jeudi, novembre 21, 2024

Il faut sauver le soldat RTS (Par Mariam Selly KANE)

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En ce début mars 2021, le Sénégal a vécu la pire semaine de son existence depuis plusieurs décennies. Les émeutes, qui ont émaillé les évènements de la convocation du leader de l’opposition Ousmane Sonko suite à l’affaire de viol présumé l’opposant à une jeune masseuse, ces émeutes ont montré ce que beaucoup d’observateurs avaient vu et avaient prédit depuis des mois mais surtout ce que les Sénégalais ont tout fait pour le cacher au monde c’est-à-dire la détresse du peuple et sa désorientation ! Cette déferlante mortelle a présenté une face hideuse de notre nation. Cette envie de destruction des manifestants n’avait d’égale que leur colère et leur désolation.

Depuis mars 2020, quand le gouvernement a décidé de placer le pays dans une situation d’état d’urgence sanitaire combiné à un confinement partiel et à un couvre-feu, la vie socioéconomique des Sénégalais a été complètement bouleversée. Malgré la création par l’Etat d’un fonds de résilience et ses multiples tentatives de pallier aux manques engendrés par le contexte du Covid 19, quand on sait que 70 % de l’économie repose sur le secteur informel, les Sénégalais n’ont fait qu’avaler des couleuvres tout en rongeant leur frein. Ainsi donc, il a suffi d’une étincelle pour que la soupape explose ! Dans cette expression de la colère populaire, certains en sont venus à vouloir attaquer et brûler tous les symboles de l’Etat coupable, pour eux, d’avoir créé leur souffrance et leur faim. L’Etat et ses alliés. Et parmi les symboles de l’Etat se retrouve en plein milieu la Radiodiffusion Télévision sénégalaise, la RTS ! La RTS, forte de 60 années de radio et de 45 ans de télévision, détentrice de la mémoire audiovisuelle de ce pays, a été ciblée par des manifestants qui, par la grâce de Dieu et à cause de la brigade de gendarmerie renforcée qui s’y situe, n’ont pas pu atteindre la maison et mettre le feu à ce symbole.

Ouf, on a eu chaud !

Cependant, les agents de la RTS font, depuis lors, l’objet de menaces, d’insultes et de quolibets dans tous les réseaux sociaux. Que nous vaut cette animosité ? La RTS semble-t-il n’est pas assez du côté du peuple, la RTS n’ouvre pas ses portes aux opposants politiques, la RTS ne fait que la propagande de l’Etat, etc. Voilà ce qu’on nous reproche. Ou, en tout cas, ce qui circule sur les réseaux sociaux et que même des acteurs politiques, si ce ne sont des conducteurs d’émissions de tous genres, répètent avec force sur les plateaux. Mais, il nous faut nous entendre sur ce qu’est la RTS et sur sa mission. Il nous faut aussi nous entendre sur ce qu’on appelle le « peuple » et ce qu’on qualifie sous nos cieux « d’Etat ». Je crois être, au bout de trente ans de présence à la RTS, légitime de vous parler de la maison. Nous sommes au bas mot près de mille agents dont les 80 % au moins sont des bacheliers. Des hommes et des femmes, professionnels des métiers de l’audiovisuels, aguerris à la tâche, attachés à la mission de garants du service public, qui travaillent jour et nuit pour livrer aux Sénégalais d’abord, partout où ils se trouvent, une information vraie et vérifiée. La RTS est le groupe de presse du service public par excellence qui n’appartient à personne en particulier mais qui sert tout le monde à travers les activités du gouvernement que les Sénégalais se sont choisi. La RTS permet aux Sénégalais de monitorer au jour le jour l’affectation et l’orientation des milliards de CFA de budget qu’ils ont confiés au gouvernement. Elle montre des réalisations sociales et économiques, culturelles et ludiques que, parfois, les autres médias ne jugent pas opportun de faire voir. Quid d’un pont réalisé à Diouloulou ou Madina Ndiathbé, d’une école construite à Kaffrine, d’un hôpital finalisé (ou pas) à Ourossogui, des marathons budgétaires à l’Assemblée nationale, des daaras modernisés, des Magals de Touba, des gamous de Tivaouane ou dans d’autres foyers Tidiane, des cérémonies d’appel des Layènes ou de ziarra omarienne ou de daaka à Madina gounass ? La RTS peut dans la même semaine assurer la production d’un méga match de championnat d’Afrique de football et filer à Bissau assurer la couverture de la fête de la révolution ou encore à Abidjan pour coproduire les jeux de la francophonie. Parce qu’elle se doit d’être là où le prestige du Sénégal se joue, là où la voix de la nation est attendue et souhaitée. La RTS est suivie sur les quatre continents sur tous les faisceaux horaires. Pourquoi alors les Sénégalais révoltés ne jugent la RTS qu’à travers la couverture de l’actualité politique ou politicienne ? Et encore, tout se rapporte à l’antenne de la première chaine de la télévision à savoir la RTS1. Alors que ce groupe de presse compte 14 stations de radios, 5 pôles régionaux de télévisions dont deux chaînes nationales (RTS1 et RTS2) sans compter Radio Sénégal, Dakar FM et Radio Sénégal international (RSI) en plus du portail web ! Est-il juste de « brûler » la RTS quand on voit le formidable travail que font tous les jours les journalistes et animateurs de radio Sénégal et de RSI ? Doit-on sacrifier la RTS quand on écoute leur liberté de ton qui n’a rien à envier aux meilleures radios du monde ? Quand on se réfère à la diversité des langues utilisées pour permettre à tout Sénégalais de s’approprier cet outil ? Quand on donne aussi bien la parole et la visibilité au paysan de Bignona qu’on la donne au ministre des Affaires étrangères ou à la vendeuse de poissons de Bargny ? La RTS est partout et pour tout le monde !

