Face à la menace, grandissante, des fake news, entreprises – et institutions – tentent de s’armer dans cette nouvelle guerre. Une bataille qui peut coûter cher en termes de réputation, de risques juridiques – et d’argent.
Le blockchain pour lutter contre le « news hacking ». Le sujet résonne à l’heure où Facebook est accusé par l’ONG Reporters sans frontières (RSF) de ne pas respecter ses engagements à empêcher la « prolifération » de fausses nouvelles sur son réseau. Aujourd’hui, les acteurs se mobilisent. Ainsi, mi-mars, la Société générale a révélé utiliser la technologie blockchain, une solution développée avec la start-up KeeeX pour certifier ses communiqués. Tocade – ou opération de com’ – d’une banque qui se veut toujours à la pointe de l’innovation, mais qui est aussi régulièrement l’objet de rumeurs sur les marchés ? Pas seulement. La « Socgen » rejoint la horde d’entreprises menacées par les fake news en tous genres. « En finance, peut-être plus qu’ailleurs, et vu l’importance des volumes de données qui circulent, la sécurité de l’information est cruciale », martèle Laetitia Maurel, directrice déléguée de la communication du groupe.
Des dizaines de milliards de dollars de pertes en Bourse
« Si le phénomène monte c’est parce que les cyberattaques se multiplient et que les outils existent », affirme Laurent Henocque, le fondateur de KeeeX, partenaire aussi d’EDF pour la diffusion de ses informations, ainsi que de la plateforme de relations publiques et de presse ePressPack. Le « news hacking » peut coûter très cher à l’entreprise : selon une étude de la société américaine CHEQ, experte en cybersécurité, et de l’Université de Baltimore, dans le Maryland, aux Etats-Unis, il a coûté quelque 39 milliards de dollars en pertes et volatilités à la Bourse américaine en 2019.
Aujourd’hui, tous les acteurs ont en tête l’affaire du faux communiqué de Vinci, qui a valu au groupe français une rude dégringolade sur les marchés – et à l’agence Bloomberg, qui l’avait diffusé, une amende salée de cinq millions d’euros, infligé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) français. Il y a deux ans, c’est Larry Fink, l’emblématique prédicateur et patron du fonds BlackRock, qui voyait sa traditionnelle lettre annuelle aux actionnaires, toujours très suivie, devancée par une fausse missive émise par un faux site Internet.
Gros risque juridique pour les entreprises
© Fournis par Challenges 691 media Jérome Lascombe de wiztopic
« Le phénomène prend de plus en plus d’ampleur : l’an dernier c’est le groupe activiste Extinction Rebellion qui s’attaquait à AP7, le plus gros fonds de pension suédois, avec un faux communiqué indiquant qu’il arrêtait les investissements dans les énergies fossiles, émis d’un faux site… et même confirmé de vive voix par un faux « dircom » qui répondait aux journalistes ! L’information a été pourtant relayée par plusieurs médias », raconte Jérôme Lascombe, président de Wiztopic, une start-up qui certifie Euronext, mais aussi un bon quart des entreprises du SBF 120. Une déferlante qui pose aussi question sur les moyens – et le temps à l’heure de l’info instantanée – dont disposent les journalistes pour faire correctement leur travail… « Les activistes ont compris que la communication est la nouvelle faille des entreprises qui ont généralement tout bien verrouillé par ailleurs – surtout dans des secteurs où les règlementations sont nombreuses et précises, comme dans la finance, poursuit le patron de Wiztopic. Le fait est que les entreprises, avec les fake news, risquent aussi gros juridiquement. »
Dans l’article 221 (alinea 4) de son règlement général, l’AMF exige en effet que l’information soit « transmise aux médias dans son intégralité et d’une manière qui garantisse la sécurité de la transmission, minimise le risque de corruption des données et d’accès non autorisé et apporte toute certitude quant à la source de l’information transmise. »
L’industrie de la santé sonne la mobilisation générale
Pas question pour les entreprises de mollir. La Société générale a intégré la solution KeeeX sur l’ensemble de ses circuits d’informations, et compte étendre la certification à toute sa base de données : avis financiers, rapports annuels… Selon nos informations, plusieurs ministères se saisissent aussi du sujet.
Enfin l’industrie de la santé, littéralement gangrenée depuis le début de la pandémie, se mobilise massivement. Par le biais du Leem, son lobby, et de son think tank « Le Lab Médicament & Société », le secteur publiera le 1er avril un livre blanc de propositions pour endiguer la propagation de fake news dans le domaine du médicament. Outre-Atlantique, toujours selon l’étude CHEQ/Université de Baltimore, la désinformation en matière de santé – en tête celle nourrie par les antivax – couterait 9 milliards de dollars chaque année.
Thuy-Diep Nguyen, Challenges