On en parle beaucoup, mais sait-on vraiment ce qu’est l’Intelligence artificielle (IA) ? L’IA est une discipline qui suscite beaucoup d’intérêt, et déchaîne beaucoup de passions. Pour mieux la comprendre et connaître ses domaines d’application, ses enjeux et perspectives, nous recevons dans « Avis d’expert » le Dr Seydina Moussa NDIAYE, Docteur en Intelligence artificielle et Directeur du Développement et de la Coopération (DDC) à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS).
- Bonjour Dr NDIAYE. Merci d’avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et revenir sur votre parcours ?
Bonjour à vous. Tout d’abord, je vous remercie de l’opportunité que vous me donnez de partager avec nos lecteurs la passion que j’ai sur le sujet de l’intelligence artificielle.
Je suis Docteur en Informatique, avec comme spécialité l’Intelligence artificielle. Je suis actuellement enseignant-chercheur à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS), au sein de laquelle j’occupe également le poste de Directeur du Développement et de la Coopération. Par ailleurs, au niveau national, je suis membre du Conseil national du Numérique et co-fondateur de l’Association sénégalaise pour l’Intelligence artificielle (ASIA), que je préside également.
Quant à mon parcours, j’ai démarré mes études supérieures au Sénégal à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis. Après deux années passées là-bas, j’ai rejoint l’Université Paul Sabatier de Toulouse, où j’ai d’abord fait la licence en informatique, puis ai continué mon cursus jusqu’à l’obtention du doctorat en informatique, en février 1999. Le sujet de ma thèse portait sur l’optimisation de la conduite de la culture du blé d’hiver en élaborant des algorithmes de Machine Learning (qui est une branche de l’Intelligence artificielle). Par la suite, j’ai séjourné pendant une année à l’Institut national de Recherche agricole (INRA) de Bordeaux, et y ai travaillé sur des techniques basées sur l’Intelligence artificielle pour la gestion du stockage de grains d’orge. Je suis ensuite allé à Paris où j’ai travaillé deux années dans une entreprise qui développait un guide intelligent comportemental pour améliorer le parcours d’un corpus documentaire multimédia (que ce soit sur Internet ou sur un DVD), en utilisant des méthodes de l’IA. Par la suite, j’ai intégré une startup, racheté plus tard par Dassault Systèmes, travaillant sur des logiciels utilisant l’IA pour la réduction des rebuts dans les chaines industrielles.
En 2006, j’ai décidé de rentrer au Sénégal pour intégrer l’Université Gaston Berger comme enseignant-chercheur. J’y intervenais déjà depuis 2003, pour y donner le cours d’Intelligence artificielle, lors de courts séjours au Sénégal. J’ai quitté l’UGB, après dix années, pour rejoindre l’UVS, à son lancement.
- Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Comme je le dis parfois à mes étudiants au début de mon cours, l’Intelligence artificielle est le stade ultime de l’informatique. En effet, dès le début de l’informatique, l’objectif des pères fondateurs était de créer un ordinateur intelligent.
Dans la littérature ou à travers Internet, vous verrez plusieurs définitions de l’Intelligence artificielle. Pour moi, une définition simple serait que l’IA est la science qui permet de faire faire à des ordinateurs des tâches complexes qui, jusque-là, nécessitaient l’intervention humaine.
Le choix de cette définition n’est pas anodin car elle permet de voir le caractère évolutif de la notion d’IA. En effet, les algorithmes d’IA que nous avions il y a quarante ans sont maintenant embarqués dans ce que l’on peut appeler l’informatique classique et de nouvelles approches sont apparues pour repousser encore plus loin les capacités de la discipline.
