Dans cet entretien à cœur ouvert avec Le Quotidien, le recteur de l’université Gaston Berger de Saint-Louis évoque la situation compliquée que traverse l’institution. Déterminé à faire appliquer le plan de reprise graduelle des cours retenu par l’Assemblée de l’Université, car pour lui il ne saurait en être autrement sous peine de transgresser les règles de fonctionnement de l’université.
Il invite les étudiants à lever leur mot d’ordre de grève, à retourner dans les amphis pour ensuite poursuivre les négociations afin de sauver l’année. Pour le Pr Ousmane Thiaré, l’université ne peut pas être un espace de non droit où une communauté exerce la violence sur les autres. Toutefois, il écarte pour le moment tout recours à l’usage de la force pour faire reprendre les enseignements.
Quelle analyse faites-vous de la situation qui prévaut en ce moment à l’Ugb avec la reprise avortée du 1er septembre ?
L’université Gaston Berger de Saint-Louis avait prévu sa rentrée le 1er septembre passé. Une des composantes de l’université que sont les étudiants n’a pas répondu à l’appel parce qu’ils disent ne pas être d’accord sur les décisions prises par l’Assemblée de l’Université.
Pouvez-vous revenir sur les décisions fortes prises par l’Assemblée de l’Université pour définir les modalités de la reprise ?
Le président de la République avait pris la décision de fermer les universités le 14 mars et dès le lendemain ou deux jours après, nous avons pris un arrêté pour demander à nos enseignants d’essayer de poursuivre les cours en ligne pour faire en sorte qu’il y ait un maintien du lien pédagogique avec les étudiants. Nous l’avons fait avant que le ministre ne nous demande de le faire. Sur ce plan-là, il y a eu beaucoup d’avancées, il y a des Ufr qui ont vraiment évolué dans les enseignements, notamment l’Ufr 2S dont les cours sont presque terminés. Il ne leur reste qu’à faire les évaluations. Ça, ce sont des choses qu’il faut noter dans le bon sens.
Ensuite, quand nous sommes arrivés au mois de mai, nous avons mis en place à l’Ugb, une commission sanitaire dont la composition est large et inclusive. Elle comprend à la fois des membres du Rectorat, des médecins du Rectorat et du Crous, des syndicats d’enseignants et du Personnel administratif, technique et de services (Pats), les étudiants étaient aussi représentés. Cette commission était dirigée par le professeur Ndèye Méry Badiane qui est enseignante-chercheure chez nous, spécialiste des maladies infectieuses et qui dirige le Comité régional de lutte contre la pandémie dans la région Nord.
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Avec cette commission sanitaire, l’objectif c’était de nous donner des recommandations sur le retour en présentiel, de mettre en place un protocole sanitaire sur lequel nous devions nous baser pour reprendre en présentiel. Cette commission a tenu plusieurs réunions, moi-même j’ai participé quasiment à toutes les réunions organisées par la commission.
A partir du moment où nous devions définir les modalités de reprise en présentiel, il fallait surtout travailler avec le Crous pour voir le nombre de lits disponibles parce qu’il fallait aussi prendre en compte le respect des mesures de distanciation physique. Le Crous nous a dit que pour une reprise en présentiel sécurisée, il fallait faire revenir dans un premier temps 4500 étudiants, ce qui représente 38% des effectifs. A partir de ce moment nous avions demandé à toutes les Ufr de se réunir et de faire venir 38% de leur effectif. Il appartenait à ce moment à chaque Ufr de définir les cohortes qu’il faut faire revenir les unes après les autres.
Dans ce protocole, chaque Ufr a défini un plan de reprise très clair qui ne laisse aucun niveau en rade et qui est basé sur le niveau d’avancement avant l’arrivée de la pandémie. C’est ce qui a été fait. Ensuite, nous avons pris tous ces plans de reprise et avons tenu l’Assemblée de l’Université dans laquelle nous avons eu une discussion pendant 7 heures sur le sujet. Au cours de cette Assemblée de l’Université, des mesures ont été prises. L’Assemblée de l’Université a décidé de suivre les recommandations de la commission sanitaire, de faire revenir 4500 étudiants dans un premier temps, et en même temps aussi de continuer les cours en ligne pour les niveaux dont le retour en présentiel n’était pas encore envisagé, c‘est important de le souligner.
