dimanche, décembre 22, 2024

Le colonialisme dans la recherche demeure un handicap pour l’Afrique

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Des gestes purement symboliques, une gestion descendante et l’inégalité : ces fléaux demeurent des réalités dans les partenariats de recherche entre l’Afrique et les pays développés.

Même si cela fait des années que l’on parle de partenariats basés sur la collaboration, les chercheurs africains affirment qu’ils demeurent trop souvent confinés dans des rôles de travailleurs de terrain ou de collecte de l’information alors qu’ils sont des experts de premier plan dans leurs domaines d’expertise.

L’inégalité existe à de nombreux niveaux, avec des tensions généralement similaires à celles qui caractérisent les relations donateur-bénéficiaire dans le monde de la coopération internationale pour le développement.

« Je ne suis pas un travailleur de terrain » assène Richard Mukabana, entomologiste à l’université de Nairobi où il est surnommé « monsieur moustique ».

« Je suis titulaire d’un doctorat et suis en mesure de contribuer à tout forum traitant de la science du paludisme. C’est mon avantage concurrentiel », dit-il.

Il voyage entre le Kenya et l’Ouganda, rencontre des techniciens de laboratoire, s’entretient avec des professionnels de la santé communautaire, et fait analyser des échantillons aux laboratoires de l’Institut ougandais de recherche sur les virus.

Certains de ses échantillons ont été prélevés des eaux marécageuses et stagnantes des champs de riz de Lukaya, sur les berges du lac Victoria en Ouganda. Les chenaux, d’une dizaine de centimètres de profondeur seulement, sont un lieu de reproduction idéal pour les moustiques. Avec une louche improvisée au bout d’un long bâton, il recueille de l’eau en espérant capturer les insectes.

Et pourtant, il est toujours contraint de recueillir des données et de les envoyer à quelqu’un dans un pays du Nord qui les analyse. Cela revient tout simplement à être un bagagiste selon le documentaire The Fever (La Fièvre) qui dresse un portrait de Richard Mukabana et raconte l’histoire de l’héritage colonial du paludisme en Afrique.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les ressources globales allouées au contrôle et à l’élimination du paludisme totalisaient 3 milliards de dollars en 2019. L’OMS tient en particulier à souligner les contributions à ce travail du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et de l’Initiative du président américain contre le paludisme.

C’est assez déprimant quand sept partenaires américains, britanniques et australiens reçoivent 30 millions $ pour ‘fournir une aide’ aux programmes nationaux africains de contrôle du paludisme.”

Bob Snow, conseiller scientifique senior du projet INFORM à KEMRI-Wellcome

Basés dans les pays du Nord, qui sont les plus riches et les plus industrialisés du monde, ces institutions fournissent une quantité considérable de fonds destinés aux Objectifs de développement durable (ODD) et aux priorités de la recherche sur le développement international.

Dans une interview avec SciDev.Net, Richard Mukabana confie que « Je suis un Africain. Je vis en Afrique, je travaille en Afrique. Contracter le paludisme c’est une réalité pour les membres de ma famille et moi-même. Mais je n’oublie pas que nous avons beaucoup de problèmes africains quand il s’agit de gérer le business de la science. »

Par exemple, son université rencontre régulièrement des problèmes au niveau des infrastructures de base : il ne peut pas compter avoir accès à de l’eau courante et les coupures de courant sont fréquentes. « Même si on a la technologie ou l’expertise, c’est difficile d’être compétitif avec votre partenaire » précise-t-il.

Par contre, ce qui est sûr, pour lui, c’est que ledit partenaire n’a pas de patient : « Le partenaire avec lequel je collabore ne travaille pas avec des patients qui souffrent du paludisme, ne sait pas ce que la personne moyenne dans un village pense d’une méthode ou d’un contrôle, et n’a pas un habitat de reproduction de moustiques. »

Richard Mukabana est loin d’être seul. Il y a une liste grandissante de scientifiques africains qui s’attaquent au problème de la malaria sur le continent, qui comporte de nombreux chercheurs de renommée. Parmi eux, les chercheurs de l’Institut de recherches médicales du Kenya (KEMRI) qui travaillent sur le Projet KEMRI-Wellcome Trust INFORM (Information for Malaria – Information sur la Malaria).