Pour bien comprendre l’IA, on recourt souvent à des exemples, et c’est la raison pour laquelle j’en ai cité quelques-uns en précisant mon parcours. C’est à travers les exemples de solutions basées sur l’IA que l’on voit également le caractère évolutif dans la définition donnée précédemment. En 1952, par exemple, le premier programme sachant jouer au jeu d’échecs était le référent suprême de ce qu’était l’IA. De nos jours, ce même exemple illustre juste ce qu’on peut faire avec l’informatique de base, et on aurait plutôt tendance à citer AlphaGo, qui a pu s’imposer au jeu, très complexe, de Go en 2016, face au champion du monde de l’époque.
- Où, quand et comment est-elle née ? Pourquoi cette appellation, selon vous ? Comment en est-on arrivé à lui donner le qualificatif « d’artificielle » ?
Les prémisses de l’intelligence artificielle se situent vers la fin des années 1940 lorsque plusieurs chercheurs se sont intéressés à la question de savoir si l’on pouvait construire des ordinateurs qui pouvaient penser comme des humains.
C’est en 1950 qu’un scientifique nommé Alan Turing établit un test qui permet de valider communément si un programme peut être considéré comme faisant preuve d’un comportement intelligent, en jouant le plus longtemps à un « jeu d’imitation ».
En 1956, à la conférence de Dartmouth organisée par John McCarthy, le terme « Intelligence artificielle » est retenu comme nom de la discipline. Durant cette conférence, qui a regroupé d’éminents scientifiques et chercheurs, le premier vrai algorithme d’intelligence artificielle a été présenté.
Le terme « artificielle » s’explique par le fait qu’il s’agit de l’intelligence d’une machine, en opposition à l’intelligence humaine.
- A quoi sert-elle concrètement ? Pouvez-vous nous dire ses domaines d’applications et son utilité pour l’humanité ?
L’intelligence artificielle sert dans tous les domaines, puisqu’elle permet d’optimiser quasiment toutes les tâches réalisées par les humains. Pour mieux comprendre la révolution que nous vivons actuellement, il peut s’avérer utile de rappeler les différentes révolutions passées et leurs impacts pour l’humanité.
La première révolution économique qui marqua la naissance de l’industrie en Europe (dès le milieu du 18e siècle), en Amérique et en Asie (vers le milieu du 19e siècle), fut caractérisée par un changement profond de l’économie grâce à un changement de paradigme dans l’énergie et le transport.
La seconde révolution industrielle, quant à elle, démarre dans la seconde moitié du 19e siècle, grâce à la maîtrise de l’électricité. Cette deuxième étape de l’évolution de l’économie mondiale a été très bénéfique aux États-Unis qui, avec le développement du rail, ont pu profiter de cette révolution technologique pour booster leur économie et la faire passer au premier rang mondial.
La troisième révolution industrielle, théorisée notamment par Jeremy Rifkin, a démarré juste après la seconde guerre mondiale, et a connu ses premiers effets dans les années 1970, avec la démocratisation de l’informatique suite à l’invention du microprocesseur. Cette révolution a eu de nombreux impacts, notamment sur la production industrielle (avec une automatisation renforcée), sur la communication (avec l’essor des télécommunications) et sur la finance (avec le renforcement des échanges d’informations grâce à Internet). Cette troisième révolution a mis en avant l’interdisciplinarité et la convergence technologique, le développement de la digitalisation dans tous les secteurs, la mondialisation de l’économie et la notion de capitalisme distribué. Tous ces éléments ont concouru à une digitalisation massive de l’économie et de la société.
C’est dans ce contexte d’effervescence technologique que Klaus Schwab, Président et Fondateur du Forum économique mondial, a introduit la notion de Quatrième Révolution industrielle. En réalité, il s’agit d’une reformulation ou d’une continuité de la Troisième révolution industrielle version J. Rifkin, car elle théorise une révolution industrielle basée non plus uniquement sur la technologie, mais mettant également au centre de ses objectifs l’amélioration de la vie. Contrairement à Rifkin qui mettait en avant une transformation technologique, Schwab élargit l’impact de cette révolution technologique à tous les aspects de l’Humanité, avec une centralité sur le bien-être de l’Humain. Cette dernière révolution, qui en est encore à ses débuts, repose sur les mêmes technologies que la troisième, avec en plus le développement fulgurant de l’Intelligence artificielle.
