vendredi, novembre 22, 2024

Cheikh Tidiane Sy Al Amine: marabout des temps modernes

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Sa philosophie est claire ! Pour Cheikh Tidiane Sy Al Amin, rien ne se donne sur un plateau d’argent. Qu’on soit fils de religieux ou citoyen lambda, tout s’acquiert par le travail. Ingénieur agronome au départ, banquier par la suite, le fils de Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine, sixième khalife général des Tidianes, est aujourd’hui Directeur général de Takamoul Food, entreprise spécialisée dans la transformation de la tomate locale. Un Cv plus que prestigieux, mais trop petit pour le détourner de sa ligne de conduite.

Mine joyeuse, élégant dans son boubou bleu harmonisé avec le bonnet, Cheikh Tidiane Sy Al Amin est un homme actif. Entre réunion, coordination, il est au cœur des activités de son entreprise. Pour parler de sa personne, il se la joue modeste. «Je suis un fils de Daara avec une formation hybride». C’est ainsi que Cheikh Tidiane Sy se présente. Cette phrase fait allusion à son cursus scolaire écartelé entre l’école coranique et l’école française. Une synthèse des deux systèmes qui a fortement influencé la vision de sa vie de religieux. «Appartenir à une famille religieuse ne doit pas nous empêcher de travailler. Les gens se trompent en pensant que le religieux est toujours favorisé ou propulsé», dit-il, le propos sérieux, mais le regard toujours aussi serein.

Mais pour comprendre l’attitude de l’homme, il faut remonter à sa formation. En effet, le quatrième fils de Serigne Abdou Aziz Sy Al Amin a fait ses humanités auprès des figures de la Tidjanya telles que Serigne Maguette Cissé et Thierno Abou Dia de Thiès et Oustaz Abdoulaye Fall fils de Serigne Cheybatou Fall, à Tivaouane. Après s’être abreuvé de science islamique auprès des compagnons de son grand-père Serigne Babacar Sy, le gamin de 15 ans s’est tourné vers l’école française. Du daara, il atterrit à l’internat catholique de Dakar. Un choix de son père qu’il croit avoir compris. «Il était à la recherche de l’excellence», suppose Cheikh Tidiane Sy, le doigt sur la barbe, comme pour pousser la réflexion encore plus loin.

Al Amin le père, Al Makhtoum la source

Pour ses modèles, Cheikh Tidiane n’a pas cherché loin : son père et son oncle Al Makhtoum. Deux hommes qui l’ont profondément influencé. Pour lui, Serigne Abdou Aziz Al Amin, en plus d’être un père, est sa boussole. C’est lui qui a toujours orienté physiquement et moralement son cursus et sa vie. «Serigne Abdou m’a toujours orienté. Lorsque j’ai eu mon baccalauréat, j’avais obtenu une bourse pour la Belgique. Il est intervenu pour me demander d’aller à l’université marocaine pour consolider mes connaissances en langue arabe. Physiquement ou mentalement, il a toujours été présent», dit-il la voix étreinte par l’émotion. C’est cet homme en qui il se reconnaît, qui lui a procuré le plus grand plaisir de sa vie. «Voir mon père se déplacer jusqu’au Maroc pour assister à ma soutenance de thèse en 1999 est le meilleur moment de ma vie», ajoute-t-il, le visage triste à l’évocation des souvenirs d’une disparition qui l’affecte encore. Le grand frère de son père, Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum n’est pas seulement un homonyme pour lui. C’est une source, un exemple de mode de vie et de philosophie. «Le décès de mon homonyme ne m’a pas beaucoup affecté, parce que je l’avais en moi. Serigne Cheikh m’a abreuvé de sa science. Ce n’est pas un père, mais une source, le savant que je citerai à la place de Molière, Balzac et des grands scientifiques», raconte-t-il. Les enseignements hérités de ses hommes l’ont forgé, dit-il, à croire à la notion d’alter égo «nawlé», dans la mesure, «il ne se croit supérieur à personne».

