dimanche, décembre 22, 2024

Thromboses atypiques après vaccination contre la Covid-19 : la piste de l’auto-immunité

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Commercialisé sous le nom de Vaxzevria, le vaccin anti-SARS-CoV-2 développé par le laboratoire pharmaceutique AstraZeneca en partenariat avec l’Université d’Oxford est actuellement particulièrement surveillé par les agences sanitaires de différents pays. Plusieurs personnes vaccinées ont en effet été victimes d’accidents vasculaires parfois mortels, causés par la formation de caillots sanguins survenus peu de temps après l’administration de ce vaccin.

Pour l’instant, l’OMS considère comme « plausible, mais non confirmée » l’apparition d’une forme rare de thrombose résultant de la vaccination par le vaccin d’Oxford-AstraZeneca, tandis que l’Agence européenne du médicament considérait « possible » l’existence d’un tel lien. En France, au 1er avril 2021, plus de 2 454 000 injections avaient été réalisées, et 12 cas de ces thromboses atypiques ont été documentés, entraînant quatre décès.

Parmi les pistes qui pourraient expliquer ces très rares effets secondaires figure celle d’une réaction auto-immune impliquant un messager chimique produit par les plaquettes sanguines, le facteur plaquettaire 4 (PF4).

Auto-anticorps et thrombose après vaccination anti-Covid

Le vaccin d’Oxford-AstraZeneca est basé sur un vecteur viral (ChAdOx1) dérivé d’un virus responsable d’infections respiratoires chez le singe (adénovirus de chimpanzé). Son ADN à été modifié afin que le virus ne puisse plus se reproduire dans les cellules qu’il infecte. On y a également inséré les instructions génétiques permettant de fabriquer la protéine Spike du coronavirus SARS-CoV-2. Une fois injecté, ce vecteur viral pénètre dans certaines cellules de la personne vaccinée, lesquelles vont alors produire des protéines Spike du SARS-CoV-2. Détectées par le système immunitaire, ces dernières induisent une réaction immunitaire dont l’organisme gardera la mémoire, et qu’il réactivera le jour où il sera infecté par ce coronavirus SARS-CoV-2.

Peu de temps après l’administration de ce vaccin, quelques personnes ont développé des thromboses atypiques. Elles sont en effet localisées dans des sites inhabituels – au niveau de certaines veines cérébrales notamment – et sont accompagnées d’une thrombopénie, c’est-à-dire une chute du nombre des plaquettes sanguines, ces cellules qui jouent un rôle majeur dans la coagulation. Il s’agit de pathologies très rares (de l’ordre de 1 cas pour 100 000 vaccinations), mais sévères avec plusieurs décès déjà déplorés.

Les investigations ont montré que le sérum des victimes de ces effets secondaires contenait des autoanticorps dirigés contre leurs propres plaquettes, et plus précisément contre le « facteur plaquettaire 4 » (Platelet Factor 4 – PF4), également dénommé CXCL4, un messager chimique qu’elles fabriquent. Or on sait que ce type d’anticorps est impliqué dans les thromboses survenant dans un autre contexte, celui des thrombopénies induites par l’héparine (substance produite par certains globules blancs de mammifères – l’héparine est isolée à partir de la muqueuse intestinale du porc – et utilisée comme traitement anticoagulant). Des anticorps anti-PF4 ont aussi été retrouvés occasionnellement dans d’autres situations cliniques dont le Covid-19 sévère.

Qu’est-ce que le facteur plaquettaire 4 ?

Le rôle principal des plaquettes est d’assurer l’intégrité des vaisseaux sanguins et d’arrêter le saignement lorsque ceux-ci sont endommagés. Ces petites cellules en forme de disque circulent dans le sang. Lorsqu’elles rencontrent une paroi vasculaire abîmée, elles s’« activent » : elles changent de forme et adhèrent à la surface du vaisseau tout en sécrétant le contenu des granules qu’elles contiennent.