Dans ce contexte, il est aisé de voir tout l’impact que peut avoir l’IA dans tous les aspects de notre vie. Dans le secteur de la santé, l’aide au diagnostic médical avec l’utilisation de techniques d’intelligence artificielle se généralise progressivement. L’IA offre la possibilité de détecter certaines anomalies ou maladies par l’analyse d’images. L’exploitation automatique du dossier patient peut également permettre de prédire des dysfonctionnements médicaux ou de lancer des alertes épidémiologiques.
L’Intelligence artificielle dans le secteur de l’éducation offre aussi quelques applications concrètes à travers le monde. Par exemple, il existe plusieurs solutions d’assistants virtuels (chatbots, en anglais) pour accompagner l’apprentissage des apprenants.
L’Intelligence artificielle est utilisée avec succès dans le secteur de l’agriculture depuis plusieurs années, notamment pour l’optimisation de la conduite de culture, le monitoring automatique de stocks de grains, la détection de maladies des cultures, etc. Les avancées récentes de l’IA permettent encore d’aller plus loin avec l’agriculture de précision combinant l’utilisation de l’IoT (Internet des objets), la robotique, le Big Data, la simulation numérique et des algorithmes puissants de Machine Learning. Des solutions permettant de contrôler les ravageurs (rongeurs, criquets pèlerins, etc.) sont également mises en œuvre.
Dans le secteur du transport, le développement des voitures autonomes est devenu une réalité grâce à l’IA. Plusieurs entreprises à travers le monde se sont spécialisées dans ce domaine et l’émergence de voitures autonomes de cinquième génération (c’est-à-dire ceux pour lesquels aucune intervention humaine n’est nécessaire pour la conduite jusqu’à bon port) peut être envisagée dans un futur pas très lointain.
Une autre problématique que des solutions basées sur l’IA peuvent résoudre est la gestion de la logistique. En effet, l’IA offre notamment des solutions permettant d’optimiser les itinéraires de transport ou d’assurer des livraisons plus rapides. La prédiction de la fluctuation des volumes d’expéditions mondiaux constitue un autre usage de l’IA.
L’industrie minière fait face à la raréfaction des ressources minières et aux contraintes de respect de l’environnement qu’imposent de plus en plus les accords internationaux. Pour répondre à ces défis, le secteur minier, comme tous les autres secteurs, se tourne résolument vers l’utilisation des technologies de l’IA. En effet, l’industrie minière utilise depuis longtemps l’intelligence artificielle comme outil pour optimiser les processus, améliorer la prise de décision, tirer de la valeur des données et améliorer la sécurité. L’intelligence artificielle permet ainsi d’optimiser l’exploitation minière tout en préservant l’environnement.
Pour le secteur public, au-delà de la dématérialisation de toutes les procédures administratives, les technologies de l’intelligence artificielle peuvent aider à mieux gérer les processus de base, interagir automatiquement avec les citoyens et aider au traitement et à l’analyse des grandes masses de données générées par les administrations publiques, ce qui est crucial pour tous les pays. L’utilisation de l’IA permet donc d’accroître l’efficacité de l’administration en exploitant toutes les données transmises par les citoyens et générées par les différents services pour les analyser et prendre les décisions plus rapidement qui s’imposent. L’exploitation automatique de rapports et leurs croisements, par des outils de Machine Learning, permettent d’avoir des politiques publiques plus éclairées.
Plusieurs autres exemples pourraient être donnés dans les secteurs de la banque, de l’assurance, des finances, etc. En définitive, l’apport de l’IA est visible dans tous les secteurs et permet d’améliorer l’humanité.
- Quels sont les mécanismes utilisés par l’IA ?
