4 contenus de types musique, vidéo, jeu… La bataille de la musique en ligne : Spotify, Amazon Music, Apple Music, YouTube, Deezer, Itunes, Kaaza, Napster …
La musique en ligne a connu plusieurs phases.
Au début, il y a eu le « peer-to-peer » ou « pair à pair », avec comme représentant le plus emblématique : Napster. C’était simplement fabuleux. On disait à l’époque (1999-2000) que le CD était mort.
Ensuite, il y a eu le phénomène iPod/iTunes. En 2001, Apple mit en place iTunes, le foyer numérique et l’iPod (l’appareil qui permet de mettre 1000 morceaux dans sa poche). Ce qui était nouveau, c’était la fragmentation, qui vous permet d’acheter un titre de musique à $0,99 sans être obligé d’acquérir tout l’album. Steve Jobs était convaincu que ce nouvel écosystème domestique ferait passer Apple au rang des sociétés technologiques les plus puissantes du monde. Le budget de lancement de l’iPod était de $75 millions. « Les ventes de musique sur iTunes dynamisaient les ventes d’iPod qui à leur tour dopaient les ventes de Mac. » (1) C’est cela, l’avantage d’un écosystème qui se gratifia de nouvelles fonctionnalités, notamment avec l’arrivée en 2003 d’iTunes Store.
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Enfin, le modèle dominant actuel, est celui des applications de musique en modèle freemium. Ce modèle multiface présente les caractéristiques suivantes : le client peut bénéficier du service sans payer, à condition qu’il reçoive de la publicité. Sinon, il paie un abonnement mensuel (de 5 à 10 €/mois), qui lui permet d’accéder à un catalogue de plusieurs dizaines de millions de titres. Spotify est leader sur ce marché, suivi par Apple Music et Amazon Music. YouTube propose également un catalogue musical, de même que Deezer.
Les batailles des standards vidéo (cassettes et disques) : VHS, Betamax /DVD, Blu-Ray
La guerre des standards de format vidéo sur magnétoscope a opposé les concurrents Betamax (avec Sony comme leader) et VHS (avec JVC comme leader). Ils étaient tous les deux organisés autour de plateformes multifaces. L’une des faces était occupée par les consommateurs et l’autre face était occupée par les fournisseurs de contenu. « Les économistes qui concluaient que VHS avait gagné parce qu’il avait attiré davantage de consommateurs faisaient une analyse monoface d’une plateforme biface. » (2) Certains estiment également que le succès de VHS était surtout lié à une performance technique (possibilité d’avoir des cassettes de près de 4 heures).
L’histoire de la suprématie gagnée par VHS est plus complexe. VHS a gagné parce qu’il a su mieux convaincre en même temps consommateurs et fournisseurs de contenus d’utiliser son standard. Les effets de réseaux indirects se sont renforcés mutuellement, ouvrant la voie à la victoire de VHS au détriment de Betamax
Entre DVD et Blu-Ray, la dynamique de concurrence n’a pas joué de la même manière. Le camp DVD (dirigé par Toshiba) a vendu plus de lecteurs de DVD aux consommateurs que le consortium Blu-Ray (dirigé par Sony). Blu-Ray a fini par remporter cette bataille, car il a su convaincre Warner Bros d’abandonner le format DVD.
La bataille de la vidéo à la demande (location ou streaming) : Netflix, Blockbuster…
En 2005, il y avait aux USA 18 739 vidéoclubs. Huit ans plus tard, en 2013, 83 % avaient disparu. Blockbuster, qui était la première chaîne, a fermé ses derniers clubs en 2014.
En 2000, Netflix s’était déjà positionné comme un loueur de DVD en ligne. Elle avait déjà un catalogue de 55 000 titres en 2005.