Parmi ces granules figurent les alpha-granules plaquettaires, qui renferment d’importantes quantités de facteur plaquettaire 4. Cette protéine a pour caractéristique d’être porteuse de charges électriques positives. Lorsque les plaquettes sont activées, le PF4 qu’elles libèrent se lie rapidement à des molécules chargées négativement (molécules « anioniques »). L’héparine utilisée fréquemment comme traitement anticoagulant fait partie de ces molécules qui forment des complexes avec le PF4.

D’autres molécules anioniques exprimées normalement à la surface des cellules endothéliales qui bordent les vaisseaux sanguins fixent également le PF4 libéré par les plaquettes. Ces molécules appelées glycosaminoglycanes dotent les cellules endothéliales de propriétés anticoagulantes qui sont importantes pour éviter l’activation de la coagulation. Lorsque la formation d’un caillot est nécessaire, le PF4 contribue à la neutralisation de ces substances antithrombotiques endogènes et représente un des mécanismes par lesquels les plaquettes conduisent à une activation de la coagulation et la formation de thromboses. Le PF4 est donc un acteur important de l’hémostase, cet ensemble des phénomènes physiologiques affectant le sang et les vaisseaux sanguins prévenant ou permettant l’arrêt de l’écoulement du sang.

Quand un médicament anticoagulant provoque des caillots

Le PF4 joue un rôle central et délétère dans la thrombopénie induite par l’héparine. Cette affection sévère se traduit par la formation de caillots sanguins associée à une chute du taux des plaquettes suite à une injection d’héparine. Elle survient chez 1 à 5 % des patients recevant cet anticoagulant, généralement entre 4 et 10 jours après le début du traitement.

Ces thromboses paradoxales induites par l’héparine révèlent que le PF4 joue un rôle majeur dans la survenue de cette affection. La séquence des événements peut être résumée de la façon suivante :

  • Dans un contexte d’activation des plaquettes (suite à une infection, une intervention chirurgicale…), du PF4 est libéré en grandes quantités. L’administration d’héparine conduit à la liaison des molécules d’anticoagulant avec les molécules de PF4 ;
  • Ainsi associé à l’héparine, le PF4 devient immunogénique, c’est-à-dire qu’il déclenche une réaction immunitaire qui se manifeste par la production d’anticorps dirigés contre les complexes PF4/héparine. Ce phénomène correspond à une rupture de la tolérance naturelle vis-à-vis des protéines que nous synthétisons à l’état normal. En effet, notre système immunitaire ne réagit normalement pas vis-à-vis des produits de nos propres cellules et de leurs produits. Or certains anticorps s’attaquent aussi aux molécules de PF4 qui ne sont pas liées à l’héparine ;
  • Les anticorps anti-PF4 s’attaquent aux molécules de PF4 présentes à la surface ou au voisinage des plaquettes et des cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins ;
  • Les anticorps anti-PF4 se lient aussi à des récepteurs pour les anticorps situés sur les plaquettes appelés FcgammaRIIA, ce qui les active ;
  • Des caillots se forment sous l’influence de l’activation des plaquettes et au contact des cellules endothéliales sur lesquelles sont également fixés les anticorps anti-PF4 ;
  • Les plaquettes recouvertes d’anticorps anti-PF4 sont éliminées de la circulation et meurent, ce qui contribue à la diminution du nombre de plaquettes.

Au final, il s’agit d’une situation paradoxale puisque l’administration d’un anticoagulant, l’héparine, entraîne la formation de caillots sanguins. Le diagnostic de cette complication du traitement par l’héparine est établi par la mise en évidence dans le sang d’une chute des plaquettes sanguines, de thromboses et la détection d’anticorps dirigés contre les complexes PF4/héparine.