L’intelligence artificielle est une combinaison de plusieurs sciences. Il y a bien sûr l’informatique et les mathématiques qui sont les sciences de base à maîtriser pour pouvoir élaborer des algorithmes d’IA. Par ailleurs, les différentes approches de l’IA reposent fortement sur le biomimétisme et sur les sciences humaines. Il est donc important d’avoir une certaine ouverture vers les autres sciences, voire tout simplement par rapport à la Science, pour pouvoir élaborer des algorithmes performants en IA. Nous avons ainsi plusieurs approches qui se basent sur les mécanismes de la génétique, de la neurologie, de la sociologie, de la physique, etc.
- Quels ont été le rôle et l’impact de l’avènement de l’Internet, et des mégas data sur l’IA ?
L’une des approches majeures de l’IA est l’apprentissage automatique (Machine Learning, en anglais). Celui-ci est à l’origine des fortes avancées du domaine ces dernières années. Le Machine Learning dépend fortement de l’existence d’une grande masse de données et d’une importante puissance de calcul. Avec l’avènement de l’internet et du Big Data, l’accès à ces données est facilité, ce qui a permis d’avoir les récents succès dans le domaine. Par ailleurs, la puissance de calcul de plus en plus importante, on parle d’ordinateurs hexaflopiques pour bientôt, permet d’imaginer un futur encore plus radieux pour le Machine Learning.
- Autant l’IA émerveille, autant elle est critiquée. Je prends l’exemple de Luc Julien, pourtant créateur de « SIRI », qui disait dans une conférence que « l’IA n’existe pas », eu égard au travail de programmation qu’il y a derrière. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela est comparable à dire que la biologie n’existe pas ou que les mathématiques n’existent pas. Je pense que cette déclaration a été sortie de son contexte, car elle n’a pas de sens en soi.
L’intelligence artificielle offre de réelles opportunités dans tous les secteurs d’activités, pour le monde et pour l’Afrique. Toutefois, aux bienfaits qui lui sont reconnus, peuvent être associés des risques et des menaces.
La menace la plus citée à travers le monde, liée à l’émergence de l’intelligence artificielle, est la perte de nombreux emplois. Il est bien vrai qu’avec la démocratisation de l’IA, une utilisation de plus en plus généralisée, tout comme la robotisation, certains métiers vont certainement disparaître. Cependant, il est important de préciser que parallèlement, d’autres métiers émergeront et certains évolueront pour intégrer les nouveaux outils développés grâce à l’IA. Par ailleurs, la plupart des craintes soulevées il y a quelques années concernant les pertes potentielles d’emplois ont tendance à se dissiper, l’intégration de l’IA dans les différents secteurs se faisant progressivement, tâche après tâche, plutôt que de manière soudaine. En effet, les solutions actuelles intégrant l’IA sont plus destinées à accompagner les acteurs dans leur métier qu’à les remplacer. Par exemple, l’arrivée des tracteurs n’a pas détruit l’agriculture, mais a plutôt changé le type de tâches des agriculteurs.
En outre, l’une des principales caractéristiques des solutions issues de l’intelligence artificielle, et plus précisément du Machine Learning, est qu’elles sont fortement liées aux données ayant servi à apprendre le modèle sous-jacent. Par conséquent, lorsqu’il s’agit de mettre en place des solutions impactant les humains, si les données ne sont pas diversifiées, le modèle qui servira pour la prise de décision risque d’être biaisé et de ne pas pouvoir prendre en compte certaines caractéristiques particulières à une catégorie de personnes. Ainsi, la manière de voir le monde peut se retrouver dans les algorithmes d’IA qui sont élaborés. Au cours des dernières années, la société a commencé à se demander à quel point les préjugés humains pouvaient se retrouver dans les systèmes d’intelligence artificielle – et pourraient ainsi conduire à des résultats néfastes. À une époque où de nombreuses entreprises cherchent à déployer des systèmes d’IA sur l’ensemble de leurs opérations, il est important d’être parfaitement conscient de ces risques, et travailler à les réduire devient une priorité urgente.
