dimanche, décembre 22, 2024

Que répondre à ceux qui hésitent à se faire vacciner contre la Covid-19 ?

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Judith Mueller est médecin épidémiologiste, professeur à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et chercheur à l’Institut Pasteur. Elle répond ici aux principales questions que se posent ceux qui hésitent à se faire vacciner, et revient sur certaines craintes légitimes.

« La technologie des vaccins à ARNm est trop récente et la mise sur le marché a été trop rapide. »

Si elle ne fait la une des journaux que depuis peu, la technologie des vaccins à ARN messager (ARNm) est développée depuis plus de vingt ans pour lutter contre d’autres maladies – par exemple contre le Zika (maladie virale dont le vecteur est un moustique, similaire à la dengue). Mais les essais cliniques chez les humains n’avaient pas été réalisés, faute de financement. La pandémie de Covid-19 a permis de réunir rapidement les fonds manquants…

Quant à l’autorisation de mise sur le marché (AMM), elle a effectivement été accordée plus vite qu’à l’accoutumée… Mais pas parce que des étapes de contrôle auraient été supprimées ! Habituellement, les équipes de l’ANSM (Agence nationale de la sécurité des médicaments, en charge de l’AMM en France) ne traitent que les dossiers de demande complets. Pour répondre à l’urgence, l’ANSM a revu ses procédures et étudié les résultats des étapes d’évaluation des vaccins candidats contre la Covid-19 au fur et à mesure de leur obtention par les laboratoires. Ce qui a permis de gagner beaucoup de temps et d’octroyer l’AMM plus tôt.

« On manque de recul pour savoir si des effets secondaires graves vont apparaître… »

Concernant les effets secondaires graves, les signaux apparaissent généralement dans les 6 mois après injection – et la plupart au cours des premières semaines. Les candidats vaccins qui ont montré des effets indésirables lors des essais préliminaires ont vu leur développement interrompu. Pour les effets les plus rares, il faut observer des millions de personnes. Maintenant que des centaines de millions d’adultes ont été vaccinés (par la technologie ARNm avec Pfizer et Moderna, et par AstraZeneca), et ce depuis plus de 6 mois, on peut dire que le profil de sécurité de ces vaccins est connu. Il est peu probable de découvrir d’autres effets que ceux déjà identifiés chez l’adulte. Il faut par contre rester prudent chez les enfants, chez qui les évaluations sont toujours en cours.

« Les essais cliniques ne sont pas terminés, ils sont encore en phase 3. »

Le fait que les participants d’un essai soient encore observés sur une période de plusieurs mois ou années ne veut pas dire que l’essai n’a pas répondu aux questions essentielles ! Il faut en effet distinguer les deux types d’objectifs associés à un essai clinique de phase 3 : les essentiels, qui concernent l’efficacité contre la maladie et sa tolérance/sécurité, et qui permettent d’obtenir l’AMM ; et les objectifs non-essentiels, qui recouvrent l’efficacité contre l’infection, durée de la protection, etc. Ces derniers nécessitent souvent une durée d’observation plus longue ou une taille d’échantillon plus importante. La situation d’un chevauchement entre phase 3 et 4 (observation pendant l’utilisation en population) est donc tout à fait normale.

« On vaccine les enfants et adolescents alors qu’on n’a pas de recul… »

La vaccination n’est recommandée qu’à partir de 12 ans. Les enfants ne sont pas concernés pour l’instant, car, pour eux, aucune donnée n’est effectivement disponible. Pour les adolescents masculins, les observations internationales ont montré un risque accru d’un bref épisode d’inflammation du muscle cardiaque (qui nécessite une courte hospitalisation et se soigne essentiellement par du repos). Selon la pharmacovigilance américaine, ceci surviendrait chez 3 jeunes vaccinés sur 100 000. Cela peut faire hésiter les parents quant à la vaccination, mais il faut aussi prendre en considération la volonté de l’adolescent de fréquenter des personnes vulnérables (même vaccinées) en diminuant au maximum le risque de les infecter et de contribuer au contrôle de l’épidémie.

Des manifestants de Montpellier brandissent une pancarte disant nos enfants ne sont pas vos cobayes
Contrairement à de nombreuses craintes exprimées, les jeunes enfants ne sont pas concernés par la vaccination (manifestation à Montpellier, juillet 2021). Pascal Guyot/AFP

« On ne sait pas ce que contient le vaccin… »

La composition des vaccins ARNm et à vecteur viral est connue, et peut être consultée par tout public. Ces vaccins ne contiennent pas d’adjuvants.

« L’ARN du vaccin risque de s’intégrer dans mon génome, et de le modifier. »

L’ARNm viral injecté lors de la vaccination, outre qu’il disparaît rapidement, n’entre pas dans le noyau de la cellule : il ne peut pas interagir avec l’ADN de notre génome qui s’y trouve. Nos cellules qui l’ont reçu se contentent de produire la protéine à laquelle il correspond, comme elles le font avec tous les (éphémères) ARNm présents ; il s’agit ici de la protéine virale Spike, inoffensive, qui sert à lancer notre production d’anticorps.

