L’année écoulée a été totalement effarante sur les marchés financiers. Après un gros coup de froid lorsque la pandémie s’est répandue sur le monde, les marchés ont vivement rebondi, revenant à leurs plus hauts, et les battant largement dans certains cas. Mais les hausses de Tesla et du Bitcoin, ou l’incroyable bataille boursière sur GameStop donnent tous les jours davantage l’impression que les marchés financiers ne sont qu’un casino arbitraire, où, si les gains sont forts à date, le risque grandit…
Une bulle qui ne cesse de gonfler
Il faut rappeler que le Dow Jones avait atteint un pic à plus de 14 000 points fin 2007, avant de s’effondrer à 7 000 points début 2009. C’est un rappel important pour remettre en perspective le niveau actuel, au-delà de 31 000 points, plus du double d’avant le dernier krach, et une multiplication par 4 de la valeur par rapport au point bas de 2009 ! L’envolée du Nasdaq est encore plus extravagante, avec une progression de plus 50% en un an, et même un doublement par rapport au point bas de fin mars 2020 ! En dix ans, l’indice a vu sa valeur multiplier par 5 ! L’exemple le plus extravagant de cette évolution est clairement l’action Tesla, dont la valeur a été multipliée par 10 en un an, au point de valoir plus que tous les autres constructeurs automobiles réunis ! Les marchés européens, moins exubérants, sont « seulement » proches de leurs plus hauts historiques. Le Nikkei est au plus haut depuis près de 30 ans.
Il y a un vrai sens économique à l’envolée des marchés financiers. D’abord, malgré le creux de 2020 pour certains secteurs, les profits des entreprises ne cessent de progresser, au point d’inquiéter depuis longtemps The Economist, qui y voit un manque de compétition, ce qui justifie une valorisation supérieure. En outre, les actionnaires, même s’ils ont perdu la bataille de la vente de Carrefour à Couche Tard, imposent toujours plus durement leur loi aux entreprises, entre dividendes records, rachats massifs d’actions et opérations diverses pour créer de la valeur, pour eux. Enfin, le contexte financier global est extrêmement favorable aux actions, avec une création monétaire importante, qui augmente la demande pour les actifs, tout en réduisant les taux obligataires et monétaires, accroissant l’attractivité des actions.
Néanmoins, par-delà des facteurs structurels à ne pas négliger, il y a de nombreuses incohérences. D’abord, il est curieux que la valorisation des actions états-uniennes diverge autant des actions européennes. En effet, les taux restent plus élevés outre-Atlantique, réduisant la prime des actions par rapport à une situation européenne, où les taux obligataires sont nettement plus faibles. Les marchés actions européens devraient être plus dynamiques qu’aux Etats-Unis, même s’il faut prendre en compte le poids économique pour le vieux continent d’une intégration économique profondément dysfonctionnelle. En fait, il est très clair que des phénomènes de bulles se produisent de manière de plus en plus exubérante et irrationnelle. Tesla en est exemple criant, les fans du constructeur automobile étant bien incapables de remettre en question la moindre ligne de mon récent papier, sur Twitter ou Agoravox.
Autre bulle stupéfiante : celle sur le Bitcoin, dont la valeur a également été multipliée par 10 en un an, passant le cap des 50 000 dollars. Cette bulle est encore plus extravagante, tant elle ne repose sur rien de concret. Le Bitcoin est un actif purement virtuel, une fausse monnaie totalement abitraire que l’époque ne parvient même pas à remettre en perspective. Bien sûr, en 2013, alors qu’il ne cotait que 1000 dollars, je pensais alors qu’il était probable que dans quelques années le Bitcoin soit interdit, ce qui n’a pas été le cas. Mais je ne fixais pas d’horizon de temps précis, ni étais affirmatif à 100%. Aujourd’hui, il est difficile de faire un pronostic. Dans cinq ans, le Bitcoin me semble autant pouvoir valoir un million de dollars, qu’avoir totalement disparu, en faisant tout perdre à ceux qui en ont.
Mais l’époque actuelle est trop irrationnelle et exubérante pour que cela se finisse bien. De telles époques finissent toujours par un krach douloureux. Les actions totalement déconnectées de la valeur de l’entreprise reviendront douloureusement sur terre et on peut imaginer une chute de 95% du cours de Tesla dans les 2 ans. Pour le Bitcoin, il est plus difficile de donner un horizon de temps ou un objectif de cours, tant les esprits animaux sont à l’œuvre, et tant il est possible de croire à l’histoire invraisemblable qui justifie sa valorisation. Mais la passe d’arme entre les fonds spéculatifs et les petits investisseurs autour de GameStop, où ces derniers ont multiplié par 10 le cours de l’entreprise, faisant perdre des millions aux fonds, me semble plutôt le signe que la fin d’une période approche qu’autre chose…
Aujourd’hui, les marchés action ressemblent à un mélange de casino et de far-west toujours plus décorrélé de leur prétendue fonction. Il est de plus en plus évident que les bulles gonflent, largement au-dessus de toute valeur réelle. Bien sûr, si la bulle n’explose qu’en 2022 ou plus tard, des profits peuvent peut-être encore être réalisés. Mais il semble clair que, comme en 1987, comme en 2001, et comme en 2008, la conclusion devrait être violente, aucune force de rappel ou aucune leçon du passé ne semblant avoir été instituée ou tirée. Malheur aux derniers possesseurs des fragments de ces bulles…
Laurent Herblay , sur Agoravox