La banque centrale du Ghana planche activement sur le lancement d’une monnaie numérique, appelée e-Cedi. En juin dernier, le gouverneur Ernest Addison a révélé que le projet à un stade avancé passerait par trois phases : conception, mise en oeuvre et pilotage ? avant sa mise en circulation. En cette rentrée de septembre, le pays est bien décidé à entrer en phase pilote. L’ex-Gold Coast veut figurer parmi les premiers pays du continent africain à engager un tel chantier.
« La phase de conception, qui implique la conception de la monnaie numérique, est terminée. La banque centrale en est à la phase de mise en ?uvre et de pilotage où quelques personnes pourront utiliser le cedi numérique sur leurs applications mobiles et autres appareils », indique l’institution. Dans la course à la monnaie numérique, les grandes puissances comme la Chine, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil ou encore l’Union européenne sont déjà dans les starting-blocks. Seules les Bahamas disposent à ce jour officiellement d’une monnaie numérique nationale.
Pourquoi l’Afrique se lance
Bien que les contextes soient différents, le continent africain offre des opportunités considérables pour la monnaie numérique. Si l’Afrique reste l’un des continents les moins bancarisés du monde, seulement 15 % de la population dispose d’un compte bancaire, le paradoxe veut que les Africains soient très bien équipés en mobiles. Deux éléments qui donnent des idées aux banques centrales qui espèrent atteindre rapidement leurs objectifs.
Ainsi, le e-Cedi numérique serait un futur moyen de paiement électronique sur smartphone amené à potentiellement compléter et non pas remplacer les pièces et les billets en circulation aujourd’hui. Pour les gouvernements, une monnaie numérique émise par une banque centrale (MNBC), permet non seulement d’apporter une réponse à la dématérialisation croissante des paiements, mais aussi de prévenir les risques que fait peser la multiplication des cryptomonnaies, des stablecoins et autres projets financiers des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Les avantages de la monnaie numérique sont nombreux pour les Africains, qui pourront par exemple transférer de l’argent sans frais.
Haro sur les cryptomonnaies ?
Mais alors quelle différence avec les cryptomonnaies ? Selon Investopedia, un site Web américain dédié aux questions monétaires et financières, les cryptomonnaies sont trop instables pour jouer le rôle d’argent car elles ne sont pas réglementées par un organisme public ou reconnu au sein de l’État. Elles sont gérées par des sociétés privées et sont soumises à la volatilité du marché, qui les rend inaptes à satisfaire les capacités habituelles de trésorerie. Contrairement aux cryptomonnaies qui connaissent des inflations élevées, des pertes importantes et des incertitudes sur les valeurs futures, le e-Cedi devrait être moins volatil car il sera soutenu par l’État. En cas de fluctuations du marché, la banque centrale interviendra et trouvera une solution durable à l’instabilité du marché.
Pékin interdit l’utilisation des cryptomonnaies car elles ne sont pas régulées par des institutions financières et sont sujettes à spéculation.
L’inclusion financière en ligne de mire
L’enjeu de l’inclusion financière est tout aussi important dans le contexte africain. Selon l’Atlantic Council Geotech Center, les solutions d’argent numérique tout comme le mobile money sont considérés comme des moyens d’accroître l’inclusion financière en poussant les gouvernements à inclure les populations non bancarisées dans l’économie digitale. Selon la Banque d’Angleterre, la monnaie numérique peut également augmenter le produit intérieur brut (PIB) d’un pays jusqu’à 3 % en réduisant les coûts de transaction associés aux transferts et aux transactions.
« Je peux par exemple avoir une carte ? une carte très simple ? sur laquelle je peux stocker mon e-Cedi. Plutôt que de transporter une grosse somme d’argent quelque part pour effectuer un paiement, je pourrais avoir une de ces cartes et enregistrer l’e-Cedi dessus. Il est également important de mentionner que parce que c’est numérique, vous pouvez économiser au-delà des cartes ; vous pouvez également l’enregistrer sur des appareils intelligents tels que des montres intelligentes, des téléphones intelligents. Vous pouvez enregistrer [ l’e-Cedi] sur n’importe quel appareil intelligent », a précisé cette semaine Kwame Oppong, responsable de la technologie financière et de l’innovation à la Banque du Ghana. « Heureusement pour nous, nous disposons d’un système QR (Quick Response) unifié qui permet aux très petits commerçants ? les microcommerçants ? d’avoir la possibilité de recevoir des paiements par voie numérique », a-t-il souligné. La banque centrale du Ghana s’est associée à Emtech, une startup fintech américaine dédiée aux banques centrales. Ce partenariat vise à utiliser le logiciel d’Emtech pour tester des solutions innovantes, notamment la blockchain. La société allemande Giesecke + Devrient a également été sollicitée pour piloter le projet.
Pour le Ghana, cette annonce intervient dans un contexte de tensions autour de la monnaie, le Cedi. Depuis mai, la devise du deuxième plus grand producteur de cacao au monde ne fait que baisser. En effet, le rebond de l’économie après l’épidémie a incité les entreprises à stocker des dollars pour acheter des produits et se développer. Bien que la banque centrale du Ghana ait reçu une injection massive de devise américaine, la demande pour le dollar a bouleversé l’offre, provoquant la chute du Cedi. Malheureusement, la valeur de la monnaie numérique est basée sur les fluctuations de la devise physique.
Monnaie numérique : quels avantages pour l’Afrique ?
Au-delà de la question de savoir quel sera le premier africain à lancer une monnaie numérique soutenue par l’État, des questions plus globales restent en suspens. La monnaie numérique augmentera-t-elle la facilité de paiement et de règlement des transactions ? Répondra-t-elle aux défis des envois de fonds sur le continent ? Sur quelle blockchain fonctionnera-t-elle ? D’autres préoccupations tournent autour de la question de sa pertinence dans le maintien de la stabilité des régimes budgétaires et monétaires.
En attendant, les Ghanéens se demandent s’ils pourront utiliser l’e-Cedi dans d’autres pays. Le Dr. Maxwell Opoku Afare, premier vice-gouverneur de la Banque du Ghana s’est voulu rassurant en affirmant qu’il y aurait une coordination entre la banque centrale du Ghana et d’autres banques centrales à travers le monde, pour permettre aux Ghanéens d’utiliser également l’e-Cedi pour les transactions internationales. Cette affirmation pourrait devenir une réalité, puisque dans la sous-région ouest-africaine, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) planche déjà sur ce sujet. Plusieurs pays africains travaillent à élaborer leur devise numérique, parmi eux on peut citer l’Afrique du Sud, le Nigeria ou encore le Maroc.
Avec Le Point Afrique