Face à l’engouement suscité par les avancées dans ce domaine, il est à noter que l’intelligence artificielle n’est pas uniquement confinée à la résolution de problèmes pour le plus grand bien de la société. Les algorithmes de Machine Learning traitent les données qui lui sont présentées quel que soit le problème à régler en face, que ce soit pour le bien ou pour le mal. Par conséquent, il est toujours important de prévoir les pires scénarios, notamment le cas où, par exemple, des solutions d’IA sont utilisées pour faire des cyber-attaques ou l’utilisation de robots ou de drones à des fins terroristes. D’où la question de l’éthique, qui est un élément important à considérer dans le cadre de l’IA.
- Aujourd’hui, où en est cette discipline au Sénégal et en Afrique ?
Plusieurs pays à travers le monde ont pris conscience de l’importance de l’intelligence artificielle et de la nécessité absolue de la maîtriser, voire d’y être un leader au niveau mondial.
Prenant toute la mesure de l’importance de l’intelligence artificielle pour le bien-être de leur population et dans la géopolitique internationale, plusieurs pays se sont également engagés dans la définition d’une stratégie nationale de l’IA. Dans un contexte mondial dans lequel tous les principaux pays et blocs créent des plans et stratégies de l’IA, avec pour certains, un début de mise en œuvre, l’Afrique ne doit pas rester en rade.
En Afrique, jusqu’à présent, les développements de l’IA ont été principalement tirés par les acteurs technologiques du secteur privé. Toutefois, les gouvernements africains manifestent sur le sujet un intérêt croissant, d’où la multiplication des initiatives autour des « stratégies nationales de l’IA » destinées à contribuer à l’émergence et à la bonne gouvernance de l’IA à travers le continent. Cependant, pour le moment, seul le Kenya a validé une stratégie nationale pour l’IA, et celles de l’Afrique du Sud, de l’Algérie et de la Tunisie sont en cours d’élaboration.
Au Sénégal, l’Académie nationale des Sciences et Techniques a initié une étude sur l’Intelligence artificielle, dont le rapport doit être soumis au Président de la République lors de la prochaine séance académique solennelle. Profitant de cela, le Sénégal pourrait éventuellement se positionner également dans la course à la maîtrise de l’IA
- Quels sont les défis de l’Intelligence artificielle en Afrique et au Sénégal ?
Les défis sont multiples. D’abord, pour pouvoir se positionner durablement dans le domaine, il faut impérativement développer la recherche et l’innovation. Les États africains, et particulièrement le Sénégal, doivent investir considérablement dans la recherche en IA durant ces prochaines années. Cela permettra de renforcer le nombre de chercheurs dans le domaine et de développer l’innovation pour créer de la valeur.
Parallèlement, la formation dans le domaine doit également être renforcée. Il y a actuellement très peu de formations en Intelligence artificielle dans le continent, ce qui ne favorise pas une bonne appropriation du domaine et sa mise en pratique avec des solutions concrètes.
Une autre dimension importante à considérer est le manque d’infrastructures technologiques en Afrique. En effet, comme nous l’avons mentionné précédemment, la gestion de grandes masses de données et une importante puissance de calcul sont des éléments fondamentaux pour le Machine Learning et plus généralement pour le développement de l’Intelligence artificielle. Le développement des datacenters doit être une priorité absolue pour les États africains. Nous remarquons une recrudescence de l’intérêt par rapport au calcul intensif avec l’acquisition de supercalculateurs dans plusieurs pays africains, dont récemment le Maroc qui détient maintenant la machine la plus puissante du continent, devant l’Afrique du Sud et le Sénégal.
Par ailleurs, un défi majeur reste l’encadrement réglementaire et légal de l’IA. L’Afrique a pris d’énormes retards alors que les pays occidentaux se sont bien organisés pour définir les textes qui permettent de protéger leurs citoyens, leurs sociétés et leurs économies.
Un dernier point est la mobilisation de la diaspora. En effet, la plupart des experts africains du domaine se trouvent hors du continent. Il est donc important de pouvoir les recenser et les intégrer dans la dynamique globale de développement de l’IA au niveau africain.