Lancée en 2013, cette initiative développe l’emploi de données épidémiologiques pour définir des mesures de contrôle et d’élimination du paludisme en Afrique. Elle est propulsée par une équipe africaine visiblement diverse.

Colonialisme scientifique

En Janvier 2021, l’ONG globale PATH a annoncé qu’elle avait été choisie pour diriger un projet de cinq ans d’une valeur de 30 millions $ pour l’Initiative du président américain contre le paludisme (PMI). Dans la communauté KEMRI-Wellcome INFORM, on a été sous le choc. La colère et les accusations de colonialisme scientifique étaient aussi au rendez-vous.

Le projet en question est dénommé PMI INFORM (Insights for Malaria : Perspectives sur la malaria). Ses critiques ont vite souligné les ressemblances avec KEMRI-WELLCOME INFORM – à commencer par le nom.

Selon l’annonce faite par PATH, PMI INFORM doit « générer des données et des preuves pour informer les programmes nationaux sur le paludisme et la communauté mondiale du paludisme sur les meilleures pratiques, tout en renforçant les capacités de recherche dans les pays soutenus par la PMI. »

Partenaire privilégié pour PMI INFORM, PATH a aussi révélé les noms de sept partenaires de pays du Nord qui forment son consortium : Abt Associates ; la Broad Institute de MIT et Harvard et l’Ecole de santé publique T.H Chan de Harvard ; le Centre MRC pour l’analyse des maladies infectieuses globales à Imperial College Londres ; l’Ecole Londonienne de l’hygiène et de la médecine tropicale ; le projet Malaria atlas de l’Institut pour les enfants du téléthon à l’Université Curtin; le Centre pour la recherche appliquée sur le paludisme et l’évaluation à l’Université Tulane ; enfin l’Initiative pour l’élimination du paludisme à l’Université de Californie, San Francisco. « C’est assez déprimant quand sept partenaires américains, britanniques et australiens reçoivent 30 millions $ pour ‘fournir une aide’ aux programmes nationaux africains de contrôle du paludisme » déclare Bob Snow, conseiller scientifique senior du projet INFORM à KEMRI-Wellcome. « Ceux qui seront les premiers concernés à l’avenir par ce comportement des bailleurs de fonds internationaux doivent faire entendre leur colère. »

Le partenaire avec lequel je collabore ne travaille pas avec des patients qui souffrent du paludisme, ne sait pas ce que la personne moyenne dans un village pense d’une méthode ou d’un contrôle, et n’a pas un habitat de reproduction de moustiques.”

Richard Mukabana, université de Nairobi

Dans un communiqué, PATH n’a pas fourni d’explication concernant la coïncidence au niveau du nom du projet, mais a indiqué que ses activités PMI INFORM seraient complémentaires du projet KEMRI-Wellcome INFORM. Pour ce qui est de la composition du consortium, l’organisation a fait valoir que le but était de faciliter l’accès à l’expertise technique et de compléter les capacités locales.

Lors d’un entretien avec SciDev.Net, PATH a déclaré que « Le travail avec les responsables de programmes sur le paludisme et les chercheurs d’institutions basées dans des pays où le paludisme est endémique est au cœur de l’approche envisagée par le projet pour formuler les priorités, concevoir, mettre en œuvre et disséminer la recherche opérationnelle et l’évaluation concernant le paludisme. »

Ignorés

S’il est choquant de voir que PATH a ignoré des institutions africaines qui auraient pu être ses partenaires, selon Ngozi Erondu, chercheur senior au Centre Chatham House pour la sécurité sanitaire globale, au Royaume Uni, cela arrive tout le temps.

