dimanche, décembre 22, 2024

Mandione Laye Kébé, Save Dakar: « Nous ne recevons pas d’argent, mais des dons d’arbres »

0 commentaire

A l’image de plusieurs ONG, Save Dakar s’est lancée dans un projet de reverdissement de la capitale sénégalaise. Un pan du thème de 2021 de la Journée mondiale de l’environnement. Le challenge ‘’Un citoyen, un arbre’’ connaît actuellement un succès populaire au-delà même des attentes des initiateurs.

‘’EnQuête’’, dans cet entretien, donne la parole au photographe Mandione Laye Kébé, initiateur de la plateforme. Save Dakar est une plateforme assez connue au Sénégal de par ses initiatives en faveur de la protection de l’environnement et du développement durable. Comment est-elle née ?

Save Dakar a vu le jour en 2017. L‘initiative est née grâce à mon smartphone. Je me promenais en centre-ville un jour et j’ai été choqué de voir toutes les ordures jetées au niveau de la place de l’Indépendance. J’ai donc pris des photos que j’ai postées pour alerter les autorités, avec pour légende : ‘’Monsieur le Président, regardez le décor qui se trouve à quelques pas de votre palais.’’ L’image a eu un effet retentissant auquel je ne m’attendais pas. Ensuite, j’ai créé la page. L’objectif principal de Save Dakar est d’éveiller les consciences, pour que chacun prenne ses responsabilités. Nous avons eu à participer à la Grande muraille verte, mener des campagnes de reboisement sur la corniche-Ouest, la plage de Yoff, à Bargny.

Ainsi, on a voulu quitter le digital pour passer au concret et aujourd’hui, tous les Sénégalais se retrouvent dans Save Dakar. Save Dakar, c’est une philosophie de vie. Beaucoup nous demandent de l’élargir aux régions, mais je leur réponds que c’est à chacun de reproduire les bonnes actions. Ces jeunes de l’intérieur du pays doivent s’engager dans leur localité. D’ailleurs, cela a démarré à Saint-Louis et à Podor, et on prévoit une caravane citoyenne.

  Aujourd’hui, la plateforme est très connue en tant que défenseur de l’environnement. L’équipe est composée d’une dizaine de personnes au Sénégal et à l’extérieur du pays. Actuellement, il y a tellement de jeunes qui participent à ce projet. Que ce soit des développeurs, des ingénieurs en télécommunications, des infographes, des géomètres. Aujourd’hui, tous ces jeunes-là s’identifient à Save Dakar et s’y donnent corps et âme pour propulser l’initiative. Et je peux vous rassurer que ces jeunes sont des bénévoles à 100 %.  Je pense qu’aujourd’hui, Save Dakar, c’est l’affaire de tous. Nous recevons chaque jours des mails de jeunes Sénégalais qui, enthousiastes, veulent participer à notre travail.

Le secret de l’impact que nous avons aujourd’hui, pour moi, n’est autre que le fait que Save Dakar soit une initiative purement citoyenne qui appartient aux Sénégalais. Tous les gens qui portent le projet Save Dakar sont des travailleurs. Chacun a son métier, contrairement à ce que certains peuvent penser. Je suis artiste photographe, je travaille dans le domaine des arts visuels. C’est important que les Sénégalais sachent que c’est nous qui faisons vivre Save Dakar, mais nous ne vivons pas de Save Dakar.

