vendredi, novembre 22, 2024

Le pouvoir au consommateur

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Depuis fin 2018, le marché des télécommunications au Sénégal est fortement concurrentiel. En effet, à la faveur de l’introduction sur le marché de nouvelles offres de l’opérateur Free et d’une « guerre des prix », les tarifs sont devenus bas et les offres abondantes en volumétrie.

Pour autant, cette situation est-elle à l’avantage du consommateur ? Ce dernier a-t-il réellement les moyens de comprendre les offres ainsi que les tarifs associés ? De quel pouvoir dispose-t-il face aux opérateurs ?

Le Code des communications électroniques de 2018 s’est fixé entre autres objectifs de « favoriser une concurrence effective dans la fourniture des réseaux et services de communications électroniques au bénéfice des utilisateurs et dans le respect de leurs intérêts en termes de choix, de prix, de qualité et de rentabilité ». Ainsi, l’action publique en faveur des consommateurs est non seulement prévue par la loi, elle est affichée comme une priorité.

Au-delà d’un droit, la mise à disposition d’informations au consommateur est nécessaire et légitime dès lors qu’un marché, quel qu’il soit, pour bien fonctionner, doit voir deux conditions simultanément remplies :

  • une concurrence suffisante pour l’animer et y garantir une absence de rente ;
  • une relation entre consommateurs et producteurs (opérateurs dans notre cas) suffisamment équilibrée pour, en retour, aiguillonner la concurrence, inciter à l’innovation et garantir la prise en compte correcte des besoins exprimés.

Cette forme de « rétroaction positive » implique, à mesure que le marché régulé gagne en maturité, que soit garanti le maintien d’une fluidité suffisante afin que le consommateur demeure libre de son choix. Elle permet également au consommateur de disposer d’une certaine marge de manœuvre lui permettant non seulement d’exprimer ses attentes par rapport à ses besoins mais surtout de bénéficier d’une attention particulière de la part des opérateurs.

Pour répondre à la problématique posée, il est important d’apprécier, d’une part, le niveau de concurrence sur le marché des télécommunications et, d’autre part, le caractère de la relation entre consommateurs et opérateurs.

En l’espèce, que constatons-nous ?

Des consommateurs en difficulté malgré la forte pression à la baisse des tarifs imposée par la rude concurrence

Soumis à une concurrence avec la présence d’une pluralité d’acteurs, le marché des télécommunications a affiché, au cours de la dernière décennie, un dynamisme qui s’est ressenti au niveau technique, technologique et commercial. Cependant, il faut reconnaitre que l’arrivée de Free, qui a pris le relais de Tigo et mis en œuvre un programme d’investissements massifs, a permis d’entrer dans une nouvelle phase de concurrence. La « guerre des prix » qui s’est ensuivit, combinée aux mesures d’encadrement du marché de détail a produit, en trois années, une forte baisse des tarifs et offert au consommateur la liberté de choix à travers des offres et services innovants et pluriels.

De ce fait, certaines offres mobiles et Internet ont connu de conséquentes baisses de tarifs, situées entre 50% et 80%, accompagnées d’une hausse de la volumétrie. Ainsi, le secteur des télécommunications devient celui qui a produit les plus fortes baisses de tarifs au cours de la décennie écoulée au Sénégal. Il est admis que l’une des finalités de la concurrence est de mettre les résultats au service du consommateur. En effet, la discipline concurrentielle est le meilleur moyen pour que le consommateur demeure libre de ses choix. Il suffit pour s’en convaincre de voir les profondes évolutions intervenues, depuis fin 2018, sur le marché de la téléphonie mobile et de l’Internet. Les opérateurs ont ainsi, bien mieux que ne l’aurait fait une injonction extérieure, clarifié et structuré leurs offres.

Pour autant, les difficultés perdurent : les plaintes des associations consuméristes adressées à l’instance de régulation n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Celles des consommateurs directement diffusées sur le net et les réseaux sociaux sont incalculables. Elles portent sur divers éléments, en particulier, l’absence de transparence, la complexité des offres, la tarification, la couverture des réseaux, la qualité de service, le fonctionnement correct des numéros d’urgence, etc. En tout état de cause, la seule concurrence ne suffit pas toujours à garantir non seulement que les offres sur le marché sont favorables aux consommateurs, mais que ces derniers disposent de l’information nécessaire pour en tirer pleinement parti. Dès lors, la transparence et la disponibilité de l’information sont centrales dans les relations entre les consommateurs et les opérateurs et le caractère équilibré de celles-ci.

