisées sont stockées dans des tas de data centers. Elles sont dupliquées parce que si un data center tombe en panne, il faut qu’immédiatement un autre centre de données prenne le relais.

« Où que l’on aille, on voit un impact »

On n’aime pas attendre et on veut que tout arrive tout de suite sur Internet. Et pour ça, il faut dupliquer les data.

Votre messagerie Gmail, si vous en avez une, serait stockée dans six endroits différents de la planète, dans six data centers pour que vous soyez proche d’un data center au monde où vous vous connectés. Et puis, pour qu’il y ait des centres de données qui assurent la continuité de service parce que si jamais il y en a un qui tombe en panne, ce serait insupportable d’attendre trois secondes de trop. Et donc, il va falloir tout redonder. Et donc tout cela, naturellement, c’est de la matière, encore des infrastructures à construire qu’il faut brancher au réseau. Et puis, il faut naturellement les refroidir puisque ça chauffe. Donc pour ça, il faut des systèmes de climatisation qui consomme de l’électricité. D’où vient l’électricité ? Il y a un coût énergétique, un coût électrique et donc, forcément, un coût en termes de gaz à effet de serre.

Il y a actuellement plus de 3 millions de data centers sur la planète qui consomment de l’eau pour les refroidir et de l’électricité…

Cette électricité peut être produite par les mines de charbon. C’est le cas notamment des mines de charbon dans les Appalaches, où je me suis rendu. C’est une grande zone d’extraction charbonnière encore aujourd’hui. Et une partie de ce charbon sert à fournir de l’électricité et la source de l’électricité, qui sert notamment à faire tourner la ‘data centers city’ de Dashburn, qui est une ville qui se trouve au sud de Washington et par laquelle transitent 70% de nos données. Sauf qu’à la base, il y a une pratique de l’enlèvement de sommet de montagne. On fait sauter les sommets des montagnes des Appalaches à la dynamite pour en retirer le charbon. C’est un peu aplati quand on y va. Où que l’on aille, on voit cet impact pour peu qu’on ouvre les yeux et qu’on aille au bon endroit.

Vous vous êtes rendu également dans un village du nord de la Suède dans le Grand Nord, où toutes les données produites en Europe par Facebook se retrouvent regroupées.

Facebook a constaté qu’il fallait rapprocher un centre de données des utilisateurs européens, mais aussi africains et du Moyen-Orient. Il constate également que sa réputation est engagée et entachée par tout ce que nous nous disons actuellement et qui commencent à bruisser dans les médias. Facebook en 2013, se dit ‘Mais comment est-ce que je pourrais vendre l’histoire d’un data center green vert au Grand Nord qui consommera moins d’électricité puisqu’il n’aura pas à être refroidi avec une climatisation artificielle ? Il suffira d’ouvrir la porte du data center officiellement pour refroidir nos données’. Tout cela se retrouve en 2013, au fin fond de la Suède, où je me suis rendu et où il y a finalement tous mes amis sont là-bas. Toutes les vidéos de chats et toutes les invectives et toutes les admonestations, tous les likes se trouvent dans ce hangar-là.

« Plus c’est virtuel, plus c’est matériel »

Avec votre livre, on se rend vite compte à quel point cette économie « immatérielle » n’a rien d’immatériel.

Plus c’est virtuel, plus c’est matériel. C’est complètement contre intuitif, mais plus on va vers des produits petits, beaux, qu’on a dans les poches, des téléphones portables, etc. qui sont légers plus paradoxalement, le legs matériel de ces produits, de ces interfaces tablettes, ordinateurs est lourd parce qu’il faut les fabriquer. Quand on regarde toute l’infrastructure qui a été développée, déployée, Greenpeace nous dit quand même qu’elle est en passe de devenir la chose la plus vaste et la plus grande que l’homme n’ait jamais construite de l’Histoire. Tout ça pour un soi-disant nuage qui n’a de nuage que le nom. Nos vies dématérialisées n’existent pas, c’est un mythe, un grand récit du capitalisme qui voudrait faire coïncider l’enrichissement sans fin des populations avec la préservation des écosystèmes. En réalité, ça a un coût matériel absolument colossal et qui va ne faire que croître dans un monde de 5G avec toutes les données de plus en plus stratégiques pour nos économies qui vont devoir être stockées. 

Quand tout sera interconnecté, ce sera encore pire, non ?

Certains techno-prophètes veulent tout interconnecter. Ils annoncent l’internet de tout, c’est-à-dire que moi, je vais être un objet connecté. Du coup, je vais être un déchet électronique pour lequel il faudra des filières de recyclage, pour les prothèses, mais aussi pour les implants que j’aurai sous la peau, qui me permettront peut-être demain de rentrer dans internet différemment qu’avec mon téléphone portable. L’internet de tout, c’est une production faramineuse de données. Nous sommes des australopithèques par rapport à l’internet de 2031, dans dix ans, si on se retrouve ici sur Europe 1. C’est absolument colossal ce qui s’annonce. On dit qu’il faut vider sa boîte mail, ce qui est absolument indispensable. Mais en fait, je vide l’océan à la petite cuillère face au tsunami de données qui se prépare.

Les robots polluent encore plus que les humains et les animaux connectés.

Plus de données sont produites par des robots aujourd’hui que par des hommes. Ça ne va aller qu’en s’accélérant avec un internet de robots, fait par les robots pour les robots. Nous jouerons un rôle tout à fait subsidiaire dans cet écosystème qui tournera sur lui-même. Les enjeux devant nous sont absolument passionnants, colossaux. »

 Frédéric Taddéi, dans Europe1