La force de couper le micro à un président – fût-il le plus puissant du monde. D’un côté, il y a eu des journalistes ayant un sens hyper aigu des responsabilités, de l’autre des chaînes de télévision qui ont les moyens de leur liberté de couper micros et caméra à un chef d’Etat de qui elles n’attendent pas les moyens de vivre ; de qui elles ne craignent pas non plus des représailles allant jusqu’à leur fermeture provisoire ou définitive.
C’est cet enseignement que nous laisse la décision prise par trois chaînes de télévision états-uniennes, en l’occurrence MSNBC, CBS et ABC, de couper une retransmission en direct de la Maison Blanche de propos que leurs journalistes savaient ou ont jugé inexactes du président Donald Trump dénigrant le système électoral des Etats-Unis et dénonçant des fraudes électorales parce que les résultats du dépouillement annonçaient sa défaite. C’était dans la soirée du jeudi 5 novembre 2020.
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On ne le dira jamais assez : le journalisme s’exerce avec responsabilité. « Le président s’exprime mais nous devons l’interrompre », a dû déclarer un journaliste sur le plateau. « Bon, nous voilà encore dans la position inhabituelle de [devoir] non seulement interrompre le président des Etats-Unis, mais aussi de corriger le président des Etats-Unis », a lâché le présentateur, Brian Williams de MSNBC.
Les chaînes ABC et CBS ne se sont pas contentés de couper micros et caméras au président des Etats-Unis, « elles ont alors fact-checké le président américain, rappelant qu’il n’avait pas gagné, et que ses accusations de fraudes n’ont pas été prouvées, rapporte le site du journal canadien « La Presse ».
CNN a, elle, décidé de ne pas couper le micro à Donald Trump, mais son présentateur vedette Jake Tapper a enchaîné avec une condamnation sans appel du chef de l’Etat.
« Quelle triste nuit pour les Etats-Unis d’Amérique de voir leur président […] faussement accuser les gens d’essayer de voler l’élection », a-t-il déclaré, en fustigeant un « tissu de mensonges », poursuit « La Presse ».
Le journalisme n’a pas le droit d’être ce qu’un maître du journalisme sénégalais, Abdoulaye Ndiaga Sylla, appela « notaire servile » se contentant d’être un tendeur de micro passif ou un plumitif notant et restituant – même avec fidélité et exactitude – ce que raconte sa source sans passer de telles déclarations sous la moulinette de la critique et du discernement. Je ne vais pas rapporter telle déclaration ni diffuser telle information parce qu’il serait irresponsable ou dangereux de le faire, doit se dire un vrai journaliste. Il y a, quand même une énormité quand un président de la République, celui des Etats-Unis, et de tout autre Etat au monde, se met à calomnier une institution, un système et même un ou des citoyens de son propre pays.
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Le journaliste Hamadou Tidiane Sy, directeur de l’Ecole de journalisme, de communication et des métiers de l’internet ne dit pas autre chose en écrivant sur sa page Facebook qu’«à défaut d’être une première, c’est assurément une belle leçon de journalisme. C’est aussi une réponse à tous ceux qui se croient obligés de relayer tout ce qui se dit en… conférence de presse ! Le journalisme étant, par essence, la recherche de la vérité ne peut s’accommoder de mensonges. Y compris ceux d’un chef d’Etat ! »« Voilà le genre de moment qui fait rêver. Le journalisme devra se réinventer et adapter ses codes et approches aux réalités du siècle.
« Tendre le micro et « relayer », sans aucun esprit critique ni aucun sens des responsabilités, est une relique du journalisme. Elle sera à laisser aux « créateurs de contenus » et autres chasseurs de clicks. Les bons journalistes continueront à donner du sens à l’info ! »
Evidemment, il se trouvera des opinions pour rétorquer s’il ne fallait pas écouter Trump jusqu’au bout, au lieu d’interrompre des déclarations qui pouvaient être porteuses d’informations importantes et intéressantes. Mais, aurait-ce été responsable de continuer à servir à l’opinion américain et au monde entier ce que des journalistes eux-mêmes ont perçu comme de la « désinformation » (sic) et qualifié comme tel. Même des militants et des leaders républicains ont été outrés par les écarts de Trump qui ne pourra replâtrer une image déjà brisée en maintes occasions par les outrances verbales d’un chef d’Etat qui a toujours eu du mal à tenir son rang et se soucier de son étiquette.
Jean Meïssa DIOP
Walf des 07-08 novembre 2020