« La question majeure ici c’est la décolonisation de la santé globale» dit-elle. Elle reconnait les contributions que les institutions des pays du Nord ont faites pour établir les bases des connaissances scientifiques, et estime qu’il ne s’agit pas de dire que c’est tout ou rien, mais plutôt de chercher à travailler ensemble, ajoutant que « La collaboration cela ne veut pas dire qu’on obtient tout l’argent et qu’on emploie le [partenaire dans un] pays du Sud. Ça c’est du colonialisme scientifique. »

Fredros Okumu, directeur scientifique à l’Institut pour la santé Ifakara en Tanzanie a confié à SciDev.Net que « Les chercheurs qui travaillent dans ce champ ont tout à fait raison de s’inquiéter face à ces développements. »

Fredros Okumu et Ngozi Erondu ont fait part de leurs critiques de PATH sur twitter, aux côtés de chercheurs et d’intervenants qui partagent leurs opinions. Des centaines de likes, de retweets et de commentaires ont suivi, et les comptes de PATH ont été interpellés.

Ce tollé sur les médias sociaux n’indique pas seulement que la crise de la collaboration en matière de recherche sur le développement international n’est pas un secret. Il démontre également que les chercheurs sont maintenant en mesure de se montrer fermes et de faire entendre leur voix.

D’après Fredros Okumu, « Il y a dix ans, cela ne serait jamais arrivé, on se serait inquiétés pour nos carrières … Le monde est maintenant prêt à entendre ces conversations. »

Rapports de force

Selon Salome Maswime, directrice de la chirurgie globale à l’Université du Cap (UCT), quand on est un chercheur dans un pays du Sud, ce n’est pas inhabituel de faire ses débuts dans un partenariat de recherche suite à un appel spontané.

Elle confie que « J’ai été impliquée dans plusieurs études où j’ai été contactée par un groupe international qui m’a demandé de faire partie de son étude, généralement quand un dossier de financement exige qu’il y ait un partenaire dans un pays à revenu faible ou intermédiaire », ajoutant que « on entre dans ce partenariat sans bien savoir ce qu’on va faire et cela ne vous passionne pas vraiment. Mais vous voulez être associé à une bonne institution d’un pays à revenu élevé. »

Quand on est un jeune chercheur, poursuit Salome Maswime, on joue le jeu parce qu’on veut publier des articles et obtenir des financements : « Dès que vous recevez ce mail d’une institution prestigieuse, cela vous fait du bien quelque part. Il y a quelqu’un qui vous a choisi et qui veut travailler avec vous » indique-t-elle.

Salome Maswime, directrice de la chirurgie globale à l’université du Cap en Afrique du Sud. Credit: Je’nine May

Certes, toutes les collaborations ne suivent pas ce modèle, mais Salome Maswime confie qu’elle a vu plusieurs jeunes chercheurs pris au piège de ce cycle : « Je dis ceci parce que je ne suis pas au début de ma carrière scientifique. Je peux regarder en arrière et dire qu’il y a une tendance qui se confirme. »

Le recrutement à valeur symbolique est monnaie courante. Ce phénomène fait partie intégrante des rapports de force des collaborations de recherche financées depuis les pays du Nord, où les priorités des recherches sont fixées par eux plutôt que par les communautés qui réalisent les études et qui sont étudiées.

Les problèmes de cette approche descendante sont une des caractéristiques de ces partenariats. Une recherche documentaire employant comme mot-clef « collaboration Nord-Sud » révèle un ensemble d’obstacles, d’expériences, et de propositions de voies à suivre pour établir des partenariats plus équitables dans tous les domaines de la recherche sur le développement.

Parmi elles, la Commission sur la recherche sur la santé pour le développement en 1990, qui révèle un « écart considérable » entre les priorités dans la recherche nord-sud qui peut rendre la collaboration contre-productive.

Décrivant ce qu’on désigne maintenant comme l’écart 10/90, elle a révélé que 90 pourcent de l’investissement global en recherche sur la santé ne concerne que 10 pourcent des problèmes sanitaires mondiaux.