Ainsi, dans sa vie en société ou dans le monde professionnel, Cheikh Tidiane Sy dit se glorifier de l’héritage musulman du Sénégal. «Nous avons un héritage qui a donné satisfaction à ce pays. Il ne s’agit pas d’héritage maraboutique, mais de patrimoine, de valeur que nous avons au Sénégal sur le plan de l’éducation et de la vie en communauté. Nous avons le devoir de le perpétuer. Si nous avons aujourd’hui cette stabilité, c’est parce qu’il y a des gens qui se sont sacrifiés», souligne-t-il. Ainsi, il en déduit que le Sénégal et ses érudits ont des leçons à enseigner à l’Occident qui, à ses yeux, souffre d’un sous-développement spirituel.

Ingénieur agronome, banquier, acteur économique…

Son baccalauréat lui a ouvert les portes de l’Université marocaine d’où il sortira en 1999 comme ingénieur agronome. De retour au bercail, il intègre la Caisse nationale de crédit agricole au Sénégal (Cncas) devenue Banque agricole. Il est débauché de cette boîte en 2003 par la Cbao qui ouvrait une branche agricole. Poste qu’il n’a jamais occupé, parce qu’affecté dans le circuit classique : l’exploitation bancaire. Il change ainsi de cap, en virant de l’agronomie à la banque classique sans réellement avoir été à l’école de formation pour cette dernière filière. «S’agissant du métier de banquier, je suis un autodidacte. C’est à la banque que je l’ai appris », dit-il. Leçon sue. Puisqu’il deviendra plus tard formateur…en banque.

Après douze années à la Cbao, le banquier se transforme en acteur économique par hasard. En 2016, alors qu’il était sollicité en qualité de consultant pour la boîte Takamoul Food au bord de la faillite, son action pour le redressement de la société s’avère décisive. C’est ainsi qu’il intègre ladite entreprise jusqu’à en devenir le Directeur général. Aujourd’hui, Cheikh Tidiane Sy et son groupe font partie des plus grandes industries de transformation de la tomate locale. Avec près de 400 employés, son plus grand souhait est de voir émerger de grands champions nationaux. Ce qui passe, à son avis, par la convergence des forces. «Il faut que nos sociétés pensent davantage à s’unir pour permettre de créer des champions nationaux et de résister aux multinationales», prône-t-il, tout en insistant sur l’importance de mettre en adéquation la formation et les besoins du marché. Pour lui, il faut désormais s’orienter vers les formations liées à l’agriculture, le numérique, la distribution…

Politique de «contribution»

Cheikh Tidiane Sy est-il dans la politique ? La réponse est oui. «Je fais de la politique tous les jours, car j’ai mon mot à dire sur tous les actes posés par le Gouvernement ou l’opposition. Et j’essaie d’influencer sur les décisions», dit-il d’un éclat de rire. Sa conception de la politique, c’est d’être au service de son pays pour faire en sorte que les choses marchent mieux. Dans la sphère actuelle, Cheikh Tidiane Sy est plus convaincu par l’action de l’actuel Président de la République Macky Sall. «Aujourd’hui, je suis en phase avec la politique du Président Macky Sall et je l’assume. Je pense qu’il est en train de faire de bonnes choses», avoue-t-il. Son adhésion politique n’est pas celle «d’opposition mais de contribution» à l’action du Chef de l’Etat.

Réseaux sociaux

«Ce puissant médium me rapproche de mes amis, des intellectuels et du grand public. Il nous permet de discuter, partager des réflexions et parfois de rigoler. Rire, ce remède qui nous manque souvent pour agrémenter notre vie de stress». À travers ce texte publié le vendredi 11 décembre sur sa page Facebook, Cheikh Tidiane Sy s’extasie de la puissance sociale de cet outil qu’il utilise depuis 2009. «Quand j’ouvrais mon premier compte Facebook, un frère m’a demandé ce que je faisais avec cet outil d’enfant. Je m’intéresse à tout ce qui se passe dans mon monde. Au fur et à mesure, j’ai découvert un outil puissant qui permet de discuter avec l’homme de la rue, le mécanicien, le professeur d’université, l’homme politique», magnifie-t-il. Toutefois, il tient à y aller avec tact et retenue, pour ne pas trop frustrer. «Je suis un accro de cet outil qui nous permet d’avoir la température sociale du pays sans sortir», ajoute-t-il d’un fou rire. En dehors des débats qu’il y soutient, le monogame et père de trois garçons fait du community manager pour mieux écouler ses produits. Tenant coûte que coûte à profiter des nouveautés technologiques, Cheikh Tidiane Sy s’affirme en homme de son temps.

Demba DIENG, Le Soleil