Parmi les autres mesures que nous avons mises en place, nous avons installé une commission en interne composée par les directeurs de la Scolarité et le chef du Service pédagogique dirigé par le professeur Baal dont le rôle était de discuter avec le Crous pour rendre les programmations fluides parce que ce sont des cohortes qui viennent les unes après les autres et qu’il va falloir faire un travail huilé.
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Le ministre nous a aussi remis 74 000 masques que nous allons distribuer à tout le personnel y compris les étudiants. Nous avons aussi identifié des salles de tri au Crous et au Rectorat pour la prise en charge des cas suspects. Nous avons désinfecté le Crous, desinsectisé et désherbé. Tout était donc fin prêt, mais malheureusement nous n’avons pas pu démarrer les activités pédagogiques.
Que répondez-vous aux étudiants qui disent n’avoir pas été associés à l’élaboration du plan de reprise ?
Moi je suis vraiment étonné par cette question pour une simple raison, dans toutes les instances de décisions de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, les étudiants sont représentés. Souvent la question sur laquelle on discute, ce sont les questions pédagogiques. Dans les questions pédagogiques, le processus part d’abord de la section, ensuite les conseils d’Ufr et l’Assemblée de l’Université, et dans toutes ces instances les étudiants sont représentés et ont une voix.
Les étudiants disent être ouverts au dialogue. Ils ont d’ailleurs proposé leur propre plan de reprise. En avez-vous eu connaissance et comment avez-vous accueilli leurs propositions ?
Personnellement, j’ai reçu ce plan de reprise des étudiants. C’est un courrier qui m’a été adressé au même titre qu’aux directeurs d’Ufr. Et dans mon rôle de recteur quand je l’ai reçu, je l’ai envoyé, je l’ai fait suivre à tous les directeurs d’Ufr parce que simplement il faut comprendre que ce sont des questions pédagogiques sur lesquelles les Ufr ont une large autonomie. Il ne m’appartient pas en tant que recteur de juger dans un sens ou dans un autre le plan de reprise. C‘est pourquoi avant même que le plan de reprise ne me soit proposé j’ai demandé aux directeurs d’Ufr de rencontrer les délégués des étudiants dans les Ufr. Ces rencontres devaient permettre d’expliquer aux étudiants le plan de reprise retenu par l’Assemblée de l’Université, mais de les rassurer aussi pour leur dire que tout est mis en œuvre pour sauver l’année universitaire.
Les enseignants sont engagés, le personnel administratif est là, tout le monde est engagé pour vraiment faire en sorte que l’année universitaire soit sauvée à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Je peux comprendre les inquiétudes des étudiants sur le plan de reprise mais moi je leur ai dit que des discussions peuvent bien avoir lieu mais pendant ce temps, il faut lever le mot d’ordre, rejoignez les salles de classe, les amphithéâtres et continuez les discussions. Chaque Ufr a proposé un plan de reprise, s’il s’avère que dans ces plans de reprise, il peut y avoir des réaménagements, moi, je suis convaincu que les Ufr vont se réunir pour les apprécier, l’université a toujours fonctionné comme ça.
D’ailleurs si nous regardons les plans de reprise, il y a des Ufr qui ont fait des programmations jusqu’au mois de janvier. Rien n’est fermé mais aujourd’hui on est en train de tout perdre. On a fait 10 jours de grève et c’est vraiment au détriment des étudiants.
On vous a entendu dire que les délibérations de l’Assemblée de l’Université sont applicables à tous, même si les étudiants avaient exprimé leur désaccord par rapport au plan de reprise adopté. Cela veut-il dire que vous ne reviendrez pas sur la décision de faire reprendre les cours graduellement ?
Il faut que les gens comprennent le mode de prise de décisions à l’université Gaston Berger. A l’université l’instance suprême c’est l’Assemblée de l’Université. Quand il y a des questions pédagogiques, ce n’est pas le recteur qui les traite. Les questions pédagogiques sont traitées à partir des Ufr. Donc, le processus part des sections en passant par les conseils d’Ufr pour aboutir à l’Assemblée de l’Université. Mais une fois que les décisions sont prises, le recteur est membre de l’Assemblée de l’Université mais j’ai des compétences libres, je n’ai qu’une seule voix à l’Assemblée de l’Université. Moi, mon rôle quand les décisions sont prises à l’Assemblée de l’Université, c’est de les mettre en œuvre. Maintenant, dans la mise en œuvre si l’on se rend compte qu’il y a des difficultés, si l’on se rend compte qu’il y a des réaménagements à faire, moi je suis persuadé comme je l’ai dit que les Ufr vont apporter les corrections.