Avec le développement du broadband (haut débit), Netflix se positionna dans le streaming vidéo en 2007. Plus besoin d’attendre le DVD. Ceci porta un coup fatal aux nombreux vidéoclubs. En 2000, quand Netflix a proposé un rapprochement avec Blockbuster (à l’image de la proposition de Page et Brin aux dirigeants de Yahoo), les dirigeants les ont éconduits en rigolant. Eux savaient que la technologie rendrait bientôt possible le streaming vidéo. Au moment où Blockbuster fermait ses derniers vidéoclubs en 2014, Netflix enregistrait 44 millions de clients. En 2020, Netflix compte plus de 170 millions de clients, dont plus de la moitié se trouve hors des États-Unis.
La bataille des jeux vidéo : PlayStation, Xbox, Wii
Il faut bien noter que le marché du jeu vidéo s’élève à près de $170 milliards. On distingue 3 types de jeux : sur mobile, sur PC et via la console de jeu. Les acteurs majeurs sont Sony, Microsoft et Nintendo. PlayStation est la console de jeu vidéo développée par Sony. Xbox est la console de jeu développée par Microsoft, et Wii, celle développée par Nintendo.
Principe : le terminal est vendu au client au prix marginal. La plateforme se rémunère sur les ventes de contenus (royalties que les créateurs de contenu reversent aux acteurs de ces plateformes). Pour ce qui est des jeux sur mobile, Tencent est très avant-gardiste. Les évolutions récentes en matière de jeux concernent le Cloud Gaming (gaming as a service), où la console est simplement délocalisée sur un serveur. Ce nouveau secteur attire de fortes convoitises : Google, Amazon, Microsoft, Sony et d’autres agrégateurs (comme Nvidia) proposent des offres. Tencent et Huawei sont en partenariat dans ce domaine qui constitue le cas d’usage par excellence de la 5G. Ajoutons à ces éléments le phénomène e-sport qui s’impose comme une discipline sportive avec son sponsoring, ses championnats etc.
5 services d’intermédiation dans le transport et l’hôtellerie
La bataille des services de mise en relation (taxis, hôtellerie) : Uber, Lift, Didi Kuaidi, BlablaCar, AirBnB
Quand on parle de services de mise en relation, d’intermédiaires, on pense tout de suite à Uber et AirBnB. L’arrivée de ces plateformes a plus ou moins secoué les secteurs des taxis et de l’hôtellerie. Ces plateformes manipulent simplement des données et offrent aux participants des services de transaction qui sont d’une simplicité effarante.
Dans le cas de Blablacar, il s’agit de covoiturage. Cette application permet d’optimiser les capacités excédentaires, ou capacités dormantes, dans le cadre des déplacements entre villes. Uber, Lift et Didi Kuaidi se sont positionnés sur le service de transport en taxi. Ils ont largement secoué ce secteur. Dans tous les pays où Uber est lancé, le prix des licences a diminué et les services de taxi existants ont entamé leur modernisation pour échapper à la disruption. Uber n’a jamais pu décoller en Chine avec la présence de Didi Kuaidi. Il a beaucoup diversifié son catalogue d’offres. Il est présent dans 93 pays et dans 900 villes, et travaille avec 5 millions de chauffeurs. Uber est toujours déficitaire même si sa capitalisation boursière est de $94 milliards.
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AirBnB est présent dans 200 pays. Il a poussé le marché de l’hôtellerie à se moderniser au moins sur quelques aspects transactionnels. En 2019, il comptait 7 millions de listings et 150 millions d’utilisateurs. En 2019, la capitalisation boursière d’AirBnB était de $38 milliards. En 2020, l’effondrement des voyages, faisant suite à la crise sanitaire, a touché de plein fouet ces plateformes de mise en relation. Elles ont essuyé des pertes et procédé à des réductions d’effectifs.
E-commerce et outils de paiement
La bataille du e-commerce : Amazon, Alibaba, Ebay
Le marché global du e-commerce est estimé à plus de $10 400 milliards et évolue à hauteur de 14,7 % par an. Le marché est plus dynamique en Asie. Les principaux acteurs sont Amazon et Alibaba.
