« A la toute-puissance du flic et du fric, la magie du clic à travers les réseaux sociaux fera face ». Joliment tournée la formule, vous ne trouvez pas ? Elle est à mettre à l’actif du candidat Macky Sall, lors de la présidentielle de 2012, face à son rival Me Abdoulaye Wade. Il avait ravi d’aise ses nombreux groupies, dans sa posture de « jeune » candidat, bien dans l’air de son temps. Mais que s’est-il donc passé pour que la lune de miel tournât en lune de fiel entre le président de la République Macky Sall et les réseaux sociaux ?
Après plusieurs réflexions à voix haute, est-ce pour sonder l’opinion ? Sur les dérives des réseaux sociaux, le président de la République, Macky Sall, a demandé, mercredi 3 Février 2021, lors du Conseil des ministres, à son gouvernement de « mettre en place un dispositif de régulation et d’encadrement, spécifique aux réseaux sociaux ».
Suscitant par ailleurs, une belle levée de boucliers. Car cette mesure ou proposition de mesure serait à l’encontre de la législation déjà en œuvre, si l’on en croit Cheikh Fall, le leader du mouvement Africtivistes, joint par PressAfrik : « Le Sénégal a une loi sur le contrôle des communications électroniques et sur la cyber-sécurité. Et aujourd’hui, vouloir revenir sur les dispositions légales en demandant à ce qu’une nouvelle loi récuse, organise et modère les contenus des réseaux sociaux, cela voudrait simplement dire : premièrement, la volonté ne serait pas forcément une simple régulation. Deuxièmement, cela veut dire que des non-dits se cacheraient derrière cette volonté parce que cela fait penser à une tentative d’isolement, de contrôle, de censure des contenus sur les réseaux sociaux. Troisièmement, régulation ne rime pas avec sanction, elle ne signifie pas forcément oppression ».
Mieux, ce dernier est d’avis que le constat est le même partout en Afrique. Selon lui, « A chaque fois que des Présidents en Afrique ou des autorités ont voulu parler de régulation, ils ont plutôt mis en avant le caractère répressif ou abusif et donc ils ont mis en place d’une législation restrictive ou abusive, allant dans le sens de contrôler l’opinion publique ».
Le fait est qu’aujourd’hui, l’opposant Ousmane Sonko est devenu le chouchou des réseaux sénégalais, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, comme l’illustre sa probante victoire lors de la présidentielle 2019, au niveau de la Diaspora. Ceci explique-t-il cela ?
Selon PressAfrik, le directeur de la Communication du ministère de la Communication, Ousseynou Dieng, tient à préciser que cette proposition de mesure n’a rien à voir avec un quelconque débat animé sur les réseaux sociaux : « A mon avis, cela n’a absolument rien à voir avec ce débat politique ». Et de poursuivre : « Il est question de civiliser même le débat ». Car, déplore-t-il, « Il y a des gens qui ont eu à subir des attaques, il y a des gens qui, à la limite, ont été violentés, à qui on a mis toute leur vie privée dans la rue, il y a des familles qui ont été détruites ».
L’un dans l’autre, il y a pourtant lieu de se poser des questions. Pourquoi le besoin de créer un nouveau dispositif quand on sait qu’il existe déjà un arsenal légal imposant, élaboré depuis 2008 sur la société de l’information ; en 2016, relatif à la liberté d’expression en ligne mais aussi, à la liberté de la presse: Loi n° 2016-33 relative aux services de renseignement ; Loi n° 2016-29 portant Code pénal ; Loi n°2016-30 portant code de procédure pénale ; Loi n° 2017-27 du 13 juillet 2017 portant Code de la Presse ; Loi n°2018-28 du 12 décembre 2018 portant Code des Communications électroniques sans oublier la ratification de la Convention de Budapest le 16 décembre 2016. Excusez du peu !
Pour les motifs et exposés d’un tel dispositif, difficile d’en attendre grand-chose, tant les pouvoirs publics nous ont habitués à vider les institutions créées de leur substance à leur seul profit…politicien. Vous avez dit CREI ?
Toutefois, nous nous devons à la vérité de dire que les réseaux tels qu’ils fonctionnent, entraînent, fatalement, des conflits entre différentes libertés. Comment concilier par exemple la liberté d’expression ou le droit d’être entendu pour les sans-voix avec le droit d’être protégé contre la désinformation, le droit de ne pas être jeté en pâture ou insulté sur ces mêmes réseaux sociaux.
Jamais la notion de régulation n’a été autant à l’ordre du jour à travers le monde ! Comme il est également communément admis que la notion de régulation ne saurait se résumer à la seule censure.
Parce que la première question à se poser, est de savoir ce qu’est un contenu illicite. Entre les contenus clairement illégaux et les contenus licites, toute une palette de « gris » doit faire l’objet d’appréciation par la plateforme numérique. Et si l’élaboration de « standards communautaires » comme code peut aider dans les choix de régulation de la plateforme, cela ne règle pas la question de savoir s’il est possible de lui décerner une autorité ou une légitimité, en tant que privé, à gérer des espaces devenus par la force des choses, des espaces publics. Et ce, quel que soit la qualité des modérateurs humains et / ou des smart algorithmes employés pour ce faire.
A la lumière de ce qui précède, quelques interrogations s’imposent : Est-il souhaitable que les réseaux sociaux décident seuls de retirer du contenu ? La relative absence du recours au juge dans les procédures, est-elle acceptable ?
Mille fois non pour toute démocratie qui se respecte ! Exit l’autorégulation par les réseaux sociaux et leur intervention a posteriori, exit le contrôle direct des contenus par l’Etat, les jeux sont-ils faits pour autant ?
Une autre régulation est possible si l’on en croit le formateur en multimédia et Web journalisme du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), Mamadou Ndiaye sur sa page Facebook: « Régulation et encadrement des réseaux sociaux! Une mission (presque) impossible pour un gouvernement (démocratique). Il faut agir sur d’autres leviers et instaurer une sorte de contrat social entre gouvernants et gouvernés, autour des valeurs suivantes : transparence, redevabilité, reddition des comptes, liberté d’expression et responsabilité ».
Il s’agit ici du concept de la régulation supervision, avec comme maîtres-mots l’éducation, l’engagement citoyen, la régulation par la société. Aussi le régulateur devra-t-il être un lieu de dialogue entre les services et ses services, la justice, les chercheurs de toutes disciplines, la société civile et les internautes.
Dans nos pays, où tout est urgence signalée, la culture à l’hygiène numérique est fondamentale pour l’éducation des internautes, petits et grands (la #NetAttitude) : En clair, il nous faut connaître notre environnement si nous voulons le maîtriser.
Mais pour M. Cheikh Fall, le leader du mouvement Africtivistes, la cause est entendue : « Cette proposition s’est faite au moment où le sujet du troisième mandat est évoqué par l’opinion publique, c’est proposer au moment où dans d’autres pays et dans d’autres contextes, la même proposition a été faite par des chefs d’Etat quand ils ont voulu des mandats de trop. C’est aussi fait au moment où la seule la force de l’opposition qui fait face au Président, c’est l’opinion publique, c’est-dire les citoyens ».
Toujours est-il judicieux en ces heures sombres pour les libertés au Sénégal, désormais classé démocratie hybride, de faire suite à l’appel de l’Association des Utilisateurs des TIC (ASUTIC), « …aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter) de privilégier le respect de la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information plutôt que les requêtes de censure gouvernementale ».
Parce que dans nos pays africains, la démarcation entre régulation et censure ne tient qu’à un…clic !
Consultant en communication digitale – Digital Manager – Blogueur Tech
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