Impliquer davantage de jeunes diplômés dans l’agriculture et l’agro-industrie en Afrique passe surtout par leur accès aux infrastructures agricoles.
C’est l’une des recommandations faites aux décideurs par un programme d’études mis en place par l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) et financé par le Fonds international de développement agricole (FIDA).
Rodrigue Kaki, l’un des auteurs de cette étude, recommande précisément « l’instauration par le gouvernement d’un environnement agro-industriel propice pour les jeunes diplômés, comme les routes et la libéralisation du crédit à long terme pour l’acquisition ou l’amélioration des terres ».
“L’esprit d’entreprise n’est pas du tout inculqué par notre système éducatif. La plupart des curricula de formation dans les facultés, écoles ou même universités thématiques d’agriculture sont dimensionnés pour former des chercheurs praticiens”
Belarmain Adandé Fandohan, université nationale d’agriculture, Bénin
Le chercheur invite aussi les gouvernements du continent à faciliter l’accès des jeunes au crédit à court terme pour les coûts de production et la souscription de polices d’assurance pour compenser les risques agricoles, sans oublier la mise en place d’allègements fiscaux pour les jeunes agri-entrepreneurs et la promotion de la consommation locale.
L’étude en question a exploré, dans une dizaine de pays africains[1] dont le Bénin, les facteurs qui peuvent empêcher les jeunes de s’investir dans l’agro-industrie.
Elle a constaté qu’en dépit des nombreuses opportunités de travail indépendant qu’offre l’agrobusiness dans ce pays, les jeunes diplômés recherchent toujours des emplois salariés qui, pourtant, sont de plus en plus rares.
Le comble, remarque toujours cette étude, est que même les diplômés en agriculture recherchent des emplois non agricoles.
« Durant leurs études, les raisons qui leur sont données par leurs parents, leurs aînés, leurs enseignants sont de travailler dur pour obtenir de bonnes notes afin de décrocher un bon emploi rémunéré », explique Rodrigue Kaki.
A cela, le chercheur ajoute le fait que les étudiants et les diplômés n’ont pas toujours une bonne perception de l’environnement agro-industriel, ce qui les conduit à s’intéresser à l’emploi salarié.Selon lui, la faible participation des jeunes diplômés à l’agro-industrie limite la création d’emplois et, par ricochet, entraîne une augmentation du chômage dans leur rang.
Interrogé par SciDev.Net, Baudelaire Kouton-Bognon, consultant en agroéconomie, partage ces observations et explique que les jeunes veulent bien aller à l’agriculture ou à l’agro-industrie après leur formation ; mais seulement, ils ne rencontrent pas de conditions favorables.
A l’en croire, les jeunes diplômés sont privés « de modèles ou de références en matière agricole et manquent d’orientations claires et précises » dans ce domaine.
Belarmain Adandé Fandohan, enseignant-chercheur à l’université nationale d’agriculture (UNA) au Bénin, ajoute à cet argument l’absence au Bénin d’une banque agricole pour soutenir les projets potentiels.
Du coup, dit-il, « la plupart des jeunes diplômés de l’agriculture n’ont pas de terre ni de ressources de base pour s’installer ».
Ce dernier souligne que les véritables facteurs qui éloignent les jeunes de l’agriculture au terme de leur formation sont, d’une part, le manque d’accès aux facteurs de production : capital, terre, équipements, etc.
Esprit d’entreprise
D’autre part, il y a l’absence de structure pour accompagner l’installation des jeunes et la concrétisation de leurs projets ; sans oublier la faiblesse du système éducatif qui ne prépare pas à l’entrepreneuriat.
Le chercheur fait même remarquer que les rares étudiants diplômés qui entreprennent sont généralement ceux qui sont d’abord passés par les lycées agricoles avant de venir à l’université.
Car, dit-il, ils ont bénéficié d’un certain niveau de formation professionnalisante avant leur entrée à l’université.
« Ceux qui entrent dans les écoles d’agriculture avec le baccalauréat créent très rarement des fermes ; car les universités sont beaucoup moins équipées que les lycées agricoles pour une formation orientée vers le développement de compétences pratiques de production chez les étudiants », précise Belarmain Adandé Fandohan.
« L’esprit d’entreprise n’est pas du tout inculqué par notre système éducatif. La plupart des curricula de formation dans les facultés, écoles ou même universités thématiques d’agriculture sont dimensionnés pour former des chercheurs praticiens », regrette l’enseignant-chercheur.
C’est-à-dire « des gens capables de régler des problèmes précis de l’agriculture comme sélectionner les bonnes variétés, créer des pesticides, améliorer la fertilité du sol… Mais, les étudiants ne sont pas formés pour créer un business afin de vendre ces compétences », explique-t-il. Tout en reconnaissant que l’esprit d’entreprise ne peut pas résoudre pleinement le problème du chômage des jeunes diplômés, Rodrigue Kaki estime qu’il pourrait être un élément important de la solution de création de richesses et d’emplois.
Pour corriger cette situation et engager davantage de jeunes dans l’entrepreneuriat agricole, Belarmain Adandé Fandohan préconise de faire des institutions de formation des instruments d’incubation professionnelle et entrepreneuriale.
« Il faut bien équiper les universités agricoles de façon à en faire de vrais centres d’incubation de l’apprentissage expérientiel. A ce niveau, l’Etat a carrément échoué et démissionné. Sans équipements, les écoles ne peuvent que former des théoriciens peu rompus aux tâches professionnelles », dit-il.
Pour lui, il faudrait pour cela créer un cadre qui permette aux universités agricoles de fonctionner aussi en entreprises de production agricole. En partenariat par exemple avec le secteur privé.
Avec scidev