Plus récemment, un article de 2020 sur des projets germano-namibiens de recherche sur le climat a fait état d’un « double rôle » invisible joué par les chercheurs locaux qui sont responsables du travail de terrain, contribuent à l’analyse et permettent de gérer les questions culturelles.

Conclusion des auteurs : « Les chercheurs des pays du Sud portent un fardeau caché dans les collaborations internationales dont il faut adéquatement tenir compte. »

D’autres travaux font état d’emplois où le personnel local est exploité. Ils peuvent par exemple se trouver sans avantages tels que l’assurance maladie ou des perspectives d’emploi à long terme. Certaines recherches évoquent les luttes de pouvoir entre chercheurs de pays du Nord et du Sud, lorsque l’on demande à ceux qui tiennent les cordons de la bourse de jouer un rôle de soutien vis-à-vis du pays hôte.

Pour Salome Maswime, « Il y a des tas de publications sur ces partenariats, et pourtant, quelle distance nous sépare des ODD ? Certains reçoivent des prix Nobel pour des travaux faits en Afrique, mais les choses n’ont pas évolué. »

Un faux universalisme

Ce ne sera pas facile de faire changer les choses selon Mia Perry, co-directrice de SFA (Sustainable Futures in Africa : Avenirs pérennes en Afrique). Ce réseau basé au Royaume-Uni, lancé en 2016 avec le Fonds de recherche pour les défis mondiaux, travaille avec des pôles au Botswana, au Malawi, au Nigeria, en Ouganda et au Royaume-Uni pour repenser les priorités du monde de la recherche sur une base éthique.Selon Mia Perry « La recherche sur les questions liées au développement international est conduite par des individus et des institutions qui ont tiré et continuent de tirer profit des inégalités. Pour introduire de vrais changements dans ce système, des gens comme moi seraient contraints de se mettre dans des situations qui pourraient nous impliquer. C’est difficile à faire. »

C’est d’autant plus difficile, selon elle, parce que la plupart des partenaires concernés estiment qu’ils travaillent à l’édification d’un monde meilleur. Cette dynamique qui voit le sud comme étant en « déficit » tandis que le nord est son « sauveur » est peut-être dérivée de bonnes intentions, mais elle est fondée sur une conception fausse de l’universalisme.

Pour Mia Perry, l’universalisme est l’idée que les valeurs, les concepts ou les comportements sont partagés à travers tous les peuples dans toutes les parties du monde : « L’universalisme c’est très commode si vous venez des universités ou des institutions des pays du Nord. Dans les communautés de nos partenaires de recherche dans les pays du Sud, leur universel n’a rien à voir avec le mien. »

Avec SFA, Mia Perry maintient qu’il faut s’éloigner des démarcations géographiques du nord et du sud pour concevoir la recherche comme étant inter- et intra-connectée.

Il faudrait aussi abandonner les modèles de recherche traditionnels centrés sur le nord. Pour Mia Perry, une critique de l’héritage de la recherche et l’adoption d’une approche participative, culturellement responsable, et engagée s’impose.

« Toute question que nous examinons doit être considérée sous tous ses angles avec les scientifiques, des membres de la communauté et des décideurs politiques » ajoute-t-elle.

Notion d’excellence

A vrai dire, en Afrique (et c’est aussi le cas dans d’autres pays du sud), la science n’est pas pleinement incorporée dans la culture locale. Les gens ne se tournent pas vers la science pour répondre à des questions relatives à leur vie quotidienne, en politique ou en matière d’innovation.

Pour Judy Omumbo, directrice de programme senior à l’Académie africaine des sciences (AAS) au Kenya, « L’Afrique diffère des pays du nord, ou la science fait partie de la structure sociale. » Elle aussi s’insurge contre l’idée que les modèles du nord concernant la recherche et sa gestion peuvent véritablement être transposés en Afrique. Elle note toutefois qu’il est difficile de s’opposer à un système quand c’est celui des partenaires qui vous subventionnent.