De plus, l’injection est locale : l’ARNm ne se diffuse pas dans tout notre corps (il ne gagne pas nos cellules sexuelles par exemple), et les cellules qui l’ont reçu sont rapidement détruites par le système immunitaire. Rien de comparable avec ce qui se passe lors d’une infection, où des virus pénètrent nos cellules et en détournent toute la machinerie à grande échelle pour mettre en place leur propre multiplication incontrôlée…

« Des personnes vaccinées tombent quand même malades de la Covid… »

Oui, et c’est parfaitement normal, car les vaccins ne protègent pas à 100 % ! La vaccination à ARNm affiche une efficacité contre l’infection autour de 80 % pour Pfizer par exemple selon le variant du virus SARS-CoV-2 considéré. Leur bénéfice est particulièrement important contre les formes graves et permet d’éviter quasiment toutes les admissions en réanimation et les décès. Un avantage qui se maintient face aux variants qui continuent à apparaître. Il est toutefois possible que les personnes très âgées aient besoin d’un rappel régulier pour maintenir ce niveau de protection.

« On ne sait pas si les vaccins sont efficaces pour limiter la transmission du virus. »

Effectivement, les données disponibles ne sont pas convergentes… Ce qui n’étonne pas les spécialistes, car ces études sont compliquées à mettre en place. Des travaux suggèrent qu’une personne vaccinée avec un vaccin ARNm infectée transmet deux fois moins qu’une personne non-vaccinée. Mais la grande différence consiste dans le fait qu’elle va être infectée beaucoup plus rarement. En présence du variant Delta, on peut estimer qu’on réduit de 80 % le risque d’infecter son entourage en se faisant vacciner. Les 20 % restant impliquent qu’il faut rester prudent et continuer à appliquer les gestes barrières même après vaccination.

« Les gestes barrières suffisent. »

C’est un argument que l’on retrouve notamment au sein du personnel soignant, qui les applique au quotidien. Or, entre janvier 2020 et février 2021, 44 401 cas de Covid nosocomiaux ont été recensés dans l’Hexagone par Santé publique France. Des cas parfois dus aux visiteurs mais parfois aussi à des soignants, et conséquence d’erreurs dans l’application des gestes barrières – parfaitement explicables par la fatigue, la répétition, etc. Les infections de soignants surviennent souvent entre soignants eux-mêmes, et se transmettent ensuite dans leur entourage familial où les gestes barrières sont peu appliqués.

Ne pas tousser, se serrer la main, etc. Mais porter le masque, se laver les mains… sont de bons moyens d’écarte le virus
Les gestes barrière sont primordiaux contre la Covid. Mais avec la fatigue et l’oubli, il arrive qu’on ne les applique pas. stas11/Shutterstock

« La maladie ne concerne que des personnes vulnérables… Pourquoi vacciner les autres, pour qui le rapport bénéfice/risque est moindre ? »

On ne peut pas dire que seules les personnes avec une maladie sous-jacente (diabète, etc.) ont un intérêt à se faire vacciner. En effet, le principal facteur de vulnérabilité face à la Covid-19 est l’âge. Passé 40-50 ans, même sans comorbidité, le risque d’une forme grave (avec hospitalisation, admission en réanimation voire décès) ou longue (avec très forte fatigue, troubles cognitifs, difficultés respiratoires, etc.) n’est pas négligeable.

Si chez les moins de 30 ans le bénéfice direct lié à la vaccination est plus faible, il n’est pas nul pour autant : même de jeunes adultes et des enfants sans maladie sous-jacente ont fait des formes graves. Mais pour cette population, l’argument principal en faveur de la vaccination tient surtout à leur contribution à la circulation du virus : les dangers liés à l’infection ne les concernent pas tant eux que les autres… Porteurs du virus, ils peuvent le transmettre, et la vaccination réduit ce risque.

« Je préfère attendre et voir ce qui se passe… »

Ce qui va se passer, c’est que les potentiel 20 % d’adultes non-vaccinés pas encore infectés vont l’être cet automne-hiver, avec la probabilité connue d’admission en réanimation et de décès. Le variant Delta étant trois fois plus infectieux que la souche originale, sa propagation pourra être aussi rapide qu’au printemps 2020, même avec 80 % des adultes vaccinés. C’est moins inquiétant pour les plus jeunes, davantage pour les plus de 40-50 ans… Les services de réanimation seront de nouveau en surcharge, avec un nombre quotidien de décès en augmentation. Les décideurs politiques devront arbitrer entre laisser passer la vague ou imposer un retour des restrictions. Sur le plan individuel, se faire vacciner permettra de vivre cet automne-hiver avec beaucoup plus de tranquillité.

« Je suis contre le passe sanitaire. »

Il est important de séparer son opinion politique de cette décision pour sa propre santé. Le choix de se faire vacciner ne signifie pas soutenir une politique, mais se protéger contre une maladie et ses conséquences.

Judith Mueller, dans theconversation

Professor in epidemiology, École des hautes études en santé publique (EHESP)

Déclaration d’intérêts

Judith Mueller est membre de de la Commission technique des vaccinations à la Haute autorité de la santé (HAS). Elle reçoit des financements de recherche d’organismes publics, mais pas du privé.