Aux États-Unis, les anciennes chaînes Macy et Walmart ont mis en place des plateformes de vente en ligne pour faire face au processus de disruption en cours. Walmart a fermé des centaines de boutiques, reconnaissant maintenant que son véritable concurrent est Amazon.
Amazon allie les deux activités de plateforme monoface (pour le retail concernant ses produits) et de plateforme multiface à travers sa marketplace.
Alibaba est non seulement une plateforme de vente en ligne (à l’image d’Amazon), mais aussi de vente aux enchères (C2C, à l’image d’Ebay).
En fin Mars 2020, Amazon bouclait les 12 derniers mois avec un CA de $293 milliards vs $72 milliards pour Alibaba. Amazon réinvestit une large part de ses revenus pour sa croissance et sa diversification. La progression de son activité marketplace est de loin plus forte que celle de Ebay (+300 % du CA entre 2015 et 2019 chez Amazon vs +22 % du CA chez Ebay). Véritable entreprise de technologie, leader dans le Cloud computing, Amazon s’est aussi lancée dans le Cloud Gaming. Aujourd’hui, la vente en ligne chez Amazon représente 51% de son CA.
La bataille des services de paiement : M-PESA, Apple Pay, Alipay, WeChat Pay…
Il arrive que les meilleurs mettent en place des services qui ne répondent pas à un besoin client ou qui ne corrigent pas de friction, car celle-ci n’existe pas dans la tête du client. Tel est le cas d’Apple Pay. Contrairement aux services de mobile money utilisés ici en Afrique, dont le plus emblématique est M-PESA, Apple Pay n’a pu décoller.
Par contre, dans les pays africains, on assiste à un vrai envol de ces services de paiement mobile. Ces plateformes présentent des services multiface (paiement marchand, paiement de factures). Lancé en 2007, le service M-PESA comptait 9,7 millions d’utilisateurs en 2010, soit 42 % des personnes de plus de 15 ans. Au Kenya, les transactions de Safaricom représentent 20 % du PIB. En 2012, Safaricom a ouvert sa plateforme à des partenaires dûment sélectionnés. En relation avec la Commercial Bank of Africa, M-PESA lançait M-Shwari, qui permet aux utilisateurs d’épargner et de percevoir un intérêt de 2 % à 5 %. Au même moment, le KCB Bank Group lança un programme de partenariat avec M-PESA, permettant aux utilisateurs d’avoir accès à des prêts allant jusqu’à 10 000 $. (3)
Lorsqu’on parle de cryptocurrency, notamment du bitcoin, on pense d’emblée à la blockchain qui est un protocole de confiance très prometteur car pouvant jouer un rôle important dans les prochaines ruptures technologiques.
Les dilemmes des opérateurs telcos
Le premier dilemme est lié aux revenus voix, menacés par le trafic des OTT (opérateurs over the top du type Skype, WhatsApp, etc.) À chaque fois que les opérateurs télécoms améliorent les débits sur les réseaux mobiles et surtout depuis le passage aux larges débits avec la 3G, ils créent les conditions de qualité pour les services voix proposés par les OTT. Les revenus issus du trafic voix international se sont réduits comme une peau de chagrin. N’eussent été les offres illimitées, le trafic voix national et les SMS auraient subi la même tendance.
Le second dilemme est la présence de services de type multiface chez une structure habituellement formatée pour la gestion de produits/services de type monoface. Les offres classiques des opérateurs : la vente de trafic Prepaid via les canaux de distribution et les services à valeur ajoutée sont de type monoface. Par contre, le cloud, le mobile money – ou plus précisément certains services mobile money – et les services issus de l’open innovation (APIs) sont de type multiface. Il est très difficile de gérer ce type de service en ayant les mêmes exigences que celles liées au premier groupe. La stratégie, le business model, le marketing et les KPI ne peuvent être similaires.