Récemment, vous avez lancé le challenge ‘’Un citoyen, un arbre’’ qui connaît un engouement certain, surtout dans les rangs des jeunes. Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

Cette initiative est née d’une expérience qu’on a vécue. Nous avons eu à faire pas mal de campagnes de reboisement à Dakar. Malheureusement, cela n’a pas abouti au résultat escompté. On se casse la tête pour organiser des journées de reboisement, mais le lendemain on se rend compte que les lieux reboisés redeviennent des dépotoirs. Un mois après le reboisement, la majeure partie des arbres sont retrouvés morts, parce qu’il n’y a pas de suivi. De plus, nous sommes tous d’avis que Dakar suffoque ; Dakar manque cruellement d’arbres ; il suffit d’être dans les airs pour s’en rendre compte. Et de manière générale, c’est tout le Sénégal qui manque d’arbres : du Nord à l’Est, c’est quasiment le désert, à part le Sud où on a un peu de verdure. Alors on s’est dit qu’on va faire de sorte que chaque Sénégalais ait un arbre devant chez lui. Les arbres ne coûtent pas cher.

Le mouton de Tabaski coûte bien plus cher, mais à chaque fête, chaque famille s’arrange pour en avoir au moins un. Un arbre d’ombrage coûte 500 F et un arbre fruitier 1 000 F CFA. Si chaque famille se porte volontaire pour acheter un arbre et faire le suivi, je suis convaincu que d’ici 2050, notre pays sera verdoyant, sans qu’on attende les politiques. Ce qui est important, c’est d’inculquer des valeurs citoyennes aux Sénégalais, parce que c’est au niveau de la participation citoyenne qu’on sent l’engouement et l’engagement des populations. C’est là qu’apparait la volonté de participer au développement de son pays, de poser une action utile non seulement pour nous, pour le Sénégal, pour les générations futures mais aussi pour la planète.

Les Sénégalais sont tellement généreux. Vu l’impact et l’importance de l’initiative ‘’Un citoyen, un arbre’’, il y a aujourd’hui beaucoup d’entreprises qui, dans le cadre de leur RS, nous font des dons d’arbres. Quand on lançait le challenge, on n’avait pas d’arbres à offrir, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui et grâce à cela, on aura notre propre pépinière qui sera propre à Save Dakar. D’après nos statistiques, on peut avoir, d’ici la fin de l’année, au minimum 10 000 arbres pour Save Dakar. Tout cela est rendu possible par des citoyens lambda qui nous appellent de partout (France, USA Canada, Maroc…) pour offrir spontanément des centaines d’arbres.

J’aimerais souligner que nous ne recevons pas d’argent, mais des dons d’arbres. Les entreprises donatrices on les met en contact avec et traitent directement avec le Service des eaux et forêts et nous ne faisons que récupérer les arbres. Ce n’est pas de l’argent qu’elles nous donnent. C’est très important de le souligner. L’objectif est de reverdir le pays et que les citoyens puissent participer de façon bénévole.

Actuellement, nous sommes à des centaines d’arbres plantés et d’ici la fin de l’année, on en aura des milliers dans chaque zone. Nous travaillons par zone et chaque zone du Sénégal a un représentant qui se charge de la distribution. Nous avons commencé par l’axe Rufisque – Keur Massar – Mbao. Le plus important, ce n’est pas d’aller vite, mais tout doucement et de bien faire les choses de façon professionnelle, transparente et durable. On souhaite que le projet grandisse et nous grandissons avec. Ainsi, petit à petit, on fait des choses simples, mais durables. Nous visons le million d’arbres à Dakar, voire plus d’ici 2050 pour, au final, avoir 16 millions d’arbres pour 16 millions de Sénégalais. Alors l’idée, ce n’est pas de faire dans la précipitation, mais de faire des choses simples, efficaces et durables. 

Ce qu’on oublie, c’est que Dakar portait le nom de ‘’Cap-Vert’’, cela parce qu’il y avait tellement d’arbres dans la capitale, mais en moins de 100 ans, Dakar est devenu ‘’Cap béton’’. On est en train de construire énormément d’immeubles, d’infrastructures au point qu’on a oublié de mettre les arbres. Toutefois, ce n’est pas trop tard pour rectifier le tir.