La RTS est aussi une école

La RTS est aussi une école. Elle a semé, au fil des années, des pépinières qui font aujourd’hui la fierté dans toutes les radios et TV privées du Sénégal et même ailleurs. Y compris ceux qui nous insultent. Evaluons. Comment sortir « la main » de la RTS des cinq meilleurs journalistes, animateurs ou même simples conducteurs d’émissions du paysage audiovisuel sénégalais ? Et ne parlons pas des techniciens : réalisateurs, cadreurs, machinistes, directeurs de la photo etc. La RTS n’est pas du côté du peuple diton. Et de quel peuple parle-t-on ? Du peuple qui s’est choisi un président, des députés, des élus locaux et qui deux ans après le regrette déjà comme il avait regretté le Président Diouf ou le Président Wade ? Peut-on suivre ce peuple quand on sait que, contrairement à ce que nous entendons depuis quelques temps sur les plateaux, un peuple n’a pas toujours raison ! Un peuple a raison à un temps T. Après, il peut très bien se rendre compte qu’il s’est trompé. C’est le jeu de la démocratie qui commande que la majorité dicte sa loi mais elle peut très bien avoir tort. Au bout de trente ans à la RTS, nous sommes nombreux à vous assurer que le service public de l’audiovisuel n’a pas intérêt à suivre le peuple et à entrer dans le jeu des politiciens. Il a intérêt à rester droit dans ses bottes, à servir un Etat légitime et légal que la majorité de nos concitoyens, du fait du jeu démocratique, a mis en place. Il n’a pas vocation à fragiliser l’Etat, à piéger ses ministres, à les ridiculiser, à insulter l’intelligence et la conscience des Sénégalais en laissant insulter ses autorités religieuses, coutumières ou politiques. A chacun son rôle. La RTS ne fera pas le travail des communautés et des acteurs politiques pour bouter certains dehors ou favoriser la venue d’autres. Nous servons loyalement ceux qui gouvernent tant qu’ils sont légitimes et représentants des Sénégalais. En réalité, nous sommes fondés de le faire tellement nous avons vu nos pourfendeurs d’hier quand ils étaient dans l’opposition devenir nos aficionados d’aujourd’hui quand ils accèdent au pouvoir. Ils sont bien contents d’avoir un outil et des professionnels pour montrer, à ceux qui leur ont fait confiance, le travail qu’ils apportent au développement de notre pays. Alors, cela ne sert à rien de nous menacer et de nous insulter. Nous aimons ce pays comme tout le monde. Peut-être même plus. Nous, qui sommes les vieux de la vieille, nous avons tout vu, nous avons tout entendu mais nous restons attachés au service public car nous l’avons choisi et nous sommes convaincus du besoin de sauvegarder une voix forte de la nation et un visage raisonnable du Sénégal. Nous le devons aussi à nos devanciers. Ne nous y trompons pas, il y a des symboles et des institutions qui n’ont pas intérêt à être affaiblis si nous voulons rester un Etat fort et une démocratie efficace. Maintenant, tout est question de management. Une lecture intelligente du contexte s’impose. Faut-il laisser le poste de manager en chef de la RTS être un poste purement politique ? Assurément non. Mais, ce sont là des points de réforme en profondeur que les Sénégalais doivent garder en tête au moment de se choisir un prochain dirigeant ; tout comme ils doivent changer le mode de sélection et d’élection de leurs élus et autres représentants.

En trente années…

En trente années, il y en a eu des managers à la tête de la RTS. Le management de Racine Talla n’est pas celui de Marcel Dione, la vision de Babacar Diagne n’est pas celle de Daouda Ndiaye. Le style de Mactar Sylla n’est pas celui de Guila Thiam ou de feu Tidiane Daly Ndiaye ou de Abdou Xudoss Niang etc. Cependant, nous avons toujours accepté et les reproches et les satisfécits du peuple sans état d’âme en essayant de toujours mieux faire. Car, en effet, derrière ces hommes, ces directeurs généraux nommés par décret qui tous ont apporté leurs pierres à l’édification d’un service audiovisuel public sénégalais respecté et respectable dans le monde, il y a ces centaines d’ouvriers que nous sommes, qui ne sont d’aucun bord et qui pensons que, comme la police ou la gendarmerie, nous devons être au service de la République. Alors, non ! Nous ne laisserons pas « brûler » la RTS. Tout comme nous ne laisserons pas « caillasser » les autres médias ou fermer des chaînes de télévision surtout quand le mode de diffusion par voie hertzienne ou numérique terrestre est de plus en plus dépassé par le mode IP et aussi parce que chaque groupe a ses audiences et son utilité dans la construction d’une liberté de la presse réelle, garante d’une grande et belle démocratie digne de notre histoire. Wa Salam.

Mariam Selly Kane est journaliste à la RTS