« Nous réfléchissons beaucoup à la question de l’équité. Comme le financement vient généralement du nord, ce sont les priorités du nord qu’on examine en premier » dit-elle.

La responsabilité n’est pas la moindre de ces priorités. Les bailleurs de fonds doivent rendre des comptes à leurs partenaires, faire état de l’impact de leurs interventions et des résultats obtenus – tels que définis par des idées sur l’excellence formulées au Nord.

Pour certains experts, « la notion d’excellence pose problème dans beaucoup de contextes, voire partout … Elle est liée à des valeurs hautement subjectives de disciplines, de méthodologies, et a des liens discutables avec les facteurs d’impact des revues, les scores H-index, les sources de financement, et les classements des universités. »

On impose aussi ces normes aux chercheurs des pays du nord, dont la « tyrannie du facteur d’impact » qui a fait couler beaucoup d’encre. Un chiffre magique obtenu en publiant dans les revues à impact élevé, il est quasi-impossible à atteindre pour les chercheurs africains.

D’après les chercheurs de l’AAS, « les chercheurs africains font face à des obstacles supplémentaires qui sont moindres ou d’une portée négligeable dans les pays du Nord. » On compte parmi eux les coûts prohibitifs, les éditeurs sans scrupules, et un manque de familiarité avec le système d’évaluation par les pairs.

La discrimination systémique au niveau de l’examen par les pairs est aussi un problème réel. « Les chercheurs africains viennent souvent d’institutions et de laboratoires que leurs pairs occidentaux ne connaissent pas » disent-ils. De surcroît, les africains sont sous-représentés parmi les experts chargés de soumettre leurs rapports et il y a des barrières au niveau de la langue et du style qui peuvent faire qu’un bon travail de recherche soit publié tardivement voire pas du tout.

D’après Judy Omumbo, « nous devons définir notre impact sur la base de ce que font nos chercheurs … Voulons-nous qu’ils publient dans les revues les plus prestigieuses ? Ou voulons-nous qu’ils aient un impact et qu’ils facilitent l’émergence d’autres chercheurs locaux ? Nous devrions pouvoir décider de comment nous mesurerons l’excellence dans notre contexte, et les financements devraient être attribués sur cette base-là. »

Economies fondées sur le savoir

Selon une étude réalisée en 2017, les chercheurs africains estiment que l’excellence dans le domaine de la recherche consiste à « attirer l’attention sur des questions sociétales », « contribuer directement au bien-être de communautés défavorisées », ou encore favoriser de « nouveaux développements technologiques ».

Toutefois, un tiers des personnes interrogées ont indiqué que le manque de financements et des insuffisances en infrastructures présentaient des obstacles lorsqu’il s’agissait d’atteindre l’excellence.

Les pays membres de l’Union africaine s’étaient engagés à consacrer au moins 1 % de leur produit intérieur brut à la recherche et au développement à compter de 2010 au plus tard, mais aucun d’entre eux n’a atteint cet objectif. En 2019, seulement 0,9 % des dépenses globales en R&D provenaient d’Afrique, loin derrière l’Amérique du Nord (27 %) et l’Europe (21 %).

L’Afrique continuera donc de dépendre de partenaires de recherche aisés dans les pays du Nord. Mais Judy Omumbo voudrait que ce soutien prenne la forme de financements stratégiques à long terme qui permettraient aux Africains de mener des recherches compétitives sur la plan global et de construire sur le continent des économies fondées sur le savoir.

« Il nous faut des financements qui aident à améliorer les pratiques scientifiques dans les pays du Sud » explique-t-elle.

C’est un changement de paradigme au niveau des partenariats que l’AAS cherche à promouvoir avec ses bourses Futurs Leaders de recherche indépendante africaine (FLAIR). Il s’agit d’un partenariat avec la Royal Society, soutenu par le Fonds de recherche pour les défis mondiaux (GCRF) du Royaume-Uni.