Donc, l’objectif est d’inculquer des valeurs citoyennes aux Sénégalais pour qu’ils puissent participer bénévolement en plantant un arbre.  C’était cela l’idée de départ. Mais, à notre grande surprise, en moins de 24 heures, l’association JVE (Jeunes volontaires pour l’environnement) nous a contactés pour nous offrir des plants à remettre à la population, surtout à ceux-là qui n’ont pas les moyens d’en acheter. Par la suite, bon nombre de jeunes de la banlieue nous ont contactés dans le but de participer au challenge. Ils ont manifesté un grand intérêt, mais ne savaient pas comment s’y prendre. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que les Sénégalais n’ont pas cette culture d’aller acheter un arbre et de le planter. Et donc nous nous sommes mis à inciter les Sénégalais qui ont les moyens à acheter un arbre et ceux qui n’en ont pas à nous contacter.

Pour vraiment avoir un suivi, nous avons élaboré un pacte de suivi afin que les associations, le Sénégalais lambda qui ont reçu des arbres le signent pour nous signifier qu’ils se chargeront du suivi. Aussi, on a voulu avoir le maximum d’informations sur chacune des personnes à qui on donnera un arbre. De ce fait, nous sommes en train de créer une plateforme comprenant le nom, le prénom, le lieu d’habitation, le département et la région de ces citoyens, afin qu’on puisse cartographier et géolocaliser l’arbre. La plateforme va non seulement permettre aux citoyens de faire le suivi à travers le digital en prenant en photo chaque trois ou six mois l’arbre. L’image sera postée sur la plateforme pour montrer l’évolution de l’arbre.

Peut-on donc conclure que la préservation de l’environnement et les questions de développement durable intéressent plus qu’hier ?

 Aujourd’hui, il y a pas mal d’associations qui font des choses extraordinaires. Je peux citer JVE Quartier vert Sénégal, Dakar Oxy, Nebeday, un Twitto, un arbre… Ce sont des initiatives qui ont besoin d’être accompagnées, d’être soutenues par tous les Sénégalais. Aussi, pour que les Sénégalais puissent changer, il faut que la presse sénégalaise s’implique dans le développement durable. Aujourd’hui, il y a tellement d’organes au Sénégal, si chaque jour toutes les radios et télés faisaient des spots, même d’une minute sur ce challenge, cette initiative citoyenne, sur la sensibilisation des Sénégalais quant à l’importance de l’environnement, du suivi et de la citoyenneté, imaginez combien cela peut impacter, d’autant plus qu’aujourd’hui, le digital est de plus en plus utilisé par les Sénégalais.

Je pense aussi que l’engagement des influenceurs, des artistes, des khalifes généraux aurait un fort impact. On peut faire de cette initiative un sacerdoce, si je peux me permettre de le dire. On n’exclut pas les politiques qui peuvent faire des campagnes de sensibilisation à ce sujet. S’ils nous rejoignent pour apporter leur contribution, nous sommes preneurs, sinon, on continuera le travail.

Cette année, le thème de la Journée mondiale de l’environnement porte sur la restauration des écosystèmes. Comment l’adapter au contexte sénégalais ?

Le contexte sénégalais est à l’image du contexte mondial. La majeure partie des écosystèmes sont en voie de disparition. L’exemple papable, c’est la disparition au Sénégal de tous les arbres centenaires, particulièrement à Dakar.  Pourtant, jusque dans les années 1980, ces arbres existaient. Ces espèces d’arbres font partie de notre écosystème. Mais ce n’est pas trop tard pour restaurer cela. Ce n’est pas trop tard pour que l’être humain puisse comprendre l’enjeu. A chaque problème, il y a une solution, mais des solutions durables, parce qu’on ne peut pas parler d’environnement sans parler de développement durable qui sous-tend un développement bénéfique aux générations actuelles et à celles à venir. Personnellement, je ne suis pas très en phase avec la façon dont est célébrée la Journée de l’environnement au Sénégal.