Un dialogue restreint et des consommateurs sans impact sur la dynamique du marché

Bien que souvent invité en réunions d’échanges par les opérateurs de télécommunications, le consommateur, représenté par les diverses associations de consommateurs, ne semble pas, dans les faits, en mesure d’exercer un choix éclairé lorsqu’il souscrit une offre, tant sur la nature et la qualité des services offerts que sur le prix, et qu’il n’a pas une connaissance précise de sa consommation. En réalité, ces différentes rencontres ont plutôt une vocation commerciale et ont principalement pour objectif de présenter des produits ou tenir une séance d’explications à la suite de malentendus.

A contrario, le consommateur entend jouer un véritable rôle dans un marché aujourd’hui très concurrentiel et s’attend ainsi à exercer une influence sur la conduite des affaires, et surtout, à ce que ses avis et ses préoccupations soient réellement pris en compte. Bref, il souhaite disposer d’un « pouvoir », de droits renforcés et respectés par la garantie du respect de deux grands principes :

  • la liberté de choix d’une part, essentielle non seulement au regard du plus grand équilibre qui doit s’instaurer entre lui et l’opérateur, mais également seule de nature à satisfaire la diversité des attentes de tout un chacun ;
  • la transparence des offres d’autre part, qui suscitera une véritable émulation entre acteurs sur le marché dans le cadre d’une concurrence maitrisée et qui devrait conduire à une baisse des tarifs et à élargissement des offres au bénéfice, là-encore, du consommateur.

La tension vécue l’année dernière entre l’opérateur leader sur le marché et les associations de consommateurs au sujet de modifications d’une gamme de produits a été révélatrice de la nature de la relation « opérateurs-consommateurs » et du faible pouvoir d’influence des consommateurs. Malgré une farouche opposition aux changements et une forte pression (menaces de boycott et de recours à la portabilité, sit-in, etc.), l’opérateur a mené à bon port son projet et n’a consenti que de petits compromis.

Sur un autre plan, la « guerre des tarifs » sur le marché se traduit par de grandes campagnes de publicité et de marketing à travers lesquelles, chaque opérateur tente de convaincre les consommateurs que ses produits et services présentent les meilleurs atouts. Il est certain que, face à cette floraison d’offres concurrentes sur le marché, les consommateurs sont « perdus » ne sachant réellement déchiffrer les différentes propositions, ni séparer le bon grain de l’ivraie. En définitive, leurs choix ne semblent pas toujours aller dans le sens de la rationalité encore moins de l’efficacité. Ces défaillances du consommateur, les opérateurs les exploitent et les exploiteront de plus en plus. C’est l’un des résultats de la révolution numérique.

Des actions en faveur du renforcement du pouvoir du consommateur

Pour un bon équilibre et un meilleur développement du secteur, il est important que le consommateur dispose d’un pouvoir multiforme qui doit être la résultante d’un certain nombre de droits et d’actions. Ces derniers portent principalement sur le droit d’accès à une information fiable et complète, l’obligation de protection du consommateur sans pénaliser les acteurs économiques, la transparence sur les offres, les tarifs et la liberté de choix.

Il est donc urgent de réfléchir à la mise en œuvre d’actions telles :

  • définir, de façon concertée avec les opérateurs et les consommateurs, ce qu’est une « information transparente » et la forme sous laquelle elle doit être communiquée au consommateur pour lui être utile ;
  • mettre à la disposition du consommateur son profil de consommation ainsi que les caractéristiques de l’offre souscrite ;
  • éduquer le consommateur pour lui permettre d’effectuer un choix rationnel et éclairé en fonction de ses besoins. Ce point constitue une grande faiblesse pour les services de télécommunications contrairement aux services financiers digitaux pour lesquels, les opérateurs ont joué un grand rôle dans l’éducation, l’appropriation et l’utilisation par les populations ;
  • initier des travaux sur la mise à disposition d’informations sur le service fourni en particulier dans le cadre d’une offre d’accès à Internet ;
  • mettre en place des outils permettant d’être informé sur les débits et l’éligibilité aux services avant et après la souscription ;
  • suivre les pratiques de gestion de trafic mises en place par les opérateurs ;
  • obliger les opérateurs à demander la confirmation expresse du client lorsqu’il souscrit, à distance, une offre ou une option ayant un impact sur son engagement, son forfait ou son crédit disponible.

Faisant suite à ce constat, il est important d’organiser une concertation entre toutes les parties prenantes et de réexaminer l’ensemble du dispositif légal. Toutes les actions de nature à renforcer la confiance du consommateur à l’égard des opérateurs telles que les fiches d’information standardisée sur la qualité, le débit ou la qualité devront être également mise en œuvre. En effet, la confiance et la transparence constituent le socle de toute politique de protection des consommateurs.

Par Ousmane NDIAYE