mardi, novembre 19, 2024

Transfert d’argent via Whatsapp : défis, opportunités et perspectives pour l’Afrique?

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En juillet 2019, Facebook annonce pour la première fois, la possibilité en Inde de pouvoir transférer facilement de l’argent via l’application Whatsapp. Mais la nouvelle n’a pas fait long feu à cause d’un dialogue de sourd né entre les autorités indiennes et la firme de Mark Zukerberg sur la protection des données personnelles. 

Le stockage des données des Indiens qui feront les transactions sur WhatsApp sera  logé dans le pays. Ce que n’a pas voulu accepter Facebook qui avait juré pouvoir garder de façon sûre les données des internautes indiens. 

Lire aussi l’article : Facebook va payer 104 millions d’euros au fisc français

Quelques mois après, l’aventure s’arrêtea. Facebook attendra encore des mois  après,  précisément en juin 2020, avant de revenir sur son innovation. Par contre,  cette fois-ci, il cible le Brésil. 

Mark annonce en grande pompe sur son compte Facebook, le lancement officiel du transfert d’argent via WhatsApp. La firme soutient avoir travaillé avec les  banques locales, dont Banco do Brasil, Nubank, Sicredi ainsi que Cielo, le principal processeur des paiements pour les commerçants au Brésil. Facebook ouvre ainsi une nouvelle ère du transfert d’argent (WhatsApp Payments ) dans le monde ou plus de 2 milliards de personnes se connectent sur WhatsApp. 

Quid du continent africain, berceau du Mobile ?

L’arrivée du transfert d’argent via WhatsApp dans le continent sera d’une grande opportunité pour les Africains car le taux de pénétration du mobile atteint les 100% sans compter le nombre important d’utilisateurs .

En 2018, plus de 866 millions nouveaux comptes mobile money ont été ouverts dans le monde et l’Afrique y occupe une place de choix.

Selon Daouada Dèmele transfert d’argent via WhatsApp sera  juste la première étape de la création d’un nouvel écosystème de transactions financières par voie électronique en Afrique. »

Daouda DEME
Consultant et spécialiste de la Fintech

Le consultant et spécialiste de la Fintech pense que Facebook, par le biais de sa filiale WhatsApp permettra, dans un futur proche, aux Africains de faire plus du Transfert d’argent”.

 “Mais il faudrait prendre en compte certains aspects liés aux réalités sur le terrain africain.

Il faut s’attendre alors à avoir le nano crédit digital par exemple.  Ensuite de favoriser ce que j’appelle le W-commerce avec le catalog Product. Tout en insistant sur  l’inclusion financière et prévoir que l’application de messagerie ait une bande passante faible”. 

Une arrivée mouvementée mais profitable à la Fintech africaine

Mais avant cela, il faudrait une analyse approfondie sur la supposée arrivée de Facebook en Afrique en tant que Opérateur de transfert d’argent.

Emmanuel Bocquet
Consultant digitale

« Cela me semble difficile à court terme parce que la BCEAO pourrait faire bloc pour l’empêcher de rentrer. Maintenant s’ils rentrent, ils auront les moyens de faire très mal à l’ensemble du marché parce qu’ils ont les moyens d’offrir des services qui sont fournis par l’écosystème des Fintech à des tarifs plus intéressants  » souligne Emmanuel Bocquet, consultant digitale très respecté dans l’écosystème.

Un avis partagé par Ababacar DEME, Directeur de Opay pour l’Afrique Francophone. Le consultant en Finance Digitale pense que : « ce qui est important et intéressant pour l’Afrique est d’augmenter l’inclusion financière, de permettre à chaque Africain d’avoir accès à internet aux services financiers qui touchent les assurances, banques, etc.« .

Ababacar DEME,
Directeur de Opay pour l’Afrique Francophone

Pour lui  : « tant que WhatsApp se cantonne à être un interconnecteur des différents opérateurs de l’écosystème, elle pourra l’aider à être plus fluide. Ce qui nous amène à l’interopérabilité qui est une grande opportunité pour l’Afrique. »

Cependant, la question  reste assez complexe pour Olivier ONA, surtout pour  les pays de la zone CEMAC qui sont en pleine prise de conscience collective et qui découvrent l’apport du numérique dans leurs habitudes.

Parler de paiements via WhatsApp revient à parler de la cryptomonnaie de Facebook donc de la Libra. Quelles opportunités pour l’Afrique? Récemment, je lisais un rapport de la Banque mondiale qui disait que le coût de l’envoi d’argent liquide en Afrique subsaharienne était l’un des plus élevés au monde soit environ 19$ US de frais pour 200$ US d’envoi (9,5%). En plus de payer ce coût élevé, à cela, nous devons rajouter le déplacement en agence pour ce service » dixit le conférencier et blogueur en analyse d’écosystèmes Tech.

Olivier ONA
Conférencier et Blogueur en analyse d’écosystèmes Tech

Lors d’un F8, Mark avait stipulé que son challenge est la connectivité pour tous. Ceci sous-entend que le manque de connexion dans les zones les plus reculées ne constituera point un frein pour le développement des services et produits de Facebook Inc.

Libra, facilitera les paiements depuis un smartphone via WhatsApp. Peu importe votre lieu de résidence vous pourrez envoyer ou recevoir de l’argent. C’est également une aubaine pour les PME et autres startups qui ont du mal à intégrer l’API des opérateurs de téléphonie mobile dans leur circuit de vente.”  explique Olivier

Selon lui, Libra est une belle idée de façon idéologique au vue de notre faible taux de bancarisation mais elle rencontrera d’énormes difficultés dans son application. 