On organise beaucoup de conférences ; chacun apporte sa contribution et après, plus rien. Moi, je préfère qu’on apporte des solutions qui ne se limitent pas seulement à cette journée. Cela rejoint notre projet ‘’Un citoyen, un arbre’’ qui devra se poursuivre jusqu’en 2050. Les gens ne doivent pas se limiter aux festivités, aux conférences et autres, et même la presse doit aller au-delà de cette journée. A mon avis, la Journée de l’environnement, c’est tous les jours, chaque minute, chaque heure, chaque année, parce que notre planète est menacée, les écosystèmes sont en voie de disparition, sans compter la montée des eaux. Voilà des problèmes qui nous attendent. C’est une journée que je respecte mais qui, de mon point de vue, doit être l’occasion d’une prise de conscience collective. Si les uns construisent et que les autres détruisent, on n’aboutira pas à des actions concrètes. Il faut une collaboration à l’échelle mondiale et que chaque gouvernement s’engage à sauver notre planète.

Au Sénégal, il est important que les sociétés paient des taxes à travers la notion de pollueur-payeur assez développée en Occident. Le maire de Milan, par exemple, a pour ambition de planter trois millions d’arbres.  Et pour y arriver, il propose aux sociétés qui s’y engagent en faisant des dons d’arbres de diminuer leurs taxes. C’est un exemple de mesure incitative.  Même si ces sociétés polluent, on ne peut pas les dissoudre parce qu’elles nourrissent des familles. De ce fait, on leur dit : Vous polluez, mais vous payez pour la réparation.

Un message à l’endroit des Sénégalais ?

Malheureusement, au Sénégal, il y a beaucoup de slogans, tellement de conférences et ce ne sont que des concepts. Mais sur le terrain, on ne voit pas concrètement de changement. Moi, je crois fermement au dicton qui dit : ‘‘L’homme qu’il faut à la place qu’il faut’’ et c’est cela notre problème au Sénégal. Beaucoup parmi ceux qui nous dirigent ne maîtrisent pas le sujet, ils ne maîtrisent pas le domaine qu’on leur a confié. Normalement, ils doivent connaître les espèces et les types d’arbres adaptés au sol de chaque terroir. Raison pour laquelle on demande au préalable aux citoyens qui veulent participer au challenge dans quelle zone ils habitent, parce qu’à Dakar, il y a des types d’arbres qui ne peuvent pas pousser. Car ici, ils ont besoin de beaucoup d’eau et d’entretien. Donc, quand on parle de reboisement à quelqu’un qui ne s’y connaît pas, il ne voit que l’arbre.

N’oublions que nous sommes en zone sahélienne ; ce qui rime avec manque d’eau, désert et fortes températures.  Ce qui fait qu’il y a des espèces d’arbres qui risquent de mourir. Alors, je ne dirai pas manque de volonté politique, mais plutôt de connaissances. Un homme comme Ali Haidar s’y connaît très bien et serait à sa place au ministère de l’Environnement, surtout qu’il a consacré pratiquement toute sa vie à ce domaine. Malheureusement…

On ne retrouve pas les hommes qu’il faut à la place qu’il faut.  Nicolas Hulot, en France, a démissionné du poste de ministre de l’Environnement, parce qu’à un moment donné, il ne se sentait plus capable de remplir sa mission. C’est ce qui nous manque, nous Africains. C’est désolant qu’on ait retiré du gouvernement Abdou Karim Fofana, ancien Ministre de l’Urbanisme, parce qu’il posait des actions concrètes et il était tout le temps sur le terrain. Un travail salué par tous. Beaucoup de Sénégalais n’avaient pas apprécié son départ. Ces genres de personnes doivent être maintenus à leur poste pour le bien du Sénégal, même si le régime passe. Je peux également citer Massaër Thiam, Directeur de l’UCG, qui est en train de faire un travail extraordinaire à travers le Sénégal.

En somme, que les décideurs posent des actes concrets qu’ils puissent laisser derrière eux et qu’ensemble, on arrive à avoir des citoyens écoresponsables.

Par Enquête