Nommée le 24 décembre 2020, Thérèse Samdapawindé Kagoné est la nouvelle directrice technique du centre Muraz de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. Elle devient ainsi la première femme à tenir les rênes de la direction technique de ce centre créé en 1939.
Il s’agit d’une institution consacrée à la prévention, au diagnostic et au contrôle des maladies transmissibles et non transmissibles par la promotion et la réalisation de la recherche en santé, la formation et l’expertise en biologie médicale, en sciences humaines et en santé publique.
Titulaire d’un doctorat PhD en biologie moléculaire et virologie médicale obtenu à l’université de Ouagadougou, Thérèse S. Kagoné est aussi titulaire du diplôme d’ingénieur en analyses biomédicales et d’un DEA[1] en microbiologie obtenu à l’université de Lomé au Togo.
“J’étais tellement intriguée par le fait que quelque chose que l’on ne peut même pas voir puisse être responsable d’autant de dégâts, que j’ai choisi d’étudier consécutivement la biologie et la virologie”
Thérèse S. Kagoné
Dans cet entretien qu’elle a accordé à SciDev.Net à la faveur de la journée de la jeune fille et de la femme en science célébrée ce 11 février, la cheffe du laboratoire régional de référence de la CEDEAO[2] pour les fièvres hémorragiques virales (depuis 2017) nous révèle ses projets pour le centre Muraz et nous parle des efforts à consentir pour encourager les femmes à se lancer dans la science et la recherche en Afrique.
Comment est née votre passion pour la science et la recherche ?
Enfant, j’étais curieuse et je voulais toujours comprendre le pourquoi de tout. En grandissant, j’ai découvert les microbes et le rôle qu’ils jouaient dans les maladies. J’étais tellement intriguée par le fait que quelque chose que l’on ne peut même pas voir puisse être responsable d’autant de dégâts, que j’ai choisi d’étudier consécutivement la biologie et la virologie pour apprendre le plus possible sur le sujet.
Pour moi, c’est très passionnant et stimulant d’exercer un métier dans un domaine où la connaissance des microbes et des infections qu’ils engendrent permettent non seulement de prévenir les maladies, mais aussi d’en faire le diagnostic et de contribuer à la lutte contre leur propagation. C’est un travail que j’aime et je l’exerce avec la plus grande rigueur.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées en tant que femme dans votre parcours depuis l’université jusque sur le terrain de la recherche ?
Les difficultés sont légion. Il y a, entre autres, les préjugés, la discrimination, la concurrence déloyale, la jalousie et même la méchanceté. La difficulté majeure propre à tous les « Murazien », c’est le manque de carrière par rapport au Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) due au non rattachement du Centre Muraz à l’université ou à l’Institut de recherche en science de la santé (IRSS).
Depuis sa création en 1939, vous êtes la première femme à occuper le poste de directrice technique du centre Muraz. Comment êtes-vous arrivée à la tête de cette structure de recherche ?
Je suis la première femme PhD du centre Muraz et la première directrice technique. J’y suis arrivée par la grâce de Dieu, la détermination, le travail, le sacrifice et l’engagement. J’ai intégré le centre Muraz en 2001 comme ingénieure en analyse biomédicale. J’ai réussi brillamment à mon Diplôme d’études approfondies (DEA) et à mon PhD avec mention « Très honorable » et des félicitations du jury.
J’ai été nommée en 2014, chef du Laboratoire national de référence des fièvres hémorragiques virales (LNR-FHV) du Burkina Faso avec pour mission de faire le diagnostic, la surveillance, la formation et la recherche sur 12 virus pouvant entraîner des fièvres hémorragiques comme Ebola, Lassa, le virus de la fièvre jaune, de la dengue, etc. Avec mon équipe, nous avons travaillé à relever ces différents défis.En 2017, le LNR-FHV a été identifié comme laboratoire sous régional de référence pour les fièvres hémorragiques avec son homologue à Abuja au Nigeria. Nous avons, dans ce sens, fait un plaidoyer où nous avons obtenu 10 hectares de terrain pour la construction de laboratoires de pointes répondant aux normes internationales.
De 2019 à juillet 2020, j’ai occupé le poste de coordonnatrice sous régionale du réseau bio-sûreté du G5 Sahel. Pendant mon mandat, nous avons entre autres doté chaque pays de réactifs et des consommables pour le dépistage de SARS-CoV-2 avec l’aide de l’Institut de microbiologie de la Bundeswehr[3] (IMB), de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ)[4], la fondation Mérieux et du gouvernement Allemand.
Je suis un pur produit du centre Muraz. Je connais et je vis les problèmes du centre. J’arrive à point nommé à la direction technique où le Centre n’est pas au meilleur de sa forme.
En effet, vous arrivez à la tête du centre dans un contexte marqué par la COVID-19, la persistance de la morbidité et de la mortalité dues aux infections, la menace d’émergence ou de réémergence d’autres maladies. Comment comptez-vous mettre votre savoir-faire pour relever ces défis ?
Je compte porter à la connaissance des autorités sanitaires et du public les capacités techniques, diagnostiques, de recherche et d’expertise du centre. Je vais être proactive avec les seniors du centre et les chercheurs associés du centre pour la rédaction des projets de recherche et des articles. Aussi, je vais être proactive avec les partenaires techniques et financiers pour renforcer le plateau technique et assurer les formations continues. Je compte aussi identifier de nouveaux partenaires techniques et financiers.
Quels sont vos projets pour le centre Muraz ?
Ce sont la capitalisation des acquis du centre, la redynamisation, le renforcement des capacités techniques et financières, la rénovation afin de faire du centre Muraz un centre d’excellence en termes de diagnostic, de recherche, de formation et d’expertise.
Pour diverses raisons, plusieurs femmes qui veulent se lancer dans les sciences et la recherche n’y arrivent pas. Selon vous comment l’Etat peut encourager les femmes à réaliser leurs rêves ?
Effectivement, de nombreux obstacles freinent les femmes qui veulent se lancer dans la science et la recherche. Il y a, entre autres, la cellule familiale dont est issue la jeune fille, les distractions non canalisées, le mariage précoce, la gestion de la famille, des enfants, la belle-famille et le social qui font que la femme doit mettre les bouchées doubles pour tenir sur ses bottes et exceller au travail.
L’Etat doit accompagner les femmes à se lancer dans les sciences et la recherche. Il peut corriger déjà la mentalité à la base, en montrant par des sensibilisations et des cas pratiques que la femme a du potentiel, qu’elle peut faire ce que font les hommes et des fois mieux. On peut booster la femme à aller le plus loin possible, en octroyant plus de bourses aux femmes, en ouvrant plus de postes d’enseignement à l’université pour les femmes et en prenant plus en compte les femmes dans les pouvoirs de décision.
Quel est votre message pour les jeunes femmes qui souhaitent exceller dans le domaine de la science et de la recherche comme vous ?
Aux jeunes femmes qui voudraient suivre mon exemple, je demande de se confier totalement à Dieu et de croire en sa puissance, de ne pas avoir recours au raccourcis, d’avoir des objectifs, de travailler à les atteindre, de ne pas se décourager, de savoir qu’avec Dieu aux commandes dans la vie, le travail et l’engagement, rien n’est impossible. Je leur demande d’être patriotes, de travailler réellement pour le pays, de représenter dignement le Burkina Faso tant au niveau de la sous-région qu’à l’international. Et de rester femmes parce qu’elles constituent une puissance.