« Mais au regard de l’instabilité du réseau internet dans nos pays respectifs, il sera difficile de profiter de tous les avantages de ce nouveau moyen de paiement. En somme l’arrivée de la Libra pourrait être un catalyseur et permettra d’élargir les offres disponibles sur nos marchés largement dominés par des systèmes archaïques” précise le formateur.

Se préparer pour ne pas être surpris

Le transfert d’argent via WhatsApp va bouleverser le jeu avec les autres Fintech. Du coup, c’est un grand défi pour nos gouvernants de mieux préparer l’arrivée de ces industries dans le « game » de la finance digitale en Afrique. Il est important aujourd’hui que la Fintech africaine se prépare à l’arrivée de Facebook.

Djiba Diallo
Senior Fintech Advisor, Operations & Technology à Ecobank Transnational In

Pour Djiba Diallo, Senior Fintech Advisor, Operations & Technology à Ecobank Transnational Inc, l’Afrique est déjà sur le pied de Guerre. En exemple simple et palpable, la dernière édition d’Ecobank Fintech Challenge qui a primé trois startups proposant des solutions basées sur WhatsApp.

« On voit de plus en plus de Fintech qui proposent des solutions basées sur WhatsApp payments. Lors de ce challenge d’Ecobank, la première solution primée permet aux marchands de pouvoir récupérer des paiements au niveau des clients très facilement, et la seconde permettait de créer des cartes bancaires virtuelles directement sur WhatsApp tout en tenant compte de la stratégie de Facebook qui pourrait ouvrir sa plateforme » précise l’ancienne consultante de Microsoft.

Opportunités et stratégies pour les startups de la Fintech

Si cette supposition arrivait à se réaliser tout porterait à croire que des solutions adaptées pour le continent seraient proposées par le géant Facebook. Ce dernier pourrait alors avoir deux possibilités.

« Ils peuvent venir sur le continent en disant nous avons une solution prête à l’emploi avec ses 1,5 milliard d’utilisateurs. Ou bien, ils peuvent venir en tant que plateforme pour la mettre à la disposition des développeurs et Fintech pour qu’ils puissent utiliser les API et proposer des solutions innovantes.

Je pense que cela dépendra énormément de la discussion qu’ils auront avec les régulateurs. Parce que, l’un des éléments qui a fait qu’ils ont eu des blocages sur les autres continents, c’est que, ce sont les régulateurs qui leurs ont demandés de suspendre leurs services le temps d’y voir un peu plus claire.

Malheureusement les gens ne se rendent pas compte, mais le secteur financier est l’un des secteurs les plus réglementés au monde surtout en Afrique. Je pense que c’est un aspect dont- ils tiennent compte et je suppose qu’ils sont en négociation avec le régulateur et lorsqu’ils auront terminé ils choisiront la stratégie qui les convient le mieux. » rappelle Djiba Diallo qui soutient également que le Kenya a fait plus 20 milliards de transactions en 2008 avec le Mpesa tout en réduisant de 8% le taux chômage dans le pays. Ce qui fait de l’Afrique, un continent prometteur de la Fintech.

Mais en réalité, Emmanuel Bocquet pense qu’il ne s’agira pas de remplacer ou de tuer tout le monde.

« On peut supposer qu’ils vont préférer, pour aller très vite et éviter de choquer tout le monde, s’allier avec quelques partenaires de grandes tailles qui vont leur servir de point de relais. Parce que la clé du transfert d’argent reste le point final qui est le Kiosque« 

L’Afrique n’est pas une priorité pour Facebook

Malgré une forte présence de Facebook en Afrique avec son envie de connecter le continent et l’ouverture de plusieurs locaux , il semble un peu précipité de parler du transfert d’argent via Whatsapp en Afrique.

De l’avis de Hafi Barry, même si la possibilité est réelle : « ce n’est pas encore une priorité pour le géant Facebook puisque WhatsApp a encore beaucoup de choses à couvrir surtout en Amérique Latine et en Asie.

Hafi Barry
Consultant en Venture Building

« Le service WhatsApp paiement a été déjà lancé en Inde et au Brésil ou en l’espace de 2 ans ils projettent d’atteindre plus de 2 milliards de dollars de transaction dans ce pays. Il faudrait que WhatsApp puisse trouver un intérêt économique en Afrique et un accompagnement du régulateur pour qu’il s’y installe.

Etant donné le faible volume de notre continent, je ne pense pas que WhatsApp sera intéressé à arriver en Afrique pour le moment. En terme de business développement, ce n’est vraiment pas une priorité » insiste le consultant en Venture Building.

D’après son analyse, «  s’il y a un projet WhatsApp pour le transfert d’argent , il émanera soit d’une Fintech, soit d’une banque locale qui prendra le temps de travailler avec la Banque Centrale et d’imposer WhatsApp non comme solution provider, non comme émetteur de Money, ou opérateur de transfert d’argent, mais plutôt comme plateforme. C’est à dire, on utiliserait WhatsApp comme on utilise le SMS, l’USSD… sans se soucier de qui est le propriétaire de la technologie mais de qui opère le service. »

En attendant, WhatsApp reste la plateforme la plus utilisée en terme de communication dans le contient. Ce qui pourrait être un levier de développement si les conditions et les moyens sont réunis pour faire du continent, une source supplémentaire pouvant attirer de gros investisseurs du secteur de la finance digitale.