Des phénomènes thrombotiques analogues associés à des taux bas de plaquettes et des auto-anticorps anti-PF4 ont été rapportés en l’absence d’exposition à l’héparine. Ces thromboses thrombopéniques auto-immunes non causées par l’héparine seraient déclenchées par des molécules anioniques d’origine bactérienne ou libérées par des cellules endommagées. Ces substances ont en commun d’interagir avec le PF4, de modifier sa conformation et de susciter une réaction auto-immune menant à la formation de caillots.

La survenue exceptionnelle de caillots associée à une chute du taux de plaquettes sanguines parfois observée 4 à 16 jours après l’injection du vaccin Vaxzevria évoque un phénomène de ce type.

Que se passe-t-il après injection du vaccin Vaxzevria d’AstraZeneca ?

Se pourrait-il qu’une réaction auto-immune anti-PF4 soit à l’origine des effets secondaires thrombotiques parfois observés après administration du Vaxzevria ? Cette hypothèse vient d’être confortée par la mise en évidence d’anticorps anti-PF4 activateurs de plaquettes dans le sérum de patients atteints.

Les mécanismes de cette réaction auto-immune post-vaccinale restent toutefois à élucider. L’implication possible du vecteur adénoviral a été évoquée en lien avec la capacité des adénovirus à activer les plaquettes. Elle conduit à des interrogations sur l’autre vaccin à vecteur adénoviral anti-Covid-19 disponible sur le marché européen, celui développé par Johnson et Johnson. L’activation des plaquettes pourrait aussi être liée à l’engagement de leur récepteur ACE2 par la protéine Spike codée par le vaccin.

Mais comment une injection intramusculaire pourrait-elle déclencher cette activation des plaquettes qui circulent dans le sang ? L’on sait que les cellules endothéliales du muscle sont une des cibles du vecteur adénoviral, lequel va donc induire leur production de la protéine Spike. Celle-ci pourrait donc se retrouver dans les vaisseaux sanguins bordés par des cellules endothéliales « transduites », c’est-à-dire infectées par le vecteur viral contenu dans le vaccin. Les plaquettes pourraient s’activer au contact de la protéine Spike et libérer du PF4. Ce PF4 pourrait se complexer avec des glycosaminoglycanes anioniques libérées suite à l’inflammation locale induite par le vaccin.

C’est ainsi que les actions combinées de l’adénovirus et de la protéine Spike agiraient de concert sur les plaquettes et les cellules endothéliales pour aboutir à la formation de complexes stimulant les lymphocytes B producteurs d’anticorps anti-PF4.

Identifier les facteurs de risque pour adapter la stratégie vaccinale

Compte tenu de l’extrême rareté de ces thromboses thrombopéniques, les recherches doivent porter sur l’identification des facteurs de risque individuels qui pourraient prédisposer certains sujets à développer ce type de réactions. Il s’agit notamment de facteurs de susceptibilité génétique.

Des pistes existent, entre autres, au niveau des récepteurs de surface qui diffèrent en effet d’une personne à l’autre, en raison de variations génétiques. S’ajoute probablement à ce facteur la présence de cellules immunitaires dites « mémoires » dont on sait qu’elles ont gardé l’information d’un contact antérieur avec le PF4. Elles sont de ce fait capables de générer une réponse immunitaire rapide et forte lors d’une nouvelle exposition.

Les semaines écoulées ont démontré l’efficacité de la pharmacovigilance internationale et la très grande capacité de mettre en évidence, parmi des millions de sujets vaccinés, l’existence d’une nouvelle entité clinique très rare. Même si l’ensemble des mécanismes impliqués n’est pas encore identifié, la découverte du rôle du PF4 et de l’auto-immunité dans la survenue de ces effets secondaires constituent des avancées majeures pour leur compréhension.

Ces thromboses sont exceptionnelles, leur diagnostic et prise en charge sont désormais standardisés. Ces nouvelles connaissances permettront de gérer la campagne de vaccination de façon efficace et sûre, afin de maintenir ou restaurer le climat de confiance indispensable à son succès.

Dans Theconversation par

Michel Goldman

Chair professor, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cédric Hermans

Chair professor, Université catholique de Louvain