« FLAIR est unique en ce sens que c’est une bourse qui est suffisamment lucrative pour permettre à un chercheur de réaliser des travaux indépendants tout en développant une capacité de recherche » précise Judy Omumbo.

FLAIR est ouvert aux chercheurs africains en début de carrière qui travaillent sur les challenges globaux auxquels font face les pays en développement. La composition du premier groupe de chercheurs a été annoncée en 2019. Sarah Fawcett, océanographe et climatologue à UCT en fait partie.

Elle estime qu’il est positif de voir cette bourse donner de l’argent à de jeunes chercheurs africains « plutôt qu’à un partenaire du nord avec un effet de ruissellement vers l’Afrique ». Elle soupçonne néanmoins qu’il y a des tensions entre les bailleurs de fonds britanniques et l’AAS, basée au Kenya.

« Le nord continue de faire sentir sa présence » précise-t-elle. « Ceci étant, les bailleurs de fonds consentent un gros investissement et tentent de favoriser l’autonomisation. C’est comme cela qu’on commence à faire évoluer les choses. »

Recherches compétitives

Sarah Fawcett, de même que Salome Maswime, fait partie d’un groupe de chercheurs d’élite membres de la cohorte 2020 du Programme jeunes scientifiques du Forum économique mondial.

Reconnue pour ses contributions aux recherches sur le climat dans le domaine de la chimie des océans et de la biologie, ses travaux sont résolument ancrés en Afrique du Sud. Ils sont un exemple de recherches dirigées localement qui sont globalement compétitives.

« L’océan Austral est le plus grand levier dont nous disposons au niveau de la réaction de l’océan face à l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone et en Afrique du Sud, nous pouvons y accéder sans entraves » déclare-t-elle.

Ses recherches bénéficieront du soutien de la Plateforme d’infrastructure de recherche en biogéochimie (BIOGRIP). Cette initiative qui s’inspire de la feuille de route sud-africaine pour l’infrastructure de recherche, est réalisée en partenariat avec l’Union européenne. Elle représente un effort manifeste pour fournir un investissement de long terme dans l’avenir de la recherche dans le pays.

Pour des chercheurs tels que Sarah Fawcett, l’impact de BIOGRIP sera significatif. Elle estime que « Nous pouvons non seulement recueillir nos échantillons depuis un vaisseau de recherche africain au beau milieu de l’océan austral, mais aussi les analyser dans un laboratoire africain et publier une étude conduite par des Africains qui a une portée mondiale. »

L’infrastructure technique que BIOGRIP doit apporter permettra aussi au sud de jouer un rôle de chef de file dans les collaborations internationales. Sarah Fawcett souligne cependant que ce rééquilibrage ne pourra se faire qu’à travers un processus de codéveloppement.

« La seule façon de progresser vers de véritables collaborations, c’est de définir les objectifs au tout départ avec tous les partenaires autour de la table, et les associer à une évaluation continue. » ajoute-t-elle.

Y parvenir ensemble

L’Afrique du Sud arrive troisième au classement global des pays les plus riches en biodiversité et offre un accès à l’océan atlantique, l’océan indien et à l’océan austral. Il s’agit aussi du pays le plus prospère d’Afrique.

Selon le Rapport sud-africain sur l’activité de recherche publié en 2019, l’Afrique du Sud parvient à « jouer dans la cour des grands » en matière de production de recherches, de conclusions et de collaborations internationales.

Pour Salim Abdool Karim, directeur du Centre pour le Programme de recherche sur le sida en Afrique du sud (CAPRISA), avec de tels avantages, il faut aussi savoir assumer des responsabilités.