La plupart des acteurs telcos sont pour l’essentiel réduits à de la vente de broadband. Certains opérateurs, à l’image de Tencent, qui ont fait leur mue en devenant de véritables plateformes de services, peuvent prétendre à des croissances substantielles.
Un enjeu important pour les telcos est la présence de plus en plus marquée des Internet- players sur le marché des supports de transmission (via microsatellite , ballons, drones et câbles sous-marins). Actuellement, ces derniers investissent directement le broadband. Les telcos sont très expérimentés lorsqu’il s’agit de gérer la transaction client (facturation, back-office etc). Mais que se passerait- il si les Internet Players proposent un modèle freemium ?
Conclusion
Les plateformes digitales sont au cœur de l’écosystème digital. Dans une confrontation entre une plateforme et une structure monoface, l’issue est en général favorable à la plateforme, car celle-ci met en place un meilleur réseau de valeur et délivre une meilleure proposition de valeur. Cela s’explique surtout par la capacité de création de valeur générée par les effets de réseau positifs. Gérer une plateforme requiert une mentalité qui met le focus non pas sur l’intérieur (les processus, les systèmes internes), mais surtout sur la partie externe (partenariat, souci de gérer la rentabilité et la satisfaction de toutes les parties prenantes de l’écosystème ainsi créé). On parle d’un changement de type « inside/out ».
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Ce changement de mentalité induit également une nouvelle vision sur l’acquisition et l’exploitation des ressources, la stratégie, l’innovation, les finances, le marketing et la politique RH. Les mastodontes de l’écosystème digital utilisent ces atouts et réalisent des succès sans précédents. Dès qu’ils investissent un marché, le mouvement de disruption est engagé pour les acteurs présents. Les USA sont bien présents dans l’écosystème digital. La Chine et Singapour ont décidé de transformer leurs pays en pourvoyeur de plateformes à l’assaut du monde (countries as a platform).
L’Afrique gagnerait à intégrer ses enjeux de base (malnutrition, pauvreté, emploi des jeunes, mal-gouvernance) à ceux liés au digital. Peut-être qu’il y a des raccourcis à trouver. Nos pays ont surtout ce potentiel de jeunes formés à qui il faut trouver un cadre adéquat – le minimum qui puisse garantir les émergences –, à l’image de ce qu’on trouve sur la côte Ouest Américaine ou sur la côte Est chinoise pour qu’un jour, une ou plusieurs start-ups africaines puissent rayonner, dépasser leur pays, le continent et impacter le monde.
Glossaire
Cloud Gaming: la console est déportée dans le Cloud. Le client paie juste un abonnement mensuel pour bénéficier du service.
ROI: return on investment (ou retour sur investissement).
Inside – out: focus sur l’extérieur vs intérieur.
Broadband: large band ou Internet haut-débit.
KPI: key performance indicator ou indicateur clé de performance.
OTT: over the top ou service de contournement audio, vidéo sans passer par les opérateurs de télécommunication.
Peer- to- peer : ou pair- à-pair est un modèle d’échange en réseau ou chaque entité est client et serveur.
Modèle freemium: service gratuit moyennant la réception de publicités ; il devient payant lorsque le client ne veut plus recevoir de publicité.
Cryptocurrency: monnaie cryptée ou cybermonnaie émise de pair-à- pair, sans passer par les banques.
Blockchain: technologie de stockage et de transmission d’informations sécurisée, transparente, sans organe de contrôle ; l’information est disséminée dans un réseau ouvert. Le Bitcoin est un cas d’usage de la blockchain.
(1) Walter Isaacson, Steve Jobs.
(2) (3) David Evans & Richard Schmalensee, De précieux intermédiaires.
PAR IBRAHIMA THIOYE dans « Les grandes batailles des plateformes digitales » publié sur seneplus