Sur ce plan-là, il n’y a pas d’ambiguïté, si vous voulez savoir si les décisions sont bonnes ou pas il faut démarrer l’exécution, exécutons d’abord. Vous démarrez d’abord l’exécution de ces décisions et ensuite on fait l’évaluation. Mais vous ne pouvez pas dire que vous n’êtes pas d’accord, vous ne reprenez pas les cours et vous voulez négocier avec l’administration. Mais dire que le recteur doit revenir sur les décisions de l’Assemblée de l’Université, c’est ne pas connaître le mode de fonctionnement des organes de l’université.
Beaucoup d’observateurs considèrent que si cette situation perdure, l’Ugb va perdre son statut d’université d’excellence. Est-ce votre sentiment ?
L’université Gaston Berger garde encore son label d’excellence malgré tous les soubresauts, malgré toutes les difficultés que nous avons de temps en temps. Nos étudiants sont bien formés, ils s’insèrent bien dans le marché du travail, dans les concours nationaux ils nous donnent beaucoup de satisfaction. Maintenant comme vous le savez, s’il y a des perturbations de temps en temps, ça peut affecter de façon négative les performances de l’université. Ça, nous ne le souhaitons pas. Nous avons des acquis et je pense que ces acquis devront être préservés pour que l’université Gaston Berger continue d’être une université d’excellence.
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Peut-on en arriver à ce que vous demandiez à l’Etat de vous donner les moyens de faire reprendre les cours pour les étudiants qui le désirent, par la réquisition des Forces de l’ordre, par exemple ?
Ce que vous êtes en train de dire c’est une loi qui date du 24 novembre 1994. C’est la loi sur les franchises et libertés universitaires. Dans cette loi, il y a deux dispositions, notamment les articles 4 et 5, qui définissent dans quelles conditions le recteur peut faire intervenir les Forces de l’ordre. Il est dit dans cette loi que le recteur, avant de faire intervenir les Forces de l’ordre, doit demander l’avis de l’Assemblée de l’Université, doit réunir l’Assemblée de l’Université. Et dans certaines conditions l’Assemblée de l’Université peut être réunie en formation restreinte.
Dans l’autre disposition, il est dit qu’en cas d’urgence, le recteur peut faire intervenir les Forces de l’ordre mais il doit informer sans délai l’Assemblée de l’Université. Moi je ne souhaite pas qu’on en arrive là, l’université est un lieu de pensée intellectuelle, de réflexion, pas un lieu où il doit y avoir de la violence. C’est quelque chose qu’il faut bannir.
Nous avons connu la violence, il y a deux ans. Nous avons quand même réussi à stabiliser les choses et depuis un moment on n’a pas entendu de problème à l’université Gaston Berger. Nous avons eu la chance aussi avec toutes les composantes de l’université de stabiliser le calendrier universitaire. S’il n’y avait pas la pandémie, nous aurions fini le premier semestre au mois de mars.
Avec cette grève, le planning risque d’être chamboulé. Quelles alternatives vous pourrez proposer ?
Nous avons perdu 10 jours de grève aujourd’hui et cela représente beaucoup d’heures de cours. Les enseignants et le personnel administratif sont engagés, un enseignant me disait hier qu’on peut même programmer ses cours à partir de 7 heures du matin. C’est pour vous montrer le degré d’engagement des enseignants parce que nous avons perdu une année en 2018-2019, on ne peut pas se permettre d’en perdre une autre. Mais aussi à l’endroit des étudiants, ils doivent comprendre que l’année universitaire n’est pas extensible à souhait. On a un calendrier défini, nous devons penser à l’année universitaire 2020-2021 et nous devons accueillir de nouveaux bacheliers dans de bonnes conditions. Ils sont d’égale dignité par rapport aux étudiants qui sont là.