- Peut-on étudier l’IA au Sénégal notamment à l’UVS, si oui, quel lien y a-t-il entre cette formation et le supercalculateur dont dispose le Sénégal ?
L’État du Sénégal a acquis un supercalculateur d’une puissance crête de 537,6 TFlops*, avec une capacité mémoire distribuée de 1,2 PB** et 8064 nœuds de calcul. Cette infrastructure de calcul, qui occupe le troisième rang en Afrique, en termes de puissance de calcul pour un dispositif public, après le Maroc et l’Afrique du Sud, permet au Sénégal de disposer d’un outil performant pouvant accompagner le développement de l’intelligence artificielle. En effet, comme souligné précédemment, la puissance de calcul est l’un des piliers de l’IA qui permet de pouvoir mettre en œuvre des algorithmes puissants de Machine Learning. L’écosystème des chercheurs et des entreprises s’intéressant à l’IA pourront ainsi accéder à cet outil pour pouvoir lancer leurs travaux. Il sera accessible aux utilisateurs autorisés à travers le réseau Internet, sans avoir besoin de se déplacer sur site.
Le projet d’acquisition de ce supercalculateur comporte un volet formation qui a été confié à l’UVS. Parmi les différentes formations lancées par l’UVS pour accompagner la mise en place du supercalculateur, il y a un master en Intelligence artificielle ouvert, après sélection, aux titulaires d’une licence scientifique. Cette formation a démarré l’année dernière avec une vingtaine d’étudiants et nous venons de clôturer la campagne de recrutement pour la seconde promotion.
Il y a d’autres projets de formations en IA, notamment à l’Université Iba Der THIAM de Thiès et à l’African Institute of Mathematical Sciences (AIMS) qui viennent également de lancer leurs formations. Plusieurs autres initiatives suivront certainement dans les années à venir.
- Quels débouchés offre cette formation ?
Le master en Intelligence artificielle de l’UVS offre de nombreux débouchés : Data scientist, Ingénieur Machine Learning, Développeur IA, Ingénieur de Recherche en IA, etc.
Tous ces métiers sont nouveaux, mais les opportunités d’emploi dans ce domaine sont bien réelles. Les entreprises ont pris la pleine mesure des enjeux du domaine et commencent à rechercher des talents dans le domaine de l’IA.
Les diplômés auront également la possibilité de trouver de l’emploi au niveau international. D’ailleurs, pour donner toutes les chances à nos étudiants de côtoyer des équipes évoluant dans le domaine de l’IA, l’UVS offre chaque année, pour les cinq premières promotions de son master en IA, une bourse de mobilité pour les deux meilleurs étudiants pour aller faire un stage à l’étranger (si la pandémie le permet).
- Quel est votre dernier mot ?
L’intelligence artificielle a bouleversé tous les secteurs d’activités ces dernières années. L’Afrique, comme c’est le cas ailleurs dans le reste du monde, doit pouvoir profiter de cette opportunité qu’offre l’intelligence artificielle pour d’une part apporter des réponses aux problèmes les plus cruciaux et d’autre part, créer de la valeur pour participer à l’économie mondiale.
Les enjeux de l’utilisation de l’IA dans certains secteurs clés comme la santé, l’éducation, l’agriculture, le transport, les mines, les services publics, la finance et l’industrialisation sont énormes. Le Sénégal, et l’Afrique en général, ne devrait pas laisser passer cette opportunité de réellement impacter ces secteurs.
J’espère que les États africains vont prendre la pleine mesure de la révolution qui est en train de se produire actuellement en intégrant l’intelligence artificielle dans la conception des politiques publiques.
*(Teraflops « nombre d’opérations en virgule flottante par seconde » – Wikipédia – NDLR
**Le pétabit (symbole : Pb ou Pbit) est une unité de mesure ou de stockage dans le langage informatique, valant 1 000 térabits
Interview réalisé par Garmy SOW, UVS