« Quand on développe des partenariats dans le domaine de la recherche, il faut savoir penser au long terme. Vos collaborateurs vont être vos compétiteurs, et votre rôle est de vous assurer qu’ils sont d’excellents compétiteurs. »

Salim Abdool Karim, directeur du Centre pour le Programme de recherche sur le sida en Afrique du sud (CAPRISA) Credit: Abdool Karim

Ceci est vrai pour les partenariats avec le nord et sur le continent : « Nous collaborons avec [des pairs basés] aux Etats-Unis et en Europe ainsi qu’avec nos collègues en Afrique. Nous ne voulons pas avoir une relation inégale avec nos collègues en Afrique de même que nous ne voulons pas avoir une relation asymétrique avec un collaborateur aux Etats-Unis » ajoute-t-il.

L’Initiative pour l’égalité dans la recherche (RFI) a pour vocation d’aider à atteindre ces buts. Il s’agit d’un outil d’auto-évaluation pour les institutions et bailleurs de fonds qui les aide à identifier les forces et faiblesses dans les politiques et les pratiques de collaboration en matière de recherche – et à les développer ensemble.

Il faut saisir toutes les opportunités lors d’une crise pour construire des bases solides pour l’avenir

Salim Abdool Karim, Centre pour le Programme de recherche sur le sida en Afrique du sud

Avec 36 indicateurs, il demande aux organismes de faire état de leur approche dans des domaines tels que la résolution de conflits, les contrats, la gestion financière et les droits de propriété intellectuelle. Le rapport qui en résulte peut servir à développer et négocier une stratégie pour des partenariats équitables. C’est un processus exhaustif et complexe.

De fait, la RFI n’a publié que quatre rapports depuis 2018, dont un par le Programme spécial de recherche et de formation concernant les maladies tropicales de l’OMS et l’université Alioune Diop au Sénégal. Le rapport de CAPRISA a été mis en veilleuse pour permettre au centre de faire face à la COVID-19.

« La RFI a besoin de pionniers qui vont montrer l’exemple. Cela ne nous dérange pas qu’il y ait des faiblesses. En fait, c’est notamment comme cela que nous allons travailler ensemble pour résoudre les problèmes et trouver de meilleures solutions » explique Salim Abdool Karim, qui ajoute que « L’important c’est que nous travaillions tous ensemble pour parvenir à notre destination et la RFI est utile en ce sens. »

Des bases pour l’avenir

Désignant 2021 comme l’Année des partenariats de recherche équitables, la RFI cherche à obtenir une plus grande reconnaissance de l’équité dans les partenariats de recherche et de leur potentiel en matière d’impact.

Pour Carel IJsselmuiden, directeur du Conseil sur la recherche sanitaire pour le développement qui a lancé la RFI : « La communauté internationale de recherche va de crise en crise ». Qu’il s’agisse du paludisme, du changement climatique ou de la COVID-19, dit-il, les partenariats durables ne font jamais partie des priorités. « Il faudrait que le développement de partenariats prenne une place à part entière dans les collaborations et que nous développions des accords et des points de référence pour l’avenir » affirme-t-il.

La collaboration et la coopération internationale sont bien en désarroi selon The Lancet qui a pris position avant la 75ème session de l’Assemblée générale des Nations unies tenue en septembre 2020.

« La nécessité d’une coopération globale n’a jamais été plus évidente ou cruciale » selon la revue, « Mais plutôt que de mettre en avant une vision partagée pour un avenir commun, les pays sont en train d’affaiblir la coopération globale à travers la montée du nationalisme, l’hostilité ouverte vis-à-vis des institutions internationales, et une tendance accrue à se concentrer sur leurs propres intérêts. »

L’impact de ces problèmes se fait sentir avant tout dans les pays du Sud et ces derniers y contribuent également. Mais pour Salim Abdool Karim, qui est aussi le co-président du Comité consultatif sud-africain sur la COVID-19, cette crise pourrait avoir des effets positifs à long terme.

« Il faut saisir toutes les opportunités lors d’une crise pour construire des bases solides pour l’avenir » dit-il, « Avec la COVID-19, je crois que les choses commencent à s’améliorer. »

La version originale de cet article a été produite par l’édition de langue anglaise de SciDev.Net pour l’Afrique subsaharienne.